« Au fond de notre cœur, tes yeux dépassent tous les ciels, leur cœur de nuit. Flèches de joie, ils tuent le temps, ils tuent l’espoir et le regret, ils tuent l’absence. La vie, seulement la vie, la forme humaine autour de tes yeux clairs ». Ces mots de Paul Eluard, tirés de son recueil Donner à voir, ont été écrits en 1939, alors que tout le monde avait en tête les répliques de Quai des brumes. »
Avec cette exposition nous allons pencher notre regard sur la vie des yeux les plus connus de l’histoire du cinéma. Ces yeux qu’on peut lire à cœur ouvert.
Sur le conseil de Gabin qui a remarqué « une môme bien dans un film avec Raimu », Denise Tual, son agent artistique, vous contacte. C’est ainsi qu’avec une présence étonnante et un regard qui pétrifie mieux que Gorgone, va naître un des couples les plus mythiques du cinéma, grâce à Carné, grâce à Prévert, grâce à Gabin, à vous évidemment. La « môme » bien sûr c’est vous, et a, à l’époque, déjà deux films à son actif à l’orée de ses 18 ans, Gribouille et Orage. Cette jolie « môme » deviendra aussi iconique que la grande Greta Garbo que vous avez tant admirée.
Jeune, j’ai eu la chance d’approcher un des plus beaux mythes du cinéma. Tourner avec vous et Bourvil dans Fortunat d’Alex Joffé fut pour moi une expérience inoubliable, qui a scellé mon amour pour le cinéma.
À chacun de vos rôles, vous illuminez les écrans par la force d’un jeu où vous exprimez avec un talent remarquable les ressorts de l’intériorité ; mystérieuse, complexe, étonnamment riche, fragile, déboussolée et pourtant lumineuse ou encore, sensuelle dans Les Orgueilleux au point de fasciner un Martin Scorsese, femme fatale et glaciale dont le regard peut se charger de cruauté autant que de douceur, les lueurs que vous avez répandues dans le 7ème art depuis 75 ans sont à jamais étincelantes.
Une chevelure blonde comme les héroïnes hitchcockiennes, un regard bleu, profond, sous un béret sombre, accompagné d’une voix sensuelle et musicale, dans un imperméable signé Coco Chanel, ou encore en aveugle tragique dans La Symphonie pastorale, votre partenaire du Quai des brumes, de Remorques avait raison de dire qu’avec ce regard-là, vous deviez « en embarquez pas mal » : car c’est tout le cinéma et les cinéphiles, c’est l’imaginaire de plusieurs générations que vous avez embarqués avec votre immense talent.
Incarnation parfaite du cinéma français, vous êtes une actrice de l’essentiel, et votre jeu sans ambages a la franchise et la profondeur de la vérité nue : telle fut la recette de votre popularité. Cinéma, théâtre, peinture, l’artiste que vous êtes aura exploré les modes d’expression les plus divers. Vous rendre hommage avec cette exposition qui retrace votre parcours, c’est remonter le fleuve des rêves de cinéma, retrouver la poésie des films que votre nom pare d’une aura ineffaçable, devenus aujourd’hui des classiques indétrônables de l’histoire du cinéma. C’est réécrire le récit de votre filmographie aussi prestigieuse que les réalisateurs, metteurs en scène et acteurs avec lesquels vous avez travaillé comme Gérard Philippe, Raimu, Gabin, Boyer, Bourvil, Humphrey Bogart ou encore Frank Sinatra lors de votre période américaine.
Madame le Maire, je tiens à saluer chaleureusement votre très belle initiative, ainsi que le travail de tous ceux qui, dans une ville de cinéma, ont rendu possible cette exposition. Je suis en effet ému et honoré d’être parmi vous ce soir, pour rendre hommage à l’ambassadrice du cinéma français dans le monde entier ; pour saluer une femme qui a imprimé sa marque inimitable aussi bien dans nos coeurs que dans le patrimoine culturel de la France : celle du talent, de la beauté et de l’élégance.