La culture accessible partout et pour toutes et tous pendant la saison estivale. C’est l’un des objectifs du dispositif Vacances culturelles, déclinaison dans les Outre-mer de l’opération nationale Eté culturel, afin d’atteindre les publics les plus éloignés, pour des raisons économiques, sociales ou géographiques, dont les publics empêchés (personnes résidant en EHPAD, en situation de handicap ou encore placées sous main de justice).
En Martinique, les Vacances culturelles réalisent cette ambition en investissant les centres pénitentiaires. « Développer l'estime de soi, retrouver le plaisir de la lecture et de l'écriture, se sentir fière et valorisée à travers une aventure collective et individuelle », telles sont les ambitions du projet « Regards intérieurs » de l’association Lire pour en sortir, développé à destination des femmes détenues au centre pénitentiaire de Ducos.
Trois artistes de renom – Annabel Guérédrat (chorégraphe), Élise Fitte-Duval (photographe) et Nadia Chonville (autrice) – ont ainsi accompagné lors de cette édition des Vacances culturelles vingt femmes dans un parcours artistique autour de l’autoportrait. Ateliers d’écriture, séances photographiques et travail chorégraphique sont venus ponctuer les séances tout au long du mois de juillet. Ces femmes se sont ainsi engagées dans une démarche créative autour de l’estime et de l’image de soi.
Le programme, prévu à l’origine pour dix femmes, a été réadapté pour en accueillir le double. Selon Françoise Durizot-Eynaud, coordinatrice territoriale Antilles pour l’association, il s’agit de répondre à un besoin « d’élargir l’offre et d’ouvrir les séances à davantage de femmes », afin que le plus grand nombre puisse en bénéficier.
Récit de ce mois de juillet au Centre pénitentiaire de Ducos, placé sous le signe de la culture.
L’art en milieu carcéral, « un outil de reconstruction »
Ateliers artistiques, d’écriture ou encore de photographie, l’organisation des ateliers en petit comité, d’une durée de deux heures, améliore les moments d’échange entre les artistes et les détenues, ainsi que le confie Françoise Durizot-Eynaud : « je peux vous assurer qu'à chaque fois, entre les artistes et ces femmes, c'est la magie de la rencontre. On ne parle jamais de ce qu’elles ont fait et pourquoi elles sont là.» La culture intervient ici comme levier de reconstruction et d’introspection. Les artistes travaillent ainsi à partir de leur discipline sur la perception que ces femmes ont d’elles-mêmes : « ces ateliers leur redonnent aussi une certaine forme de valorisation et de confiance en elles », ajoute la coordinatrice.
Les artistes choisies, en lien avec la DAC Martinique, sont des personnes déjà très engagées, à l’image de la photographe Elise Fitte-Duval, qui explore, dans son travail artistique, l’humain, le social, les femmes et les difficultés qu’elles peuvent rencontrer. A travers ses ateliers, elle décrit la photographie « comme un outil de reconstruction ».
Au Centre pénitentiaire de Ducos, la photographe, qui intervenait pour la première fois auprès du public détenu, a souhaité, en effet, que les participantes s’approprient pleinement les ateliers et la matière, tout en s’attachant à présenter l’appareil photographique loin des clichés esthétiques : « Il ne s’agit pas juste de les prendre en photo. Il y a une volonté d’utiliser la photographie comme une démarche participative, afin de travailler sur l’estime de soi. »
L’atelier de photographie s’est en outre construit autour de l’image associée aux mots. L’artiste explique avoir ainsi pensé l’atelier autour de l’ancrage culturel, notamment grâce au livre de l’écrivaine Bell Hooks, Cultiver l’appartenance. Ce récit, dont elle a lu des extraits aux femmes, évoque le retour aux racines et correspondait, selon elle, à son propre parcours. Un moment fort dont l’objectif était de les aider à dresser leur portrait, accompagné d’une phrase inspirée du livre : « Le but était de faire un portrait de ces femmes avec un mantra, afin qu’elles puissent mieux affronter le moment qu’elles sont en train de vivre. Pour certaines d’entre elles, cela a été assez inspirant. », décrit-elle.
Un lien de confiance s’est alors établi de manière progressive : « petit à petit, elles jouent le jeu, elles respectent les consignes qu'on leur donne, elles livrent une partie d'elles, celle qu'elles veulent bien partager avec nous. Certaines le disent, les séances leur ont apporté une reprise de pouvoir sur elles-mêmes », indique Françoise Durizot-Eynaud. Une satisfaction partagée par l’artiste qui témoigne de cette évolution dans l’appropriation de l’atelier par les détenues, pourtant difficile à obtenir : « Au départ, elles se méfient de la photographie. L’image qu’elles ont d’elles-mêmes est dégradée. Puis il y a une évolution, une prise en main de l’atelier par certaines participantes. »
Libérer la parole grâce à l’art
Chaque année, l’association établit une programmation particulière pour les femmes en détention, avec des actions spécifiques. « Il est vrai qu'un des publics privilégiés, c'est le public femme en détention, puisque minoritaire. Elles ont des déterminismes sociaux avant l'entrée en détention et des conditions plus complexes que celles des hommes », souligne Marie-Pierre Lacabarats, directrice de Lire pour en sortir. Selon elle, les femmes en prison ont toutes connu dans leur enfance ou dans leur parcours de vie des violences, intrafamiliales ou conjugales. Ainsi, « la question de retrouver sa dignité, la confiance en soi est extrêmement majeure », souligne-t-elle.
La culture se conçoit comme une aide à la libération de la parole. Un objectif qui permet d’observer dans un premier temps les besoins exprimés par ce public, pour une prise de conscience des difficultés de chacune et pour rompre l’isolement. Les ateliers culturels permettent aux femmes détenues de s’exprimer autrement et de retrouver leur dignité dans un espace de confiance et d’échange. Selon Françoise Durizot-Eynaud, certaines posent des mots qu'elles n'ont jamais osé dire auparavant : « Il y a des témoignages dont je me rappellerai toujours, des propos profonds. Cela signifie qu’elle n'osait pas s’exprimer avant ces activités, donc cela encourage forcément une libération de la parole ».
Un levier puissant qui permet d’échapper à l’enfermement et qui permet de construire, en parallèle, les chances de réinsertion. La culture en milieu carcéral, ainsi que le précise avec force Marie-Pierre Lacabarats, représente ainsi un outil fondamental, « une urgence de première nécessité. Il est vrai qu'il faut continuer à agir pour que la culture sous toutes ses formes soit présente en continu au sein de la détention. »
Zoom sur l’association Lire pour en sortir
Fondée en 2014 par Alexandre Duval-Stalla, avocat et écrivain, dans l'objectif de réinsérer les personnes détenues par la pratique de la lecture, l’association Lire pour en sortir intervient auprès du public en milieu carcéral dans 42 prisons partenaires, dont six dans les départements ultra-marins.
L’association, partenaire des ministères de la Justice, des Outre-mer et de la Culture, soutenue notamment par l’administration centrale, les DRAC et DAC, propose aujourd'hui des dizaines d'actions.
De la lecture à l'écriture, en passant par des ateliers révélant l'expression de soi, elle intervient auprès des personnes détenues à travers un accompagnement à la lecture par un bénévole, afin de développer les savoirs de base, lutter contre l’illettrisme et favoriser la réinsertion.
Enfin, Lire pour en sortir permet de développer des rencontres avec des auteurs, lors d’ateliers d'écriture notamment, ou encore d’ateliers de lecture à voix haute et d'éloquence.
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