Cher Francis Rambert,
C’est un immense plaisir de vous voir aujourd’hui à mes côtés, dans ces
salons du ministère de la Culture avec lequel vous avez tant proposé,
construit, écrit. Votre fonction de directeur de l’Institut français
d’architecture, que vous assumez avec talent depuis 2004 au sein de la
Cité de l’architecture et du patrimoine, vous a rendu incontournable dans le
paysage de l’architecture française et indispensable à la diffusion de ses
valeurs et de sa créativité. Je ne vous trahirais pas, j’en suis certain, en
affirmant que la relation que vous entretenez avec l’architecture, qui s’est
affirmée bien avant 2004, est une relation de profonde fidélité et de
passion sincère.
Vous êtes de ceux qui s’engagent au service d’une cause avec toute
l’énergie que leur insuffle leur foi. Foi en l’insondable richesse de
l’architecture, dont vous avez toujours su saisir les liens profonds avec la
culture, car toutes deux font battre le coeur des villes. Foi en la force
d’évocation des bâtiments, des espaces et des formes de la ville, parmi
lesquelles vous nous avez guidé, éclairci et enchanté comme journaliste,
comme commissaire, comme critique.
L’architecture, vous l’aimez et la servez car vous avez grandi avec elle.
Votre père, Charles, était lui-même architecte. Il a contribué pendant de
longues années à la connaissance de sa discipline en tant qu’enseignant,
comme il a dû contribuer à cultiver en vous cette curiosité du monde et
cette énergie exploratrice dont vous faites preuve au quotidien.
Vous êtes en quelque sorte un « irréductible », forgé dans l’amour de
l’architecture et des respirations de la ville, habité par la volonté de la faire
comprendre, de transmettre ce qu’elle raconte, de la faire aimer en retour.
Permettez-moi à ce stade de mon discours de citer les mots de Jean
Nouvel à votre endroit, qui ne renient pas le terme d’irréductible : « Francis
Rambert est un passionné. Tel Astérix, sa potion magique c'est
l'Architecture. Vaillant, optimiste et intrépide. Il connaît tout son monde
architectural, il l'aime et le petit monde le lui rend bien ».
Ce petit monde-là vous le rend bien, cher Francis Rambert, car vous l’avez
précocement séduit par votre capacité à proposer une nouvelle forme de
récit architectural. En 1989, vous participez à la création de la revue
« d’Architectures », formule mensuelle inédite conçue comme « le
magazine de la création architecturale », à laquelle nous devons un
véritable renouvellement du genre des publications d'architecture. Vous y
resterez fidèle, comme rédacteur en chef, jusqu’en 2002.
Un an après le début de l’aventure « d’A », vous vous lancez dans une
autre aventure, que l’on peut considérer comme un tournant essentiel :
vous devenez chroniqueur et critique d’architecture pour « Le Figaro ».
Pendant quatorze ans, votre plume spirituelle va servir une préoccupation
constante, qui ne vous a, pour ainsi dire, jamais quitté : éveiller la
conscience du grand public et susciter les débats nécessaires aux enjeux
portés par l'architecture. Vous avez été le premier à soulever dans les
médias le problème des entrées de villes et de l'urbanisme commercial, en
lançant en juin 1996 dans Le Figaro une grande campagne nationale
intitulée « Le grand bazar de la laideur ». Cette campagne a été à l’origine
d'une prise de conscience des élus et des sénateurs qui ont, par la suite,
porté ce problème crucial au coeur du débat politique.
Faire une place à l'architecture en installant une véritable rubrique au sein
d’un grand quotidien n’était pas un défi aisé. Celui de mobiliser le public
autour de thèmes comme l’enlaidissement du paysage français ou la place
à accorder à la création contemporaine l’était encore moins. Vous avez
pourtant su les relever en donnant à l’architecture une actualité, un public,
une plume, une force militante.
Vous avez su imposer un certain regard, une certaine pensée de
l’architecture. C’est pour cela que vous en êtes devenu aujourd’hui une
figure incontournable, sollicitée aussi bien en France qu'à l'étranger.
