Messieurs les co-présidents de l’ARP, chers Dante Desarthe et Eric Lartigau
Madame la présidente du CNC, Chère Frédérique Bredin
Cher Jacques Audiard,
Chers amis,
Je regrette, croyez-le bien, de ne pouvoir être parmi vous aujourd’hui pour ce 25ème anniversaire des rencontres de l’ARP.
Je suis en effet en Grèce avec le Président de la République pour porter la voix de la culture française et aider la culture grecque à faire entendre la sienne. Nos deux pays entretiennent en effet des liens culturels très étroits. Ces liens, qui sont ceux de l’unité et de la solidarité européenne, se manifestent en particulier à travers le fonds mis en place par le CNC pour soutenir le cinéma grec pendant la crise.
C’est une action à l’image de ce que porte la France, avec l’ARP et le monde du cinéma dans son ensemble, et de ce qu’incarnent ces rencontres : la vision d’un cinéma ouvert, pluriel, qui permet à tous les auteurs, d’où qu’ils viennent en Europe ou dans le reste du monde, d’exprimer leur vision du monde à travers leur œuvre. Certains voudraient nous faire croire que défendre le cinéma français c’est ignorer les réalités de l’ouverture des frontières, ignorer les envies du public, se calfeutrer derrière des murailles imaginaires. C’est tout le contraire.
Ensemble, nous défendons la diversité culturelle, c’est-à-dire l’affirmation profonde du droit des peuples à vivre leur différence, à sortir de l’enfermement de la standardisation en découvrant l’altérité. Et je suis très fière que la France, et la solidarité du monde du cinéma qui fonde la politique de soutien, permettent à Yorgos Lanthimos de réaliser The Lobster, ou à Miguel Gomes de réaliser Les Mille et une nuits.
Nous avons la chance d’avoir en France un cinéma admiré dans le monde entier pour sa créativité, son dynamisme et ses succès. C’est le fruit d’une politique volontariste des pouvoirs publics appuyée par l’engagement constant du monde du cinéma, engagement dont ces Rencontres sont un témoignage.
Nous avons su, ensemble, construire et faire vivre une politique qui favorise la diversité et le renouveau de la création, l’investissement des entreprises, le développement de savoir-faire de renommée internationale, et enfin, la cinéphilie du public.
C’est une alchimie rare, rare et fragile, devant ce que j’appelle la « netflix-isation » des pratiques. Celle-ci pose deux défis :
Le défi du financement, tout d’abord, car ces nouveaux acteurs du cinéma et de l’audiovisuel ne se localisent pas en France. Nous avons pris de premières mesures, en étendant la taxe vàd à ces opérateurs où qu’ils soient localisés, mais nous devons aller plus loin.
Le défi du public, ensuite, et notamment du jeune public : face à la puissance de l’algorithme, il faut tout faire pour que chacun continue d’aller au cinéma, continue de voir les films, continue d’avoir cette curiosité, ce goût de l’inattendu par lequel on se forme une culture cinéphile. C’est pourquoi j’ai fait de l’éducation artistique et culturelle l’une des priorités de mon ministère, à travers notamment les dispositifs école et cinéma dont nous avons fêté les 20 ans.
Tous ces défis appellent notre mobilisation de tous les instants. Ils appellent aussi des réponses concrètes – c’est le chemin que j’ai choisi depuis mon arrivée au ministère de la Culture.
La première réponse à ces défis, c’est le soutien à la création :
Soutenir la création, c’est d’abord lutter contre le piratage, qui menace la création, et défendre le droit d’auteur sans lequel il n’y a pas de diversité culturelle.
Soutenir la création c’est aussi soutenir son renouvellement : nous avons des écoles exceptionnelles. A côté de la Fémis, qui fait émerger tant de nouveaux talents, d’autres écoles de cinéma voient aujourd’hui le jour, et j’en suis heureuse. Je pense notamment au projet de Claude Lelouch à Beaune comme à la Cinéfabrique, présidée par Abderrahmane Sissako, qui vient d’ouvrir à Lyon, avec le soutien de mon ministère. Le renouvellement de la création passe par une plus grande ouverture à la diversité des parcours, qui nourrit la diversité des points de vue. C’est là ma conviction.
Cette diversité de la création est aussi rendue possible par la diversité des investissements dans le cinéma.
C’est pourquoi je défends le principe d’un engagement fort des chaînes de télévision en faveur du cinéma indépendant. La force du cinéma français tient à la variété de ses écritures, à la pluralité des points de vue et des expériences qu’il offre : de La Famille Bélier à Dheepan, de L’Hermine au Fatima de Philippe Faucon.
Nous pouvons donc nous réjouir des accords conclus en mai dernier avec Canal +, dont le Conseil d’état vient d’approuver la transcription réglementaire. Le décret est d’ores et déjà en cours de publication.
Quant à France Télévisions, elle continuera de s’engager en faveur de la diversité du cinéma. Je l’ai inscrit au cœur des priorités de la nouvelle présidence de France Télévisions, et le projet de budget en cours de discussion à l’Assemblée nationale lui donnera les moyens de cette ambition : France Télévisions disposera d’un financement plus solide, plus indépendant, et même renforcé avec l’adoption par les députés d’une hausse supplémentaire de sa dotation de 25 M€. Une hausse que l’audiovisuel public n’avait pas connue depuis très longtemps.
