Monsieur le vice-président du conseil national de la recherche archéologique, cher Dominique GARCIA,
Monsieur le directeur général des patrimoines, cher Vincent BERJOT,
Madame la cheffe du service du patrimoine, chère Isabelle MARECHAL,
Monsieur le sous-directeur de l’archéologie, cher Marc DROUET,
Mesdames et messieurs les membres du conseil national de la recherche archéologique,
C’est pour moi un honneur et un plaisir de présider cette séance du conseil national de la recherche archéologique (CNRA). Je remercie Dominique GARCIA de la présentation de l’activité du conseil qu’il vient de me faire en votre nom. Je tiens également à m’excuser devant vous du report de votre réunion et des contraintes qu’elle a pu engendrer. La date initialement prévue ne m’aurait pas permis de m’exprimer devant vous comme je souhaitais le faire.
Il est important pour moi d’être ce matin parmi vous parce que notre conseil est au cœur de la politique publique de l’archéologie. C’est à vous que revient de fixer les priorités scientifiques nationales de la recherche archéologique. C’est à vous, aussi, qu’il appartient de proposer les mesures permettant de mieux protéger, conserver et mettre en valeur le patrimoine archéologique.
Vous êtes donc les garants de la haute qualité scientifique de l’archéologie de notre pays. Et je sais que les membres des sept commissions interrégionales de la recherche archéologique (CIRA), représentés au sein du conseil, partagent vos objectifs et forment avec vous un réseau d’expertise indispensable à votre discipline. Je tiens d’ailleurs à vous indiquer que j’ai décidé de proposer à la concertation interministérielle une mesure d’indemnisation des membres des CIRA, car la quantité et la spécificité du travail fourni par les membres de ces commissions le justifie.
Cette exigence scientifique s’exerce aussi sur un autre aspect de votre activité, essentiel à mes yeux, puisqu’il vous revient de donner un avis consultatif sur les demandes d’agrément de l’ensemble des opérateurs d’archéologie préventive. Car, dans ce domaine de l’archéologie, la science n’est jamais purement spéculative. Votre discipline, c’est aussi une diversité d’acteurs, archéologues bien sûr, mais aussi aménageurs, élus, grand public, aux intérêts parfois divergents.
C’est ce qui fait toute la complexité et la richesse de ce domaine : l’archéologie, ce sont aussi les femmes et des hommes d’un secteur d’activité représentant plusieurs milliers de personnes, et des enjeux économiques et financiers qui ne sauraient être ignorés par personne.
Garant de la qualité scientifique, le CNRA est donc aussi, par les avis qu’il rend en matière d’agrément, au cœur de la régulation de notre dispositif national d’archéologie préventive.
Vous le savez, j’ai souhaité depuis près de deux ans conduire une politique ambitieuse en matière d’archéologie. J’en ai énoncé, quelques semaines après mon entrée en fonctions, la base et les objectifs dans le discours que j’ai prononcé à Saint-Rémy-de-Provence à l’occasion des journées nationales de l’archéologie. La base : l’archéologie, préventive ou programmée, est un service public national dont le but est l’enrichissement des connaissances historiques de la collectivité. Les objectifs : faire en sorte que cette activité trouve un équilibre durable de son financement et s’exerce dans les conditions sociales dignes, car de ces deux points dépend la qualité scientifique de l’archéologie.
Des résultats ont été obtenus. Vous le savez, le Parlement a porté le plafond de la redevance d’archéologie préventive à 122 millions d’euros, ce que la majorité précédente s’était refusé à faire, malgré les préconisations très claires d’un rapport de l’inspection générale des finances. Vous le savez aussi, il a été mis fin à la prise en charge intégrale automatique de certains types de fouilles par le fonds national d’archéologie préventive, ce que la majorité précédente avait également refusé de faire. Et, sur le plan social, un accord signé par l’ensemble des organisations syndicales de l’INRAP, fait sans précédent, a permis de mettre en place un plan de déprécarisation portant la transformation de 160 contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée. Je mets en regard cette mesure avec le funeste contrat d’activité porté par la majorité précédente, véritable machine à précariser dont le droit français, public comme privé, ne connaissait pratiquement aucun exemple.