Quand on ne félicite pas l’auteur qui s’est penché sur l’oeuvre de
Massimiliano Fuksas ou sur le fantasque et ondulant musée Guggenheim
de Bilbao, on célèbre l’insatiable commissaire d’expositions, dans sa
capacité à promouvoir une discipline résolument ouverte sur le monde et
sur son temps. Installé au Palais de Chaillot en tant que directeur de
l'Institut français d'architecture, votre sens de la programmation a permis
de trouver un écho positif auprès d'un public de curieux et de
professionnels sur les enjeux de la métropole du XXIe siècle.
Au-delà de la qualité des remarquables dispositifs scénographiques que
vous avez pris l’habitude de concevoir, vous cultivez l’art de donner à vos
expositions une véritable vocation internationale. « Bouge l’architecture -
Cities on the move », produite en 2002 par l’Institut pour la Ville en
Mouvement sur une idée de François Ascher, a voyagé pendant 3 ans
dans 25 métropoles mondiales, de Sao Paulo à Canton.
En 2008, le ministère de la Culture et de la Communication vous confie le
commissariat de la Biennale d’architecture de Venise sur le thème
« GénéroCité, le généreux Vs le générique ». L'exposition, véritable
moment de la création française, est remontée par la suite en 2009 à
Paris, puis à Sao Paulo dans le cadre de la grande Biennale brésilienne.
En septembre 2009, vos liens avec le Brésil se renforcent encore puisque
vous assumez les fonctions d’organisateur, intervenant et animateur du
Symposium international sur la métropole durable, organisé à Brasilia dans
le cadre de la visite d'Etat du Président Nicolas Sarkozy au Président Lula.
Homme de mots, vous n’en êtes pas moins homme de projets, mais aussi
homme de records, si je puis dire. Co-commissaire de la nouvelle Galerie
moderne et contemporaine, ouverte en 2007 et devenue depuis lors la plus
grande galerie d’architecture en Europe, vous êtes également cocommissaire
de l’exposition « Claude Parent, l’oeuvre construite, l’oeuvre
graphique », mise en scène par Jean Nouvel, qui est à ce jour la plus
grande rétrospective jamais consacrée à l'un des plus importants
architectes français.
Enfin, dernière mais ô combien emblématique qualité : vous êtes depuis
2005 le seul Français à siéger au prestigieux jury du Prix Mies Van der
Rohe, prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine.
Parce que le sujet m’est particulièrement cher et qu’il est d’une importance
capitale pour l’avenir de l’architecture et du paysage, il m’est impossible de
ne pas évoquer dans votre brillant parcours le rôle essentiel que vous avez
joué dans la consultation internationale sur le Grand Paris, conduite par le
ministère de la Culture et de la Communication à la demande du Président
de la République.
Expert scientifique de la consultation, vous faites partie intégrante d’une
aventure de grande ampleur qui sert aujourd’hui de laboratoire et de
modèle partout dans le monde.
Cher Francis Rambert, l’architecture, vous savez la penser, vous savez
aussi la passer. Ce rôle de « passeur » est selon moi essentiel car il est au
point d’équilibre entre la mémoire de ce qui a été construit et pensé, la
valorisation des aménagements actuels et la vision de ce que sera la ville
de demain.
Je ne voudrais pas terminer cet hommage sans me faire le rapporteur du
message qu’a voulu transmettre pour l’occasion Claude Parent, qui reste
l’un des plus importants créateurs du deuxième XXe siècle :
« A l’Institut, l’Académie des beaux-Arts sélectionne des artistes que l’on
dit «Immortels ».
Quant à moi, je m’attache davantage à des hommes et des femmes que je
qualifierai d’Eternels. Ainsi en est-il de Francis Rambert honoré aujourd’hui
par notre Ministre de la Culture : Frédéric Mitterrand.
Car éternel il l’est en amitié, la donnant à vie en dehors de toute pression
de la mode ou du pouvoir.
Eternel il l’est dans sa passion pour l’architecture que ce soit par les
revues qu’il a dirigées ou par la direction qu’il a assumée à l’IFA et à la Cité
de l’Architecture et du Patrimoine sans jamais faillir à sa tache parfois
lourde et difficile.
Eternel il l’est dans ses rapports humains avec tout un chacun, dans sa
politesse, sa compréhension de vos soucis, sa disponibilité et enfin, il faut
malgré tout le dire, par son charme inaltérable. Qui n’a pas, parmi nous
tous, subi son regard en coin qu’il sait infliger avec malice et
compréhension. »
Pour votre engagement constant en faveur d’une architecture innovante et
accessible à tous, cher Francis Rambert, au nom de la République
française et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous
faisons Chevalier de la Légion d’Honneur.
