Madame la directrice générale de l’enseignement scolaire,
Monsieur le Secrétaire général, cher Christopher Miles,
Madame la Directrice générale de l’établissement public de la Porte Dorée, chère Hélène Orain,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Je suis heureuse de vous retrouver dans ce lieu auquel Najat Vallaud-Belkacem et moi-même sommes profondément attachées. Il mérite à bien des égards qu’on s’y attarde un instant.
Si je veux l’évoquer plus longuement, ce n’est pas seulement parce qu’il relève à la fois de la tutelle du Ministère de la Culture et de celle de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Si je veux évoquer plus longuement ce lieu, c’est avant tout pour ce qu’il représente, pour ce qu’il dit de la Nation, pour ce qu’il dit de ce que nous sommes. En abritant le Musée National de l’Histoire de l’Immigration, il dit que nous sommes un peuple dont la culture est façonnée par un passé et par un ailleurs.
Il dit que la France est une terre dont l’identité est née de la rencontre d’un idéal d’universalité et d’une pluralité des cultures. Des terroirs d’ici et de culture d’ailleurs, qu’elle a toujours accueillies et toujours intégrées.
Il dit que la France est traversée tout à la fois, comme le dit si bien Mona Ozouf, « par l’égalité en tous de la raison », au cœur de l’école, et le « domaine de la particularité », celui de la maison, qui est aussi celui de la culture.
Il dit que l’Histoire de la France n’est pas parfaite. Il dit qu’elle a connu des faiblesses, qu’elle a commis des erreurs – nous sommes ici dans un Palais de l’Exposition coloniale – mais que même dans les périodes les plus difficiles, elle a toujours été vue et reconnue comme une terre d’accueil. « Tout homme a deux patries : la sienne et la France. »
Il dit que la grandeur de la France est d’avoir enfanté Voltaire, Rousseau, Hugo, mais d’avoir aussi accueilli Picasso, MarieSkłodowska-Curie, Kundera, Semprun, Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Adel Abdessemed, et bien d’autres encore, inconnus, anonymes et qui ont aussi façonné sa culture à leur tour.
Il dit que l’identité de la France n’est pas une identité univoque et pétrifiée, ethnicisée et refermée, repliée sur soi, parce qu’elle serait tétanisée par l’avenir. Car cette identité-là n’a jamais existé.
Ce lieu dit que la culture, telle que la conçoit la France est une façon d’explorer d’autres possibles, de se glisser dans la peau d’un autre, « d’habiter des époques révolues et des villes où l'on n'a jamais mis les pieds, de vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n'avez pas eu droit, de parcourir tout le clavier des émotions humaines, de vous éprendre et vous déprendre. » Des mots, encore, de Mona Ozouf.
C’est tout cela que les terroristes ont visé, en volant ces vies, en janvier et en novembre. C’est tout cela qui leur est insupportable, parce que tout cela n’offre aucune prise à leur obscurantisme.
C’est tout cela que nous avons à opposer aux marchands de mauvaises solutions, qui distillent les peurs et les haines pour produire un opium dangereux.
C’est en cela, en cette culture, que reposent les ferments d’une unité plus forte, parce qu’elle rend libre et rassemble à la fois en donnant de la profondeur à nos vie.
C’est tout cela, c’est cette culture, que vous faites découvrir aux enfants et aux jeunes, que vous vous attachez à faire vivre et à transmettre, par l’éducation artistique et culturelle. Car c’est à l’âge où tout commence que tout se joue et tout est ouvert.
C’est pour cela que l’éducation artistique et culturelle est notre priorité, avec Najat Vallaud-Belkacem, et que nous lui avons alloué, conjointement, des moyens supplémentaires. Et c’est avec vous, c’est grâce à votre engagement déterminant, à votre mobilisation quotidienne et sans faille, que nous pourrons lui faire produire tous ses fruits.
Comment relever ce défi ?
Par la formation des acteurs sur les territoires, d’abord. Par leur implication, ensuite.
Ensemble, il faut construire nos pratiques, développer les expérimentations, écouter les acteurs de terrain qui sont nos partenaires, et apprendre d’eux. Il faut ouvrir les portes de l’école à l’art et à la culture, et il faut poursuivre cette action en dehors des murs de l’école.
Notre feuille de route est claire : nous l’avons présentée ensemble, en février dernier au Conseil des ministres. Elle est la base de notre plan national en faveur de l’éducation artistique et culturelle. Le référentiel du parcours EAC en est une pierre essentielle, et vous allez, tout au long de la journée, y travailler.
Notre action commune n’est rien sans l’implication des autres ministères – et notamment celui de l’agriculture, et sans celle de nos partenaires – collectivités territoriales, artistes, acteurs culturels, associations de l’éducation populaire. Nous devons rassembler autour de nous pour réussir.
Dans son champ d’action, mon Ministère développe des leviers, qui sont complémentaires de cette politique, qui servent de point d’appui.
Le projet de loi « liberté de création, architecture et patrimoine » que je porte, a été ainsi l’occasion de poser d’autres pierres : permettre à la copie privée de financer des actions d’éducation artistique et culturelle, élargir l’acception de l’éducation aux arts et à la culture pour l’ouvrir à tous les publics, tout au long de la vie, en reconnaissant de façon majeure le rôle et la place de l’artiste. Avec ces avancées, nous irons encore plus loin dans notre partenariat. J’en profite d’ailleurs pour saluer les initiatives qui accompagnent notre action : celle de la SACEM, avec la « Fabrique à Chanson », celle de la SACD, avec « un artiste à l’école ».