Pour être acceptées, ces mesures ont nécessité mon engagement personnel. Ce n’est pas une formule, c’est une réalité. Car vous savez combien l’archéologie peut susciter aujourd’hui encore de craintes, de méfiances. Et ces réticences ne sont pas toutes mal intentionnées : pourquoi le nier, l’archéologie peut être perçue comme un frein à la réalisation d’objectifs de politique publique parfaitement respectables comme la réalisation de logements sociaux. Nous savons ici qu’il n’en est rien, mais pour en convaincre les porteurs de ces politiques publiques essentielles d’aménagement du territoire, il nous faut de la pédagogie, de la volonté, de l’engagement politique au sens le plus noble du terme. Depuis près de deux ans, l’archéologie n’en a pas manqué.
Et il ne s’agit pas, pour moi, en menant cette politique, de faire bénéficier l’opérateur national de l’archéologie préventive, l’INRAP, dont le ministère de la culture partage la tutelle avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’un traitement exorbitant du droit commun, mais de lui permettre d’exercer son action sans être pénalisé par les responsabilités spécifiques qui sont les siennes. Si l’Etat a réduit la précarité à l’INRAP, c’est parce qu’il estime qu’une précarité excessive est totalement incompatible avec l’exercice d’une activité scientifique comme l’archéologie préventive, quel qu’en soit l’opérateur.
Faut-il considérer que ces réformes répondent à l’ensemble des enjeux posés aujourd’hui et demain à la politique publique de l’archéologie ? La réponse est clairement non.
Cette réponse n’est pas la seule expression d’un sentiment personnel. Elle s’appuie sur plusieurs expertises. Celle du Livre blanc sur l’archéologie préventive que vous m’avez remis, cher Dominique GARCIA, en mars 2013, et qui identifiait les progrès à accomplir pour mieux garantir encore l’apport essentiel de l’archéologie à la science et à la connaissance. Celle, aussi, de la Cour des comptes, qui soulignait, l’année dernière également, la nécessité de répondre aux difficultés persistantes en matière de financement de l’archéologie préventive. Celle, enfin, issue de la concertation engagée entre le ministère de la culture et les organisations syndicales à la suite du mouvement social du 19 novembre dernier, qui a permis, notamment, d’établir un constat chiffré partagé sur les perspectives d’évolution des différents acteurs du secteur de l’archéologie préventive si des réformes ne sont pas faites.
S’agissant de ce mouvement social et de celui, plus récent, du 18 mars dernier, je veux m’adresser à celles et ceux qui y ont pris part et leur dire que je connais et comprends l’inquiétude qu’ils expriment. Je sais que cette inquiétude n’a rien de fantaisiste : s’agissant, plus particulièrement, de l’INRAP, la diminution constante de la part des fouilles effectuées par cet opérateur, qui passe, pour la première fois, en 2013, sous le seuil des 50 % est objectivement préoccupante. Et, s’agissant de l’ensemble du secteur de l’archéologie préventive, les difficultés techniques de recouvrement de la redevance d’archéologie préventive mettent en difficulté la trésorerie de l’ensemble des opérateurs et freinent les remboursements opérés au titre du fonds national d’archéologie préventive (FNAP), pour le plus grand préjudice, aussi, des aménageurs. Ces difficultés sont toutefois en cours de résolution grâce à une coopération interministérielle efficace sur ce dossier.
Je n’estime pas, par conséquent, que la politique publique de l’archéologie soit encore parvenue à la stabilité dont elle a besoin et qu’elle mérite. Il faut donc continuer d’agir.
L’action que je vais entreprendre à présent en matière d’archéologie repose sur trois axes : refonder la relation entre archéologie et aménagement du territoire, redéfinir la place des différents acteurs de notre dispositif national d’archéologie préventive, préparer l’archéologie aux enjeux de demain. Le CNRA est évidemment concerné par l’ensemble de ces actions et son implication est indispensable pour leur réalisation.
S’agissant de la relation entre archéologie et aménagement du territoire, un constat positif s’impose : l’archéologie est de mieux en mieux comprise et acceptée par les aménageurs. Au-delà des polémiques que ses adversaires continuent à entretenir, les enquêtes réalisées auprès des aménageurs publics et privés, notamment en 2013, dans le cadre de la préparation des mesures de simplification administrative portées par le Gouvernement, montrent que les critiques dirigées contre notre dispositif national d’archéologie préventive sont désormais quasiment inexistantes. Le chemin parcouru depuis la grande loi de 2001 qui a posé les fondements de ce dispositif est donc considérable. Il faut s’en réjouir et en attribuer le mérite, avant tout, à l’efficacité et au sens des responsabilités des archéologues.