Cher Alain Schimel,
Fin connaisseur de Nietzsche, vous avez repris à votre compte l’idée selon
laquelle l’art est l’expression d’une pulsion humaine primitive, celle de
créer des formes. Cet amour de l’art, vous l’avez porté dans deux
directions : en créant le sportswear de luxe sous la marque de renommée
internationale, Zilli et en soutenant, entre autres, les expositions de la Villa
Médicis.
Il y a véritablement quelque chose de dionysien dans votre travail. Vous
appréciez la démesure, l’excès, la fameuse hybris des Grecs, dans le
choix des matières, alligator, chinchilla black velvet, dans le travail de
couture, puisque certaines pièces peuvent être confectionnées pendant
plusieurs mois.
Dans cette ivresse de l’abus, cette quête absolue de la perfection, de
l’unique, réside pourtant l’esprit apollonien de la belle apparence, de la
forme élégante, de l’allure et de la mesure. Vous avez donné à l’industrie
du vêtement ses lettres de noblesse grâce à votre goût du beau et de
l’excessif. Chaque pièce est unique, elle est une oeuvre d’art pour ainsi
dire.
Licencié en droit et en histoire de l’art, diplômé de sciences politiques et de
l’IAE, vous avez repris l’entreprise de confection artisanale de votre père, à
Lyon. En 1970, vous créez la marque Zilli, en reprenant le nom du
couturier avec lequel vous vous êtes associé. Très vite, vous orientez la
production vers la ligne « casual chic », en proposant des vêtements de
peau et de fourrure d’une extrême rareté, en travaillant les matières les
plus nobles, telles la soie et le cashmere. L’ouverture de votre boutique à
Moscou déclenche le succès de la marque. Première marque française
d’habillement masculin de grand luxe, reconnaissable à son logo « lingot
d’or », elle est une des dernières à avoir une production en France.
C’est en effet à l’étranger que Zilli est plébiscitée, notamment dans les
pays de l’est et au Moyen-Orient. Plus de 90% de votre chiffre d’affaires se
réalise grâce à l’exportation. Vous êtes véritablement un créateur et un
entrepreneur tourné vers l’international.
Vous partagez votre vie entre la France et l’Italie. Fils d’une Italienne et
marié à une Italienne, votre amour pour cette voisine latine s’est conforté
au fil des ans, jusqu’à posséder un appartement avec vue sur la Villa
Médicis à Rome, elle-même située entre vos boutiques et votre domicile.
Vous aimez cette colline du Pincio qui fut pour les voyageurs comme pour
les pèlerins un havre de paix et un lieux de méditation. « Dès qu’on voit
une promenade plantée d’arbres en Italie – ne manque pas de noter, avec
causticité, Stendhal, on ne peut être assuré qu’elle est l’ouvrage de
quelque préfet français » !
Administrateur de l’Union Française des Industries de l’Habillement et de la
Fédération Française des Industries du Vêtement Masculin, vous travaillez
au rayonnement de la mode et de la haute couture française. En mêlant
l’artisanat à l’art, vous développez de nombreux partenariats pour soutenir
des manifestations culturelles et artistiques. Depuis 2007, vous êtes
partenaire officiel des Biennales de Lyon d’art contemporain et de danse et
mécène à la Villa Médicis, l’académie de France à Rome. L’an dernier,
vous avez ainsi soutenu l’exposition « Tumulti » de Béatrice Caracciolo,
qui témoignait d’une profonde réflexion sur la forme et la matière, et qui ne
vous a pas laissé indifférent. Et cette année, c’est à l’exposition « Poussin
et Moïse. Du dessin à la tapisserie » que vous avez accordé votre appui.
Là encore, l’exposition privilégie les regards sur la matière, sur le support
choisi pour créer l’oeuvre.
Passionné par la capitale italienne, promeneur de Rome, vous avez trouvé
en Stendhal, un admirateur, comme vous, de son architecture, de ses
courbes et de ses lignes.