Défendre la création française, c’est aussi faire en sorte que la production soit localisée en France.
C’est pourquoi, dès mon arrivée rue de Valois, j’ai souhaité renforcer nos dispositifs de crédits d’impôt. Avec l’appui des parlementaires, nous sommes en passe d’y arriver. Le projet de budget 2016 contient des mesures historiques en faveur du cinéma, avec notamment une hausse à 30% du taux applicable pour l’ensemble des films en français. Ce crédit d’impôt réformé est un geste majeur du Gouvernement et de la majorité en faveur du cinéma.
Je souhaite également que les dispositifs de soutien du CNC prennent davantage en compte la localisation des tournages. C’est le sens de la mission confiée à Alain Sussfeld pour réformer l’agrément. J’en attends les conclusions courant décembre. Nous disposerons alors d’un arsenal très fourni pour ancrer durablement, en France, toute la filière créative.
La deuxième réponse que nous devons faire à la netflix-isation, c’est une meilleure diffusion du cinéma.
D’abord en salle : des discussions ont eu lieu entre exploitants et distributeurs, sous l’égide du CNC. Les premières conclusions seront traduites dans la loi sur la liberté de création que je défends au Parlement.
Ensuite en vidéo à la demande : Dans le monde de l’abondance des propositions culturelles, il faut que le cinéma soit présent là où se trouve le public, et notamment les jeunes.
C’est pourquoi avec les parlementaires, lors de la première lecture du projet de loi sur la liberté de création, nous avons posé le principe de la « recherche d’une exploitation suivie » de l’œuvre audiovisuelle « conforme aux usages de la profession ».
Cette proposition permet de concilier deux objectifs fondamentaux de la politique de soutien au cinéma et à l’audiovisuel : d’une part la nécessité de plus en plus forte de développer la présence des œuvres en ligne ; d’autre part, la nécessité de préserver les conditions de préfinancement de ces œuvres, car c’est l’un des piliers de la diversité de la création.
Un accord professionnel viendra préciser et encadrer cette obligation pour tenir compte de la nature des œuvres concernées et des spécificités propres aux différents modes d’exploitation. J’appelle donc l’ensemble des professionnels intéressés à engager dès maintenant les discussions.
Améliorer la disponibilité des œuvres en préservant leur préfinancement, c’est aussi le sens des discussions que vous avez conduites sur la chronologie des médias: Je crois que nous sommes désormais proches d’un accord qui va dans le bon sens. Il faut des avancées concrètes et lisibles en faveur de la diffusion des œuvres.
Dans ce monde plus ouvert, traversé par des évolutions technologiques parfois difficiles à appréhender, c’est vrai, nous devons lutter contre la tentation du repli, contre la tentation d’un retour à l’ordre moral et contre l’uniformisation.
C’est pourquoi j’ai voulu que la liberté de création soit consacrée dans la loi – contre tous ceux qui veulent imposer une censure au nom de leurs convictions, de leur idée de la morale ou de la politique. Parce que cette tentation est inacceptable. Si l’art ne nous dérange pas, alors qu’attendons-nous de lui ? Je suis fière que la loi sur la liberté de création ait été adoptée à une très large majorité – c’est une grande victoire pour la culture et la démocratie.
Il y a bien sûr un principe légitime de protection des enfants auquel je suis extrêmement attachée, un principe de transparence et d’information légitime du public sur la nature de ce qu’il s’apprête à voir. C’est tout le sens de la classification. Il est donc important que le visa, qu’il me revient de délivrer, s’appuie sur l’avis d’une commission de professionnels représentants toutes les sensibilités.
Aujourd’hui, les textes prévoient une automaticité de l’interdiction aux moins de 18 ans, qui ne permet pas de tenir compte de l’impact des œuvres sur le public. J’ai donc demandé à Jean-François Mary de travailler, dans la concertation, à des propositions qui permettent à chacun d’agir en tenant compte des spécificités de chaque œuvre. Cette question, je le sais, fera l’objet d’un débat demain, et je serai très attentive à ce qui en sortira.
Mes chers amis, si nous nous battons autant, vous et moi, pour un cinéma diversifié et indépendant, c’est parce que nous sommes convaincus que le cinéma peut beaucoup et qu’il donne beaucoup. Il nous permet de voir le monde à travers le regard d’un autre, de penser et de ressentir, en se mettant à la place des autres, pour le meilleur – la part du rêve – et pour le pire – la peur, la souffrance, le désespoir. Le cinéma nous permet d‘être pour quelques minutes un réfugié qui fuit la guerre, une jeune fille libre refusant l’étouffement et le mariage forcé, un homme confronté à la violence du chômage, un adolescent en déshérence sauvé par l’amour. La force du cinéma c’est de nous sortir de la tranquillité de nos certitudes pour comprendre l’autre. Voilà pourquoi nous nous battons. Comme l’avait dit Costa-Gavras, au moment où Z était couronné à Cannes, « vous ne pouvez pas changer la vision politique des gens avec un film, mais vous pouvez au moins engendrer une discussion politique. »
Jamais nous n’avons autant eu besoin de l’art et du cinéma. Je vous souhaite de très belles rencontres de l’ARP, et un excellent anniversaire.