TNP : un logo signé Marcel Jacno, avec trois lettre rouges. D’habitude je
ne goûte guère les acronymes et les épidémies de sigles dont sont trop
souvent victimes les administrations de la culture. Mais quand ils font
l’histoire, quand ils se sont profondément ancrés dans l’imaginaire de notre
vie culturelle, force est de s’incliner devant la magie des trois lettres. « Le
TNP est un service public. Tout comme le gaz, l’eau, l’électricité », disait
Jean Vilar.
Après trois ans de rénovation, le TNP rouvre ses portes. Nous célébrons à
nouveau l’alliance entre l’un des fleurons du patrimoine architectural de
notre XXème siècle avec une ambition clef de nos politiques culturelles.
Il y a quelque quatre-vingt ans, en pleine crise économique, à la grande
époque des Edouard Herriot et des Tony Garnier, le Palais du Travail de
Villeurbanne voyait le jour. Une brasserie, un théâtre, des bureaux pour les
syndicats, une piscine : hygiène et culture pour le peuple ont rendez-vous
à la station Gratte-Ciel. Un ensemble architectural unique signé Môrice
Leroux, très probablement inspiré de ce qu’il avait pu voir à Casablanca,
au service de Lazare Goujon, l’édile visionnaire. Que reste-t-il aujourd’hui
de l’esprit de ces années ? Je pense aux clichés pris par Marc Riboud :
redents, gradins de terrasses, aération des espaces, tout respire l’air et la
lumière, pour ces partisans d’un nouvel humanisme à visage urbain, loin
des cauchemars de la Métropolis de Fritz Lang. Et l’art, bien sûr, au coeur
de ce grand temple laïque.
Le TNP, c’est aussi la longue histoire d’une grande idée, qui fait son
chemin depuis Victor Hugo - reprise par Firmin Gémier au tout début du
XXème siècle, le plus magnifique des refusés du conservatoire, inspiré par
le Théâtre du Peuple de Bussang, par Romain Rolland, et qui parcourait
avec sa troupe du théâtre Antoine la France en camion et en train, à la
recherche de tous les publics, ouvrant la voie à ce qui bien plus tard
deviendra les Tréteaux de France. Le TNP, c’est Firmin Gémier, en 1920,
obtenant d’Aristide Briand les crédits pour lancer le projet dans l’ancien
palais de Chaillot. Une idée qui s’intègre à la Libération dans le double
combat pour la décentralisation et la démocratisation culturelle.
On se souvient du « Petit manifeste de Suresnes » de Jean Vilar, dont on
commémorera l’année prochaine le centenaire de la naissance : « réunir
dans les travées de la communion dramatique, le boutiquier de Suresnes,
le haut magistrat, l'ouvrier de Puteaux et l'agent de change, le facteur de
pauvres et le professeur agrégé ». Le souvenir de Gérard Philipe, la
musique de Maurice Jarre, l’ambition de Jean Vilar pour le théâtre dans
notre vie culturelle et pour une culture partagée auront à jamais marqué les
esprits. On lui aura certes reproché de ne jamais avoir réussi à faire venir
le public ouvrier. Mais plus d’un demi-siècle après la déclaration de
Villeurbanne, après les « Vilar, Béjart, Salazar » criés au Festival
d’Avignon, son idéal est toujours là. Certains diront qu’il est inatteignable,
mais c’est le propre des idées régulatrices que d’être inatteignables, et
c’est entre autres ce qui fait leur force et leur capacité à guider notre action
- au même titre que le « théâtre élitaire pour tous » d’Antoine Vitez, l’un de
vos maîtres, cher Christian Schiaretti.
Le TNP, c’est aussi l’histoire d’une décentralisation volontariste. Après
Georges Wilson, Roger Planchon, qui ouvrait depuis plusieurs années
déjà, ici même, son Théâtre de la Cité, devenu Centre dramatique national
en 1963, aux « oeuvres dramaturgiques proches de notre temps », reprend
le flambeau du TNP, après avoir convaincu Jacques Duhamel de l’installer
à Villeurbanne, et d’y associer Patrice Chéreau, qui cèdera plus tard sa
place à Georges Lavaudant. C’est tout ce panthéon de l’histoire du théâtre
dont le TNP de Villeurbanne, sous la direction désormais de Christian
Schiaretti, porte la mémoire et l’ambition.