Je me félicite que la France compte un homme tel que vous qui participe
au dynamisme économique et culturel de notre pays qui investit en faveur
des arts et de la culture. Vous cultivez des passions littéraires et
esthétiques qui vous ont amené à voir dans l’art, l’expression de la vie.
Plus qu’un industriel, vous êtes aujourd’hui cet homme à la fois dionysien
et apollonien, tourné vers le monde que vous aimez considérer comme
« Epiphanie de la beauté ».
Aussi, cher Alain Schimel, au nom du Président de la République, nous
vous faisons Officier dans l’Ordre national du mérite.
Cher Bruno Gaudichon,
Vous êtes un des très rares conservateurs de musées à avoir réussi ce qui
pourrait s’apparenter à un casse muséal exceptionnel et quasiment
historique, bien qu’il fut commis en toute légalité, tant il est inhabituel dans
l’histoire du Musée d’Orsay de prêter la Petite danseuse de 14 ans d’Edgar
Degas. Et pourtant cette sculpture qui frappa les contemporains de l’artiste
par son hyper réalisme se retrouvait, en 2010, avec d’autres sculptures du
maître, parmi la collection de sculptures de La Piscine où athlètes,
bûcheron veillent sur les baigneuses, les belles méditantes et autre
sirènes.
Cher Bruno Gaudichon, vous avez, si j'ose dire, « réinventé » le musée
d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix.
Vous êtes titulaire d'une maîtrise d’Histoire de l’art moderne sur L'élément
féminin chez Gustave Moreau, et après quelques années d'enseignement
en histoire de l'art, vous êtes devenu conservateur chargé des Beaux-Arts
au musée de la Ville de Poitiers, où vous avez rédigez votre thèse de
doctorat sur les Peintures du XIXe siècle dans les collections de cette ville.
Quand, un jour de 1989, sélectionné pour occuper le poste de
conservateur, vous venez à Roubaix pour la première fois, le musée
n’existe pas. Ou putôt, il n’existe plus depuis sa fermeture en 1940, les
collections sont dispersées, plus ou moins conservées, plus ou moins
oubliées... Votre mission sera d'abord de les reconstituer. Vous
rassemblez, prospectez, obtenez des restitutions et faîtes nettoyer vos
trouvailles pour les présenter dans une salle de l'Hôtel de Ville transformée
en musée temporaire.
Des trouvailles souvent remarquables car vous exhumez notamment un
Gallé rarissime qui s'empoussiérait dans un placard. Mais surtout de la
bonne peinture, un Claude Vignon, des Hollandais du XVIIe siècle et une
anthologie du XIXe français constituée par un négociant en textile
roubaisien, le legs Sélosse.
Pour ces oeuvres et pour les séries de textiles, de céramique et de verrerie
moderne, il fallait un musée neuf. Inspiré peut-être par l'abondance des
baigneuses, des hammams et des houris déshabillées que vous aviez
retrouvées, vous avez une idée singulière et séduisante.
En visitant les lieux susceptibles d'accueillir les collections, vous avez un
véritable coup de foudre pour la piscine de la rue des Champs, antique
bâtiment art-déco de 1932, fermée quatre ans auparavant. Votre projet est
de transformer le grand bain en un jardin de sculpture, les cabines de
déshabillage en vitrines pour les collections de mode et les salles latérales
en galeries de peinture.
Il vous faudra attendre les derniers jours d’octobre 2001 pour voir les
sculptures installées dans le grand bassin retravaillé par l’architecte Jean-
Paul Philippon.
Noyée dans le succès, dès l’exposition inaugurale consacrée à Francis
Jourdain, investie depuis par des flots de curieux, cette ancienne piscine
magistralement réhabilitée vérifie bien la remarque d’André Diligent : « Ce
musée est le symbole du renouveau de Roubaix. ». Roubaix, qui se flattait
jadis d'avoir construit la piscine la plus moderne d'Europe, peut se flatter
d'avoir accompli la plus périlleuse des métamorphoses architecturales.
Configuré pour accueillir seulement 80 000 visiteurs par an, la
fréquentation a connu une véritable explosion, avec une moyenne de 250
000 visiteurs annuels. Les ateliers pédagogiques sont aujourd’hui saturés.
