La ville d'Aix-en-Provence, avec le soutien du ministère de la Culture, met Cézanne à l'honneur en 2025. Exposition labellisée d'intérêt national au Musée Granet, mise en lumière des trois lieux emblématiques du peintre (Jas de Bouffan, atelier des Lauves, carrière Bibémus), exposition interactive pour la jeunesse... une série d'événements incontournables.
Marie-Hélène Lafon (prix Renaudot 2020), quant à elle, avait pris les devants, en publiant dès 2023 son Cézanne, Des Toits rouges sur la mer bleue, un essai tout à fait singulier qui propose une approche romanesque, donc sensible et empathique, de la vie du peintre comme de celle de son entourage, à partir des documents qu’ils ont laissés. Une biographie de la créativité, pour ainsi dire, qui va loin dans l’effort de donner à la subjectivité toute sa puissance d’évocation, toute la force de compréhension qu’on puisse développer pour appréhender un artiste exceptionnel. Entretien.
Comment avez-vous préparé votre roman sur Cézanne (Des Toits rouges sur la mer bleue) ?
Mon étude de la vie et de l’œuvre de Paul Cézanne a été totalement empirique, ou pour mieux dire : organique. Je voulais m’approcher au plus près de lui, comme à tâtons, avec ce qu’il nous reste de sa vie : des lieux, des témoignages, des correspondances, et bien sûr ses œuvres. Épier les gestes du peintre dans l’atelier des Lauves, mais aussi dans ses autres ateliers. Le fréquenter au bord de l’Arc, le croiser à Auvers sur Oise, le suivre sans être vue dans les carrières de Bibémus… Appréhender son désir de peinture, sa perception de la lumière, du vent : chercher le mystère de cette sensibilité de peintre, apte à saisir les moindres vibrations qui émanent d’un paysage, d’un personnage, d’un drapé ou de pommes. S’approcher enfin de Cézanne par le truchement du regard des siens, tous ceux qui ont vécu en ses entours : père, mère, sœur, et quelques autres comme le docteur Gachet ou le jardinier Vallier…
Précisément, la Ville d’Aix, à l’occasion de l’Année Cézanne, a mis à l’honneur trois lieux emblématiques de la vie et de l’œuvre du peintre : le Jas de Bouffan, l’atelier des Lauves, les carrières de Bibémus. Quelle est votre expérience de ces trois lieux ?
J’ai eu la chance de les découvrir – je ne les connaissais pas – en juin 2022, par une chaleur dont Paul Cézanne lui-même parle en des termes stupéfiants dans ses dernières lettres… Chaleur suggestive et stimulante, si je puis dire, parce qu’elle donnait le sentiment de rejoindre les sensations du peintre à plus d'un siècle de distance.
Ces lieux sont éminemment suggestifs, je dirais vibrants, non-fossilisés. Et notamment l’atelier des Lauves que Cézanne s’était choisi pour sa situation en face de la montagne Sainte-Victoire, après avoir vendu le Jas de Bouffan, à la suite du décès de sa mère.
Cependant, il y avait lieu de craindre, quant à l'atelier des Lauves, une certaine « fossilisation ». Dans mon livre, je l'appelle « l’atelier fendu » parce que Cézanne avait pris soin de faire ménager dans sa façade, côté verrière, une fente haute et étroite destinée à permettre la circulation des très grands formats, notamment ses Baigneuses, que l’escalier trop étroit ne pouvait accueillir.
Quant aux carrières de Bibémus, bien qu’on ne les visite qu’en groupe, elles demeurent magiques.
Et je conserve un grand souvenir de ma visite du Jas de Bouffan. La restauration s’achevait à peine. Les pièces étaient nues, équarries, livrées à la lumière. C’était somptueux, dans l'écrin parfait du parc, et cela reste inépuisable dans ma mémoire…
Que diriez-vous à quelqu’un qui ne connaîtrait pas ou très peu l’œuvre de Cézanne, pour l’inviter à s’y plonger sans mesure ?
D’abord je l’inviterais à s’intéresser, dans les œuvres du maître, à la peinture stricto sensu : l’aventure de la lumière et des formes, leurs noces toujours recommencées dans le cadre du tableau. La touche de son pinceau, ses couleurs, ses réserves étudiées.
De là je lui proposerais de contempler ces pays et ces paysages, en gloire et à vif : les Montagnes Sainte-Victoire, bien sûr, mais aussi les paysages à l’Estaque ou à Auvers… Enfin, je lui conseillerais de s’attarder à tous ces visages (ses autoportraits, les portraits de son épouse, d’Ambroise Vollard, du jeune homme au gilet rouge, de son père lisant le journal…), à toutes ces mains (depuis celles, à peine débrouillées, du portrait de sa femme conservé au MET, jusqu’à celles des joueurs de carte, en passant par celles du paysan assis conservé à Orsay, ou aux mains mêmes du peintre, telles qu’on les voit sur la célèbre photo où il se tient, jambes croisées, devant ses Baigneuses). Et puis, j’attirerais son attention sur les mouvements des corps dans ses peintures. Et enfin je laisserais faire le silence.
Une exposition d'intérêt national au Jas de Bouffan
Jusqu'au 12 octobre 2025, en résonance avec l'ouverture progressive de la demeure de Cézanne (le Jas de Bouffan) et la rénovation de son atelier des Lauves (face à la Montagne Sainte-Victoire), le musée Granet d'Aix-en-Provence présente une exposition rassemblant des œuvres conservées aujourd'hui dans les collections du monde entier. Elle reconstitue aussi en partie l'espace intérieur du Jas de Bouffan, que Cézanne avait orné de ses propres fresques.
Une sélection exceptionnelle de plus de 130 peintures, dessins et aquarelles, avec, pour chaque section de l’exposition, des œuvres telles que ses baigneurs et baigneuses, ses natures mortes, et ses paysages de la bastide familiale, sans oublier ses portraits et autoportraits.
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