Ouvrir un livre, chacun le sait, ce n’est pas simplement « consommer » un bien culturel anodin. Ouvrir un livre, c’est toujours et ce sera encore longtemps, s’ouvrir à la durée, à la complexité et à la profondeur, s’ouvrir au monde, aux autres et en même temps à soi-même. Le livre reste la porte d’entrée privilégiée aux univers de la culture.
Mais c’est parfois un chemin difficile et intimidant, et il faut pour y parvenir une initiation : c’est l’une des missions de l’école bien sûr, mais aussi du ministère de la Culture et de la Communication qui, depuis un demi-siècle, œuvre sans relâche à ce que l’on a parfois appelé la « démocratisation culturelle » et que j’appelle, quant à moi, « culture sociale » ou la « culture pour chacun » : c’est-à-dire une culture ancrée dans la réalité sociale de notre pays, sans aucune exclusive et, par conséquent, capable de prendre en compte tout la diversité de la société française et des individus qui la composent et qui sont parfois porteurs d’horizons différents. Le livre et la lecture pour tous et pour chacun, et en particulier pour les jeunes : tel est l’un des grands enjeux de cette culture sociale. Il s’agit de faire en sorte que nos concitoyens, notamment ceux qui en sont au départ les plus éloignés, puissent tisser avec les livres, comme avec la presse, une relation à la fois intime et familière. Et cela doit se faire dès le plus jeune âge, car c’est-à-dire le moment crucial où l’on contracte des goûts, des prédilections et des habitudes pour la vie.
Le « Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis » œuvre, depuis pas moins d’un quart de siècle et de façon essentielle, à la promotion de la lecture chez les jeunes. C’est pourquoi le ministère de la Culture et de la Communication s’est engagé très fortement dès ses débuts à le soutenir. Il en est le 2e contributeur du Salon après le Conseil général de Seine-Saint-Denis, et ce soutien indéfectible de l’État marque bien l’importance qu’il accorde à ce levier culturel que constitue la lecture, en particulier chez les jeunes.
Il s’agit là, en effet, d’un grand enjeu national qui transcende les courants de pensée, et même d’un grand enjeu internationale et européen, comme en témoigne la présence de l’Italie, représentée ici par mon homologue italien, M. Francesco Mario GIRO et par M. l’Ambassadeur d’Italie en France, M. Giovanni CARACCIOLO DI VIETRI, que je salue tous deux chaleureusement.
Le soutien du ministère à cette manifestation s’inscrit dans une politique générale de la lecture qui repose sur deux grands piliers : l’incitation et, je le disais, l’initiation à la lecture, d’une part, et, d’autre part une indispensable régulation dans le domaine du livre.
La politique d’incitation passe d’abord par un développement important du réseau des bibliothèques : depuis les années 1980, la France a rattrapé son retard et dispose aujourd’hui d’un maillage d’équipements plus que satisfaisant. À cet égard, je rappelle que j’ai voulu lancer une expérimentation d’élargissement des horaires d’ouverture des bibliothèques municipales : une enveloppe spéciale du budget 2010 permettra d’accompagner les collectivités qui souhaiteront tenter l’expérience.
Pour soutenir la lecture dans notre pays, nous avons aussi créé, en 2008, un Pôle d’associations de lecture soutenues par le ministère, « Agir pour la jeunesse », dont l’action est ainsi plus efficace et – c’est le cas de le dire – plus lisible.
Et le mois prochain sera lancée, à l’initiative du ministère de la Culture, l’opération « Première page », qui consistera à offrir à chaque famille, à l’occasion d’une naissance ou d’une adoption, un lot constitué d’un album original et d’un guide de lecture pour les parents : il s’agit, dans l’esprit de cette culture sociale que je défends, de faire entrer le livre dans toutes les familles, lettrées ou non, et de familiariser les enfants avec cet objet si précieux dès leur plus jeune âge. C’est un peu comme un baptême du livre, un baptême de l’air.
Il est important que cette politique de la lecture du livre touche une jeunesse souvent montrée du doigt : le Salon de Montreuil démontre que cette jeunesse est, d’une certaine façon, l’avenir du livre, un avenir qui se joue dans ces quartier trop longtemps négligés, peut-être de façon structurelle parce que, tantôt par jacobinisme, tantôt dans le cadre de la décentralisation, on a oublié le pourtour des villes. Pour chacun de ces jeunes, la lecture est un investissement pour toute la vie : elle ouvre des horizons, permet une connaissance plus intime de la langue française et, par là, aura des implications essentielles dans le domaine de l’emploi.