Mais le prix de cette appréciation favorable ne dont pas être le sacrifice de la qualité scientifique du travail archéologique. Faire accepter l’archéologie, ce n’est pas renoncer à sa raison d’être.
C’est la raison pour laquelle le projet de loi sur les patrimoines préparé par le ministère de la culture, actuellement en cours d’arbitrage au cabinet du Premier ministre, propose deux mesures complémentaires refondant la relation entre archéologie et aménagement.
La première a pour objet de créer une information en amont à destination des aménageurs quant à la possible présence de vestiges sur le terrain faisant l’objet de leurs travaux. Cette information pourrait figurer dans le certificat d’urbanisme que tout aménageur est appelé à solliciter. Ainsi, l’alea archéologique pourra-t-il être anticipé avant la mise en œuvre du projet d’aménagement.
La seconde, issue des travaux du Livre blanc sur l’archéologie préventive, consiste à faire contrôler, en amont également, par les services régionaux de l’archéologie la qualité scientifique des offres des opérateurs d’archéologie préventive, le choix de l’opérateur par l’aménageur ne pouvant porter que sur des projets scientifiquement validés. La qualité scientifique sera donc le premier critère du choix de l’opérateur par l’aménageur, avant celui du prix.
Ces deux mesures, qui se feront à délais constants, lient donc la meilleure information de l’aménageur sur l’alea archéologique à l’accroissement de l’exigence scientifique.
S’agissant des différents acteurs de notre dispositif national d’archéologie préventive, la loi de 2003 a mis fin au monopole de l’INRAP et permis aux collectivités territoriales d’exécuter diagnostics et fouilles. Elle a également autorisé des opérateurs privés à exécuter des fouilles.
Dix ans après, cette législation a eu pour conséquence une forte augmentation du nombre des opérateurs, si bien que l’on en dénombre aujourd’hui 91 pour un volume annuel d’environ 500 fouilles seulement.
Il s’ensuit que certains opérateurs sont amenés, pour assurer leur survie économique, à adopter des pratiques relevant plus de la concurrence commerciale que du service public. J’ai naturellement le plus grand respect pour les personnels de ces opérateurs, qui ne sont pas responsables de cette situation, mais je tiens à indiquer devant vous que présenter un dossier d’agrément comportant des spécialistes qui ne sont pas, en réalité, recrutés, proposer aux aménageurs des « prix cassés » pour obtenir l’exécution de la fouille ou encore recourir systématiquement et massivement aux contrats à durée déterminée ne sont pas des pratiques acceptables.
Je n’en tire pas la conclusion qu’il convient de revenir à un opérateur unique, comme ce fut le cas entre 2001 et 2003, ou même d’interdire l’intervention des opérateurs privés. Une telle mesure poserait évidemment de très sérieuses difficultés juridiques au regard du droit communautaire et placerait aussi les personnels de ces sociétés dans une situation de précarité. L’archéologie préventive se trouverait ainsi de nouveau entraînée dans une spirale polémique dont ses adversaires ne pourraient que tirer profit. Pour prendre définitivement le rang qu’elle mérite parmi les grandes politiques publiques scientifiques culturelles, l’archéologie doit trouver une certaine stabilité institutionnelle et de pas être l’objet d’alea permanents.
Il nous faut, cependant, mettre un terme à la logique concurrentielle qui prend aujourd’hui beaucoup trop de place dans le domaine de l’archéologie. Pour y parvenir, deux types de réponses doivent être mises en place.
Il faut, d’une part, que nous nous montrions beaucoup plus exigeants vis-à-vis des opérateurs, tant au moment de l’agrément que dans la façon dont ils exercent leur activité. Cela implique de leur imposer un certain nombre d’obligations dont le projet de loi sur les patrimoines sera le vecteur. Ces obligations sont de bon sens : une fouille ne peut pas être sous-traitée, le responsable d’une opération de fouille doit bénéficier d’un contrat de travail d’une durée au moins égale à la durée totale de cette opération, l’agrément doit pouvoir être retiré en cas de manquement de l’opérateur à ses obligations.
