Sobriété – tel est le maître-mot qui pourrait résumer l’ensemble des interventions contemporaines destinées à remplacer le mobilier détruit à la suite de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Sobriété, mais aussi discrétion et simplicité, qui font entrer de plain-pied la cathédrale dans le XXIe siècle. Dès le 8 décembre, le nouveau mobilier liturgique sera dévoilé au public : un nouvel autel bien sûr, un baptistère, un tabernacle mais aussi d’autres pièces plus méconnues comme la cathèdre – le siège réservé à l’évêque – ou l’ambon, le pupitre d’où sont lus les textes Les visiteurs pourront enfin s’approprier les plus de 1 700 nouvelles chaises, bancs ou prie-dieu.
Derrière ces interventions, on trouve un ensemble d’artistes et de designers regroupés au sein de « l’Atelier Notre-Dame » et choisis par un comité artistique sous la houlette du diocèse de Paris. Près de 69 artistes avaient répondu à deux consultations : l’une pour le mobilier, l’autre pour les assises. Cinq ont été sélectionnés pour chacune d’entre elles. Après avoir étudié leurs propositions, le comité a retenu en juin dernier quatre lauréats : Guillaume Bardet pour le mobilier, Ionna Vautrin pour les assises, Jean-Charles de Castelbajac pour les vêtements liturgiques et Sylvain Dubuisson pour la conception de la châsse-reliquaire qui abrite la couronne d’épines exposée dans la chapelle axiale. Le résultat forme un ensemble cohérent, à la fois contemporain et intemporel, en harmonie avec l’âme de Notre-Dame.
Un mobilier d’une « noble simplicité » avec Guillaume Bardet
L’ensemble de mobilier imaginé par le designer drômois Guillaume Bardet n’est pas la première incursion de l’artiste dans le domaine religieux. Déjà, en 2017, il avait exposé au couvent de La Tourette, près de Lyon, signé Le Corbusier, une table symbolisant la Cène. « Deux ans plus tard, en avril 2019, je devais exposer ce travail à Paris. J'étais en train de faire le montage lorsque Notre-Dame a brûlé. Lors du vernissage, plusieurs personnes ont été frappées par la proximité formelle entre la table et ce que pourrait être le futur autel de Notre-Dame. Je me suis alors dit que j'aimerais participer à la restauration de la cathédrale. »
Le designer a été sélectionné au terme de l’appel d’offre du diocèse, pour lequel il a travaillé six mois durant. « Je me levais et me couchais en pensant à Notre-Dame, à la forme de son mobilier », se souvient-il. Pour le concevoir, il a dû composer avec des contraintes techniques, à commencer par les dimensions imposées de l’autel (1m85 x 1m x 1m15). « Finalement, la forme est née de cette contrainte : je n'ai gardé que le plateau du haut à ces dimensions et enlevé tout ce qu'il y avait en dessous, ce qui lui donne cette forme de bol. »
Pour les matériaux, Guillaume Bardet est allé chercher du côté du bronze. « Ce matériau s'est imposé à moi dès ma première visite à Notre-Dame. La pierre était d’une blondeur qu'on n'avait jamais vue. On sentait que la lumière allait investir la cathédrale. La minéralité était omniprésente et avec le bronze je pouvais "régler le volume", c’est-à-dire ajuster la densité de la teinte de la pièce dans Notre-Dame. » En plus de cette commande de cinq meubles liturgiques, le designer a réalisé trente objets de vaisselle en argent martelé, pour lesquels il a travaillé avec un orfèvre, un travail pour lequel il a épluché des encyclopédies d’objets liturgiques de toutes les époques.
Toutes ces pièces ont été fabriquées de juin 2023 à octobre 2024 par la fonderie d’art Barthélémy Art, à Crest dans la Drôme, près de chez Guillaume Bardet. A quelques jours de la réouverture, l’heure est à la finalisation pour le designer. « Je suis encore tellement concentré que je peux très difficilement être dans l'émotion. Mais une chose est sûre : le lien très intime entre Notre-Dame et moi est inaltérable. »
Les « chaises silencieuses » de Ionna Vautrin
Une forme arrondie et simple et des matériaux sobres comme le chêne et le laiton. Les assises imaginées par Ionna Vautrin se fondent parfaitement dans la nouvelle cathédrale et répondent à l’impératif fixé par le cahier des charges : faire des « chaises silencieuses » – entendez, d’une discrétion à toute épreuve. La designeuse a dessiné près de 1 500 chaises, 170 agenouilloirs, 40 bancs, 80 prie-Dieu (60 individuels et 20 longs). Un travail assez complexe qui devait répondre à plusieurs impératifs. « Le premier est pragmatique : les chaises devaient être empilables, s'attacher les unes aux autres et passer des certifications assez drastiques en termes de sécurité, en cas de mouvement de foule par exemple. Ensuite il y a toute la partie symbolique et de dialogue avec l'architecture. Enfin il y a évidemment l'usage liturgique », résume la designeuse, qui a notamment travaillé avec les frères Bouroullec.