D’où un projet d’extension inscrit dans le plan musées en région que j’ai
annoncé à l’automne dernier, et qui est entré dans la phase du lancement
du concours d'architectes. Le musée devrait annexer les locaux d’un
collège mitoyen où il installera de nouveaux espaces dédiés aux jeunes
publics. Une nouvelle salle d’exposition sera par ailleurs construite à
proximité de l’actuelle salle d’exposition temporaire. Ce projet permettra
par ailleurs restituer à l’identique de ce qu’était, rue de l’Yvette, l'atelier du
sculpteur Henri Bouchard.
Il y a plusieurs clefs de ce succès. A cet égard, je tiens à saluer la qualité
du travail réalisé par l'équipe du musée, mais aussi à souligner la
confiance jamais démentie de la Municipalité. Rappeler aussi votre
capacité à construire des partenariats fondés sur l'estime et souvent
l'amitié qui vous ont permis de créer des relations avec beaucoup
d'institutions, avec les autres musées du Nord-Pas-de-Calais bien sûr,
mais aussi les musées du Havre, de Beauvais ou encore de Céret ou
d'Orsay. Je sais que vous vous réjouissez de l’arrivée du Louvre à Lens,
que vous considérez comme une chance formidable pour toute la région
Nord-Pas-de-Calais et un outil permettant de diversifier le public et de faire
venir les touristes.
Spécialiste de la sculpture des 19e et 20e siècles et plus particulièrement
de Camille Claudel que vous suivez depuis très longtemps, vous lui aviez
consacrée, en 1984, une très belle exposition rétrospective à Poitiers et au
musée Rodin à Paris. Vous êtes aussi l'auteur, avec Anne Rivière, du
catalogue raisonné de son oeuvre et de l'étude de sa correspondance.
Il ne m'est pas possible de citer toutes les publications et les nombreux
catalogues dont vous êtes l'auteur qui donnent une nouvelle vie à des
événements éphémères comme les expositions. Parmi les manifestations
de très haut niveau dont vous avez été le commissaire, je rappellerai
seulement celles que vous avez consacrées à Pompon en 1996, à Picasso
en 2004 et à Chagall en 2007, alors que la même année vous nous invitiez
à la redécouverte Émile Othon Friesz.
Votre enthousiasme est intact, vous rêvez d'acquisitions, d’expositions
prestigieuses, vous avez de nombreux projets avec les familles Picasso et
Chagall. Vous en avez aussi, je le sais, qui vous tiennent particulièrement
à coeur autour de Gustave Moreau par exemple. Je sais que vous vous
investissez aussi avec beaucoup de détermination afin d'exposer, pour la
première fois en France, le peintre américain Stuart Davis.
Avec le musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix, vous avez su
admirablement renouer les fils de la culture dans cette capitale textile du
Nord née de l’industrie. Chacun sait, cher Bruno GAUDICHON, combien la
qualité du geste architectural mais aussi le succès en matière de
développement culturel et social sont intimement liés à votre personnalité
et à vos qualités.
Vous êtes un des conservateurs les plus brillants et les plus ouverts de
votre génération, sachant allier qualités scientifiques et humaines,
dynamisme et enthousiasme dans la conduite des projets culturels et dans
la direction d'un grand établissement. C’est pourquoi, cher Bruno
Gaudichon, au nom de la République française, nous vous faisons Officier
dans l'ordre des Arts et des Lettres.
Cher Jean-Christophe Rosé,
Mon cher cousin, mon ami, mon compagnon de voyage, devrais-je dire
aussi ; compagnon de voyage, oui, car tu parcours avec moi une route, à
présent, jalonnée de souvenirs. Aujourd’hui dans les Salons du Ministère
de la Culture et de la Communication nous cessons de courir pour un
instant couronner d’une médaille les étapes franchies par un réalisateur
pour qui l’Histoire se vit aussi sur le ring ou sur le banc de touche. Le sport
et son imaginaire n’apportent pas seulement une contribution à la genèse
d’une identité, le jeu et la performance d’un sportif peuvent évoquer les
idées de progrès, de modernité et de démocratie, les évènements sportifs
peuvent façonner le corps social et les choix politiques. Si je commence
par le sport c’est qu’il est devenu avec ta caméra une odyssée de l’histoire.
Ta carrière débute en 1979 avec L’Hypothèse d’un tableau volé, ce film en
noir et blanc qui entraîne dans un mystère pictural brûlant et sur lequel tu
es assistant de production. Tu passes ensuite à la réalisation d’un
excellent documentaire sur le maître italien, Mémoire : Federico Fellini.