D’autre part, je souhaite que soient étudiés tous les moyens de permettre une véritable coopération entre l’ensemble des acteurs et opérateurs publics de l’archéologie préventive dans le cadre d’un pôle public de l’archéologie. Cela concerne, bien sûr, l’INRAP et les services archéologiques des collectivités territoriales, mais aussi les services régionaux de l’archéologie, l’Université et le CNRS. Car toute la chaîne archéologique, depuis la réalisation des fouilles préventives ou programmées jusqu’à la recherche et à la valorisation doit trouver sa place dans ce pôle public à construire. Les présidents de l’association des maires de France et de l’assemblée des départements de France m’ont donné leur accord pour entreprendre ce travail. Je souhaite vraiment que dans ce domaine, comme dans d’autres champs de la politique culturelle, nous puissions apporter la preuve que la compétence partagée entre l’Etat et les collectivités est la bonne formule.
Ces grandes réformes structurelles de notre dispositif national d’archéologie ne doivent pas nous faire oublier que votre discipline doit constamment s’adapter aux enjeux nouveaux qui se présentent à elle.
J’attends, en particulier, beaucoup de votre contribution à la réflexion sur l’adaptation de l’archéologie préventive au domaine sous-marin. Je sais que vous avez étudié ce sujet le 26 mars dernier, et il nous faut en effet adapter nos procédures et notre fiscalité à ce domaine très spécifique. Mais l’importance des enjeux archéologiques attachés aux opérations d’aménagement en mer justifie cet effort d’adaptation. Je vous indique, d’ailleurs, que le projet de loi sur les patrimoines permettra notamment de transposer en droit interne la convention de l’UNESCO du 2 novembre 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique.
Il nous faut, aussi, réfléchir aux dispositifs qui nous permettront de mieux répondre à la sollicitation de nos compétences archéologiques que les Etats étrangers nous adressent. Car, comme j’ai pu le constater lors de mes déplacements, notamment à Siem-Reap et Angkor, notre archéologie, malgré tous les enjeux complexes auxquels elle est confrontée, demeure un modèle pour de très nombreux pays. Je vais confier à M. Jean MUSITELLI, Conseiller d’Etat, une mission permettant de définir les modalités de cette diffusion à l’étranger de notre savoir-faire et de notre expertise en matière de patrimoine. L’archéologie aura naturellement toute sa place dans ce travail.
Enfin, la question de la conservation et de la valorisation du patrimoine archéologique est un enjeu permanent de votre discipline, mais sans cesse renouvelé, du fait de l’évolution constante des méthodes de travail des archéologues. Vous le savez, le ministère de la culture estime que la meilleure réponse pour garantir le bon traitement de ce patrimoine est d’en garantir l’unité dans le cadre d’une propriété publique s’appliquant à l’ensemble des vestiges, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers. Je n’ignore pas que cette proposition soulève des questions juridiques complexes, notamment au regard du droit de propriété, mais je continuerai à la défendre dans le débat interministériel actuellement en cours concernant le projet de loi sur les patrimoines.
Mesdames et messieurs, vous le voyez, de nombreux chantiers sont ouverts en matière d’archéologie, après ceux qui ont été traités durant les deux premières années de mes fonctions. Votre discipline mérite cette attention, car vous savez la passion et les compétences des archéologues et le caractère essentiel de l’archéologie pour le progrès de la connaissance. Pour réussir, ce grand service public de l’archéologie a besoin de volonté politique, et soyez assurés que je n’en manque pas, mais ce n’est pas suffisant : il faut aussi que les professionnels de l’archéologie mobilisent toute leur capacité de conviction au service de la discipline. Ayons à l’esprit que l’archéologie concerne l’ensemble de la collectivité nationale et que plus nous en démontrerons l’importance, plus il sera simple de la défendre. Je sais que, dans notre pays, l’archéologie s’est construite, souvent, dans la lutte, et Jean-Paul JACOB, ancien président de l’INRAP depuis seulement quelques semaines, et que je tiens à saluer chaleureusement, le rappelait encore dans son discours de départ. Ces luttes ont permis de poser les bases de notre archéologie. Nous devons désormais en recueillir les fruits par la persuasion.
Je vous remercie.