En effet, la designeuse multiplie les références à l’architecture de l’édifice et les échos à l’univers spirituel. C’est – entre autres – les dossiers des chaises qui ont été abaissés pour permettre au visiteur de s’agenouiller pour se recueillir. C’est aussi la forme incurvée des sièges qui rappelle un des éléments les plus fameux de l’architecture gothique (l’arche) tandis que les dossiers, constitués d’élégants barreaux droits, font écho aux colonnes de l’édifice. Quant au bois choisi, le chêne massif, c’est une forme d’hommage à l’un des chefs-d’œuvre emblématiques de Notre-Dame : la charpente du XIIe siècle. Les sièges destinés aux visiteurs et aux fidèles forment un horizon très bas qui souligne de façon impressionnante la verticalité de la cathédrale. « L'idée était donc de plonger au maximum dans cet univers puis de trouver des fils à tirer pour essayer de raconter une histoire cohérente », poursuit la designeuse, spécialisée dans le design industriel, qui s’est plongée dans les livres et a visionné de nombreuses vidéos pour s’imprégner et « prendre la mesure et l'échelle des lieux ». Pour les agenouilloirs, pensés dans l'esprit de la chaise, priorité au confort avec beaucoup d'arrondis pour épargner les tibias et les jambes tandis que les prie-Dieu, pièce hautement symbolique, sont les plus discrets et aérés possible avec seulement trois barreaux. Un soin particulier a été apporté au choix de la couleur du bois, très claire, presque naturelle, pour se fondre dans le décor et s'accorder aux boiseries.
Pour cette commande, la designeuse a fait appel à l’entreprise landaise Bosc, spécialisée dans les chaises, labellisée « Entreprise du patrimoine vivant » avec une gestion du bois raisonnée. « Ils ont vraiment à cœur de travailler avec le tissu local pour faire vivre les savoir-faire de la région. Tous les barreaux et les pieds de chaises sont tournés à la main par un tourneur proche de chez eux. » La fabrication est même 100 % landaise puisque le tournage, le marquage du mobilier et l'ajout des fixations ont été réalisés par des entreprises de ce département.
« L’élan spirituel » de la châsse-reliquaire de Sylvain Dubuisson
C’est l’une des reliques les plus sacrées de la chrétienté. La Couronne d’Épines, une pièce d’une valeur inestimable, a fait l’objet d’une attention exceptionnelle pour la réouverture de la cathédrale. Elle sera abritée dans un nouveau reliquaire conçu par l’artiste et designer Sylvain Dubuisson, qui sera placé dans la chapelle axiale, derrière la Croix de la Gloire conçue par Marc Couturier, comme point d’orgue du déambulatoire.
Ce reliquaire se présente sous la forme d’un grand retable de plus de trois mètres de haut sur plus de deux de large. Il est fabriqué en bois de cèdre – le bois de la Croix – et est serti d’épines de bronze insérées dans des encoches de plus en plus larges pour laisser transparaître la lumière colorée des vitraux. Au centre se trouvent douze cercles concentriques avec des cabochons en verre quadrangulaires sur fond d’or et une demi-sphère d’un bleu profond où sera exposée la Couronne d’épines. « J’ai été particulièrement touché par l’action de la pauvreté, le rapport entre la symbolique qui est incommensurable et la simplicité de cet objet (un simple jonc tressé ndlr). Ce contraste favorise l’élan spirituel », souligne Sylvain Dubuisson, en ajoutant que « tout est dans la douceur et la vibration afin de favoriser la dévotion, qui est toujours première et constante dans la conception d’un tel objet ». Par ce choix des couleurs, le jeu de transparence et l’alliance du verre et de l’or, l’objectif de ce châsse-reliquaire est de capter le regard vers la couronne et donner l’impression qu’elle flotte dans les airs.
Ce trésor ne sera pas visible en continu par les fidèles. Lorsqu’elle n’est pas montrée, la couronne sera abritée dans un coffre-fort dissimulé dans la base du reliquaire en marbre. L’un des enjeux de ce travail a donc été de concilier esthétique de l’objet et haute exigence en termes de sécurité. « Toute la complexité a été d’intégrer ces demandes en les rendant invisibles. La sécurité doit s’oublier et laisser place à la beauté de l’expérience », explique Sylvain Dubuisson. Les fidèles auront toutefois la possibilité de toucher le reliquaire voire de s’asseoir et de s’agenouiller grâce à un système d’emmarchement.
La fabrication de la châsse-reliquaire a été confiée aux Ateliers Saint-Jacques & Fonderie de Coubertin pour le travail du bois, de la fonderie, de la pierre et du métal, et au maître verrier Olivier Juteau pour les cabochons.
« Lumière et rayonnement » des vêtements liturgiques de Castelbajac
« La lumière et son rayonnement ont guidé mon geste créatif », assure Jean-Charles de Castelbajac. Le célèbre couturier a été choisi pour la création de la paramentique, autrement dit pour les étoles, chasubles, dalmatiques et autres chapes des évêques, prêtres et diacres pour la célébration de la messe et des autres offices.
Comme les différents éléments du mobilier, cet ensemble de vêtements liturgiques est marqué d’un double sceau, celui de la simplicité et de la modernité. Avec en plus la signature de Castelbajac : celle des signes colorés, qui rappellent l’identité de la cathédrale (la croix dorée et le jaune, bleu, rouge et vert des vitraux et une forme qui évoque la couronne d’épines du Christ), apposées sur des vêtements à dominante blanche. « La couleur est omniprésente sur les chasubles blanches, en écho aux vitraux qui se reflètent sur les murs de la cathédrale. C’est un honneur et une grande émotion de pouvoir à nouveau mettre mon expérience et mon art au service de l’Église, et de participer au rayonnement de Notre-Dame de Paris pour les cérémonies de réouverture », affirme Jean-Charles de Castelbajac
C’est la deuxième fois que le couturier crée pour l’Eglise après les Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris en 1997. Ces nouveaux vêtements et ornements liturgiques seront produits par de grandes maisons d’art et d’artisanat françaises et offerts à la Cathédrale dans le cadre de mécénats. Ils ont été réalisés pour les 700 célébrants présents lors des cérémonies de réouverture et seront utilisés tout au long de la période inaugurale, jusqu’à la Pentecôte le 8 juin 2025. Après cette date, ils ne seront portés que pour les cérémonies les plus importantes.
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