Mon ambition est d’agir dans la durée, partout, dans tous les territoires. C’est le sens du plan pour les arts et la culture en faveur de l’enfance et de la jeunesse, Génération Belle Saison, que j’ai présenté la semaine dernière. Il prend le relais de la Belle Saison, une expérience réussie de 18 mois, qui a mobilisé de très nombreux acteurs culturels et de services pour développer une offre culturelle et artistique s’adressant spécifiquement aux jeunes.
Sa réussite passera par une mobilisation générale. Nous renforcerons les moyens de production dans les structures labellisées et conventionnées, nous pourrons compter sur l’implication des établissements publics nationaux, nous pourrons nous appuyer sur l’engagement des sociétés d’auteur. Nous développerons là aussi la formation des acteurs culturels et des artistes, nous pérenniserons les plateformes professionnelles dans les territoires, nous nous appuierons sur des ressources pour évaluer et accompagner cette offre artistique et culturelle pour la jeunesse. Tout cela vous aidera à mettre en œuvre les parcours EAC.
Mon ambition est de m’appuyer sur les équipements culturels de proximité, bibliothèques et conservatoires, parce qu’ils sont souvent les premiers lieux de culture fréquentés par les jeunes, et participent de l’éducation artistique et culturelle.
Parce que je suis convaincue que les pratiques artistiques collectives sont au cœur de la réussite de ce que nous engageons, j’ai souhaité les accentuer davantage en 2016. Mon Ministère va donc financer à nouveau les conservatoires, pour que leur enseignement ne soit pas principalement tourné vers la formation artistique des futurs interprètes ou professeurs, mais pour qu’ils soient pleinement acteur de la politique d’éducation artistique et culturelle. Ils doivent retrouver comme mission première d’être le lieu de la formation des amateurs, l’école du spectateur. Le soutien que le Ministère de la culture apportera – les critères et les modalités sont en cours de définition avec les collectivités territoriales – visera en particulier les territoires les plus déshérités. Les conservatoires auront donc à travailler en réseau avec d’autres acteurs, pour s’adresser à des familles et à des jeunes qui sont éloignées des codes et des pratiques dominants de la culture.
Nous nous appuierons aussi sur d’autres initiatives comme les 30 orchestres DEMOS de la Philharmonie qui doivent se déployer sur le territoire, ou encore les projets de l’association « Orchestre à l’Ecole ».
Je veux aussi tirer profit du réseau exceptionnel des 16 000 bibliothèques et médiathèques de France. Leurs horaires doivent s’adapter davantage aux rythmes de vie d’aujourd’hui, et nous aiderons l’an prochain les collectivités qui s’engageront dans cette voie. Chacun doit avoir aussi à l’esprit que les bibliothèques ne sont pas que des lieux de ressources documentaires et d’accès au savoir ; elles assument chaque jour davantage une fonction de « troisième lieu » dont notre jeunesse a profondément besoin. Une bibliothèque est un lieu de rencontre, un lieu de partage, où l’on peut rompre l’isolement, s’amuser, apprendre, vivre. Nous avons à travailler collectivement en ce sens. J’ajoute que nous doublerons l’an prochain les contrats territoires-lecture, qui soutiennent des initiatives locales pour que l’accès aux livres, à la musique, à la presse, soit une réalité pour tous.
Mon ambition est enfin d’agir pour que nous soyons toujours plus présents dans les territoires qui en ont le plus besoin, qu’ils soient périurbains ou ruraux, et l’éducation artistique et culturelle est la première des politiques que nous devons y porter. Nous avons, cette année, engagé un effort conséquent en leur direction. De nouvelles initiatives ont vu le jour, en matière d’éducation artistique et culturelle, mais aussi d’accès à la langue française, ou de soutien aux médias de proximité, qui contribuent à la vie collective. Il nous faut les poursuivre, avec la plus grande exigence. C’est la priorité que j’ai donnée aux directions régionales des affaires culturelles. J’ajoute, pour m’en réjouir et souhaiter que cet effort aille plus loin encore, que plus de 350 contrats de ville sont désormais dotés d’un volet culturel qui mobilise au moins un acteur culturel et qui déploie les dispositifs de l’éducation artistique et culturelle. C’était là aussi une orientation nouvelle et importante en 2015.
Mesdames et Messieurs, vous l’aurez compris : l’éducation aux arts et à la culture est à mes yeux fondamentale. C’est aussi à travers elle que nous pourrons répondre aux doutes qui traversent notre pays. C’est avec elle que nous pourrons partir à la reconquête de ceux qui ont des doutes sur la capacité de la République à leur faire une place. Et je pense en particulier aux jeunes, aux territoires qui vivent avec un sentiment d’abandon, aux familles qui subissent la précarité. Non parce que nous leur fournirons, ainsi, un « supplément d’âme », mais parce que nous leur donnerons à la fois des raisons d’espérer et que nous les aiderons à construire un socle sur lequel s’appuyer.
Et ce socle s’appelle la culture.
Je compte sur vous.
Merci à vous.