Aujourd’hui, c’est donc l’un des plus grands investissements de
restructuration pour le spectacle vivant qui s’achève, auquel le ministère
de la Culture et de la Communication s’est associé massivement, pour
près du tiers des 33 millions d’euros que le chantier a nécessité, avec ses
deux salles réaménagées, ses salles de répétitions, les accès pour les
personnes à mobilité réduite, ses ateliers, son grand foyer traversant, une
révision totale des conditions thermiques – car le théâtre, c’est aussi savoir
« chauffer la salle », dans tous les sens du terme, et on se souvient encore
des difficultés et du gouffre financier auxquels Jean Vilar s’était confronté à
Chaillot… Grâce au travail remarquable des architectes Xavier Fabre,
Vincent Speller et Massimo Scheurer, le TNP est désormais l’un des outils
de production les mieux équipés à l’échelle nationale, et il peut profiter
pleinement du réseau qu’il forme avec la Maison du Livre, de l’image et du
son signée Mario Botta, l’Institut d’art contemporain, l’Ecole nationale de
musique, les Ateliers Frappaz pour les arts de la rue, Le Rize pour sa
médiathèque et ses archives, dans une ville qui fait preuve d’une
mobilisation exceptionnelle en faveur de la culture, tant en termes de
moyens que de volonté.
Parallèlement à son soutien aux autres établissements de la Région - je
pense notamment en particulier aux deux écoles supérieures d’art
dramatique en Rhône-Alpes, aux aide croissantes destinées aux
compagnies indépendantes -, mon ministère s’est engagé à fournir un
effort croissant pour le TNP, dont il restera de loin le principal financeur. Si
je suis particulièrement fier de pouvoir partager ce moment avec vous,
c’est aussi parce que le TNP reste plus que jamais ce formidable
laboratoire d’expérimentation, tel qu’il a toujours été, avec ses principes
cardinaux, auquel on le reconnaît : le dépouillement brechtien de ses
plateaux, la prise sur le social et le politique, l’accessibilité par les tarifs qui
contribue à la cohésion sociale. Il est, en cela, le Centre Dramatique
National le plus emblématique de l’offre théâtrale nationale.
Je souhaiterais rendre hommage ce soir au travail remarquable de
Christian Schiaretti, à la tête du TNP depuis 2002, qui a su relever avec
brio le défi de prendre la suite de Roger Planchon. À l’image de ce que
vous aviez réalisé à Reims, vous avez fait du TNP une « maison-théâtre »,
en créant à nouveau une troupe permanente, renouant ainsi avec un
principe qui était au coeur même du Théâtre de la Cité. Dans le plan
d’action pour le spectacle vivant que j’ai lancé en Avignon en juillet dernier,
le soutien que nous souhaitons apporter au développement des troupes
permanentes est directement inspiré, vous le savez, par le modèle de la
troupe du TNP.
Cher Christian Schiaretti, vous avez également voulu renouer avec une
politique de répertoire : aujourd’hui, le TNP est le seul à la pratiquer avec
la Comédie Française. Le TNP bénéficie également de sa forte irrigation
du territoire, de sa collaboration avec l’Ecole nationale supérieure des arts
et techniques du théâtre (ENSATT) dont sont issus les acteurs de votre
troupe, de l’implication aussi d’acteurs majeurs, une vingtaine par saisons,
qui sont l’une des forces de frappe de votre établissement – je pense
notamment au très regretté Laurent Terzieff, dans le rôle titre des
variations sur le Philoctète de Sophocle par Jean-Pierre Siméon. Vous
explorez ainsi une voie très prometteuse, aux frontières du modèle
allemand et du paysage théâtral français où la permanence artistique
n’était plus une priorité ces dernières années, et que vous allez mettre au
service d’une programmation qui s’annonce exceptionnelle, avec Joël
Pommerat et Shakespeare, Patrice Chéreau et Bernard-Marie Koltès, Arne
Lygre et Victor Hugo.
Je tiens une fois de plus à saluer l’engagement remarquable de la ville de
Villeurbanne, du conseil général et du Conseil régional, aux côté de l’Etat,
pour donner au TNP les moyens de montrer que dans ce « théâtre élitaire
pour tous », on n’a précisément pas oublié le « pour tous ».
Je vous remercie.