Je connais les pièges de la gratuité, mais j’en connais aussi le rôle de levier. C’est pourquoi j’ai particulièrement apprécié que l’entrée du Salon soit gratuite pour les jeunes. C’est dans ce même esprit que nous avons lancé, il y tout juste un mois, dans un domaine qui vous intéresse aussi, celui de la presse, l’opération « Mon journal offert », c’est-à-dire l’abonnement à un quotidien d’opinion pendant un an, pour les jeunes âgés de 18 à 24 ans. C’est aussi pourquoi, dès mon arrivée rue de Valois, j’ai étendu la gratuité pour les musées à tous les jeunes de 26 ans résidant régulièrement en France, par exemple, comme j’ai coutume de le dire, à un étudiant malien.
Mais la gratuité est aussi un piège, elle est un argument de vente pour des entreprises qui amortissent leurs couts ailleurs. C’est pourquoi nous avons besoin de régulation, sur le net mais aussi sur le livre. On ne peut pas laisser le livre en proie à la spéculation et aux plus-values débridées du marché, et j’ai déjà eu l’occasion de souligner à quel point la grande loi LANG de 1981 sur le Prix Unique du Livre était essentielle et avait contribué soutenir la diversité de l’édition française. Nous en sommes, je crois, tous d’accord ici.
Dans le même esprit, le ministère a aussi créé, en 2009, un label de librairie indépendante de référence, qui va encore renforcer cette diversité dont nous avons plus que jamais besoin à une époque où les valeurs culturelles – à tous les sens du mot – apparaissent comme des lieux de résistance et de résilience face à la crise que nous connaissons.
Si l’édition jeunesse se porte bien en France, si elle s’est organisée en secteur à part entière et a fait preuve d’une vitalité et d’une capacité d’innovation dont le Salon de Montreuil se fait chaque année la vitrine, c’est bien grâce à ce dispositif de régulation du marché, qui a favorisé la création et assuré une position d’excellence de la France, reconnue par nos partenaires étrangers.
Ce qui vaut pour le livre vaut bien sûr pour Internet, que nous avons également régulé par la loi HADOPI. L’enjeu des discussions entre Google et la BnF est évidemment crucial et nous aurons l’occasion d’en débattre à nouveau, après demain à Bruxelles, avec mon homologue italien, lors du Conseil européen des ministres de la Culture, qui portera notamment sur la bibliothèque numérique européenne Europeana. J’y porterai la voix de la France qui, je le sais, est toujours très écoutée en matière de culture.
J’ai identifié la révolution numérique comme le grand enjeu de mon ministère. Pour autant, nous savons que la culture d’écran ne remplacera pas le livre, mais que développer le livre à côté de l’écran, c’est aussi mettre en demeure la culture d’écran de gagner en qualité : la concurrence des supports, qui est aussi une forme de complémentarité, est, j’en suis convaincu, une chance pour l’exigence culturelle.
C’est pourquoi la manifestation à la fois festive, pluridisciplinaire et internationale du Salon de Montreuil me paraît exemplaire d’une politique de la lecture à l’ère numérique et d’une lecture véritablement pour chacun : un idéal social et culturel que, je le sais, nous avons tous en partage.
Discours de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion du 25e Salon du livre et de la presse jeunesse en Saint-Saint-Denis
« La lecture pour chacun »Monsieur le Ministre (Francesco Mario GIRO, secrétaire d’État italien au Ministère des Biens et Activités culturels),Monsieur le Président du Conseil Régional d’Île-de-France (Jean-Paul HUCHON),Monsieur le Député et Président du Conseil général de Seine-Saint-Denis (Claude BARTOLONE),Monsieur le Député de Seine-Saint-Denis (Jean-Pierre BRARD, UMP),Madame le Sénateur-Maire de Montreuil (Dominique VOYNET),Monsieur l’Ambassadeur (M. Giovanni CARACCIOLO DI VIETRI, ambassadeur d’Italie en France),Mesdames, Messieurs, Chers amis,
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