Puis vient notre heureuse collaboration dans l’émission Etoiles et toiles, où
nous voyagions à travers les rencontres, les anthologies et les
documentaires, sur cet immense continent qu’est le cinéma. De réalisateur
tu deviens producteur avec ta société 13 Production.
Au milieu des années 90 tu réalises un documentaire pour la télévision sur
Fausto Coppi, le plus grand champion cycliste de tous les temps qui fut
aussi un miroir de la société et de l’Histoire dans l’Italie et l’Europe de 1940
à 1960. Ton film, récompensé au Festival de Palerme et au Festival de
Banff, est sans doute la plus belle oeuvre consacrée au cyclisme et sa
capacité à refléter l’histoire de l’Europe.
L’épopée du sport dont toi seul sais nous conter la richesse de ses
aventures et de ses ressorts au moyen d’une écriture ciselée et d’un
prodigieux travail de recherche, nous est retracée à travers Les rois du
ring en 1994 et deux plus tard à travers Onze footballeurs en or qui relate
l’histoire de la Hongrie des années 50 et l’insurrection de 56 par le biais de
l’équipe quasi imbattable.
J’aimerai citer tes propos, si tu le permets, qui dénotent une conception
particulièrement romanesque et profonde des sportifs: « ce sont […] ces
grands arpenteurs qui parcourent la terre et nous disent son histoire, aussi
sûrement que courir signifie toujours plus que courir […] Ainsi va le grand
relais qui d’hier à aujourd’hui, et demain encore, nous dira toujours
comment les hommes qui courent racontent et partagent un même
monde. » Tu reconnaîtras ta conception de L’Odyssée du coureur de fond,
où tu montres comment le Finlandais Paavo Nurmi, le Tchèque Emil
Zatopek, l'Australien Ron Clarke et l'Éthiopien Adebe Bikila ont couru au
rythme des « convulsions » de l’Histoire du XXème siècle. Sous la
présidence de Claude Chabrol, le film reçoit le Prix du documentaire à
Pessac en 1998.
Je ne peux pas tous les citer mais je retiendrai encore 4 de tes films qui
témoignent de ton regard avisé et sensible : Macha et Dacha, film
émouvant sur deux soeurs siamoises qui tentent de survivre tant bien que
mal entre les cloisons et les murs sombres de l’univers hospitalier. Le
second est l’épopée des dieux du foot brésilien Pelé et Garrincha : deux
destins aux dénouements opposés, l’un devenu star planétaire, adulé et
choyé, l’autre victime de l’usure physique, du succès et de
l’instrumentalisation des politiques ; deux étoiles qui firent la joie du peuple.
Il y a aussi 200 jours, film que tu dédies à ton père, sur les effets papillon
et les retours de boomerang des décisions nationales dans le cataclysme
mondial de la « drôle de guerre ». Et enfin, avec Benoît Heimermann, le
portrait de Maradona, l’histoire de ce gamin au pied d’or dans un chassécroisé
entre pauvreté et richesse, feux de la rampe et décadence liés aux
côtés du sport les plus sombres.
Ta société 13 Production produit de nombreux documentaires dont Je suis
d’Emmanuel Finkiel sur le combat que mènent dans un centre spécialisé
pour la rééducation des traumatisés crâniens où patients, familles et
soignants mènent un combat quotidien pour la vie ; Disparus d’Hélène
Cohen, un documentaire diffusé sur France 3, qui relate le chaos d’après
la guerre d'Algérie, en 1962, alors que se multiplient les disparitions, et
aussi Nos 7 Péchés Capitaux, documentaire de Mathilde Damoisel diffusé
sur France 5 sur l’influence que les 7 Péchés continuent toujours d'exercer
sur nos sociétés contemporaines et nos comportements.
C’est une tâche difficile de dresser le portrait d’un artiste de l’image sans le
pouvoir des images justement. Il aurait peut-être mieux valu que je fasse
un documentaire plutôt qu’un discours pour te témoigner mon affection et
mon admiration que je partage avec bon nombre de nos concitoyens et de
nos contemporains, d’ici et d’ailleurs.
Cher Jean-Christophe, au nom de la République française, nous te faisons
Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres.