En 1624, Richelieu faisait l’acquisition de l'hôtel de Rambouillet et différentes parcelles attenantes pour y faire construire, par Jacques Lemercier, le Palais Cardinal, devenu ensuite le Palais Royal. L’année 2024 marque ainsi les quatre cents ans de ce site situé en plein cœur de Paris, qui a fait l’objet, depuis cet acte inaugural, de nombreuses transformations.
Après ses changements d’affectation au fil des années et des changements de régime, le Domaine national du Palais-Royal, qui abrite aujourd’hui plusieurs institutions éminentes, dont le ministère de la Culture, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel et la Comédie-Française, est aujourd’hui géré par le Centre des monuments nationaux. À l’occasion des Journées européennes du patrimoine, il a fêté son anniversaire avec une série de visites et d’animations retraçant, pour certaines d’entre elles, les grandes et petites histoires de ce lieu d’exception.
Un lieu en perpétuelle transformation
Appelée à l’origine le Palais Cardinal, cette résidence d’Etat est devenue le Palais Royal après que Richelieu l’eut légué à Louis XIII. « C'est une demeure qui sera toujours mise au goût du jour, un palais qui va être abondamment remanié », raconte Aymeric Peniguet de Stoutz, administrateur du Domaine national du Palais-Royal. Ces transformations successives font qu’il reste parfois peu de traces de certaines époques. Les souvenirs de la construction originelles se comptent sur les doigts d’une main avec par exemple des consoles à écailles têtes de lion rue de Valois et la galerie des proues au rez-de-chaussée de l'aile de Valois.
À la fin du XVIIIe siècle, l'architecte Victor Louis va faire construire, à la demande du duc de Chartres, son nouveau propriétaire, ce rectangle fermé sur les trois côtés par les trois ailes Valois, Beaujolais et Montpensier et, le long du quatrième, par le corps palatial sur la Cour d'honneur qui donne la configuration actuelle au Palais-Royal. Un audacieux ensemble architectural, que Colette, fidèle des lieux, appelait le « quadrangle ».
Rendez-vous de la haute société
Dès le XVIIIe siècle, le Palais Royal a été très vite ouvert au public « tout d’abord dans un souci écologique, afin de faire profiter aux habitants d'un poumon vert dans la capitale, mais aussi par désir d'ostentation pour que Richelieu, la famille royale puis ensuite la famille d'Orléans montrent leur puissance et leur bon goût », poursuit Aymeric Peniguet de Stoutz. Louis-Philippe d'Orléans (1747-1793) va dédier les 180 arcades du rez-de-chaussée au commerce avec des magasins luxueux dédiés à la mode, aux estampes, aux livres, aux bijoux ou à l’horlogerie.
Parmi ces commerces, on trouve aussi des cafés et des restaurants, des lieux particulièrement novateurs pour l’époque. « Ils vont permettre aux plus fortunés de pouvoir se restaurer hors de chez eux dans un cadre luxueux avec beaucoup de restaurants très onéreux, où l’on mange beaucoup plus cher que dans les auberges autour du Palais Royal. » On y trouve aussi, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, d’autres sortes de « loisirs » : les maisons de jeu et de prostitution. Ces maisons vont être peu à peu chassées des jardins après la Révolution de 1830. « Cela a marqué un tournant pour le Palais Royal, qui ne sera plus jamais le lieu à la mode qu'il a été, celui des promenades mondaines, des rencontres et des échanges. »
Libertés journalistiques et culturelles
Autre particularité du Domaine : la police n'intervenait pas dans les jardins, l'uniforme y est proscrit, ce qui en fait un véritable espace de liberté. « On y distribue ce qu'on appelle les feuilles à la main, c'est-à-dire des journaux manuscrits, imprimés, mais aussi des journaux parlés avec des crieurs de nouvelles. » On y trouve d’ailleurs un lieu emblématique : l'arbre de Cracovie, apparu au XVIIIe siècle. « Il y a une discussion pour savoir si ce nom était dû au fait qu'on y racontait des cracks ou si c’était parce qu'on y commentait les nouvelles de Pologne, lieu où se jouent beaucoup de transformations politiques et de conquête », commente Aymeric Peniguet de Stoutz. Le mot « crack » est donc apparu à cette période et va ainsi être régulièrement associé à cet arbre, lieu de nombreuses infox répandues au Palais Royal.
C’est dans ce contexte d'effervescence journalistique, intellectuel et artistique que va se préparer également la Révolution française. Deux jours avant la prise de la Bastille, le 12 juillet 1789, Camille Desmoulins monte sur une chaise du café de Foy, du côté de la galerie de Montpensier et appelle à l'insurrection.
Colette et Cocteau et… les chats de Richelieu
Tout au long de ces quatre cents ans d’histoire, le Palais Royal va être traversé par des personnalités et intellectuels. Parmi ces grandes figures, on retiendra Diderot, Restif de La Bretonne ou Balzac pour qui le Palais Royal est un des épicentres de La comédie humaine. Au XXe siècle, des artistes vivent sur place comme Colette dans l'aile de Beaujolais, Cocteau dans celle de Montpensier, le philosophe Emmanuel Berl et son épouse la chanteuse Mireille ou encore le peintre Foujita qui a séjourné dans l'aile de Beaujolais. Ces illustres habitants ont tous eu le même règlement de copropriété et pour cause : celui-ci n’a pas changé depuis les lettres patentes du duc d'Orléans de la fin du XVIIIe siècle.
Parmi ce beau monde, on retrouve également Félimare, Serpolet ou encore Perruque. Voici quelques-uns des quatorze chats de Richelieu qui, d’après la légende, avaient une pièce réservée rien qu’à eux au sein du Palais. « Le cardinal leur consacrait beaucoup d'attention et il a même veillé, dans son testament, à ce qu’on continue à les soigner après sa mort. Vous avez d’ailleurs beaucoup de toiles qui représentent Richelieu avec ses chats. On les associe évidemment à la ruse du cardinal et à son côté parfois féroce quand il fallait l'être. »
Il est midi pétante !
Les Journées européennes du patrimoine sont l’une des rares occasions d’entendre, à midi, un son bien particulier : le coup du canon méridien. Au XVIIIe siècle, cet instrument servait à indiquer le « midi vrai » aux habitants pour qu’ils puissent régler leurs montres mécaniques à une époque où l’heure légale était encore l’heure solaire. Cet appareil, qui tient son nom au fait que le méridien de Paris traverse le jardin du Palais Royal, se présente sous la forme d’un cadran solaire relié à un canon dont la mise à feu se fait par une loupe qui concentrent les rayons du soleil à midi. « Je ne vous surprendrai pas en vous disant que c'est une légende. Il fonctionnait très bien mais le soleil parisien est tel qu’il n’y avait pas tous les jours suffisamment de soleil pour mettre à feu le canon. Il était donc mis à feu manuellement », rappelle Aymeric Peniguet de Stoutz.
Reste que ce canon a rencontré un énorme succès, a même donné naissance à l’expression « midi pétante ! » et est même présent dans les mémoires de Casanova qui vient régler ici sa montre. Il fonctionne encore pour de grandes occasions comme la Fête nationale le 14 juillet, l’anniversaire de la Libération de Paris le 25 août ou celui de la Constitution le 4 octobre.
Petites histoires dans l’Histoire
Chaque arcade du Palais Royal amène son lot d’anecdotes. Au 32 des galeries Montpensier, on trouve un personnage qui a marqué à sa manière l’histoire de France : le chapelier Poupard, célèbre pour avoir créé le bicorne de Napoléon à la forme si singulière. C’est au 177 galerie de Valois que Charlotte Corday aurait acheté chez Badin le couteau qui a servi à tuer Marat en 1793. « En réalité, Charlotte Corday dit, lors de son procès, qu'elle a bien acheté son couteau au Palais Royal, mais qu'elle ne se souvient absolument pas où exactement. Cela fait partie des légendes du lieu. » Au 104, le marchand de comestibles Au gourmand, dont l’une des enseignes est conservée au musée Carnavalet, tenue par Corcellet, était le haut lieu de la gastronomie parisienne pour les Parisiens fortunés du début du XIXe siècle, notamment Proust qui y achetait son café.
Enfin le lieu est traversé par des histoires plus tragiques comme celle de Saartjie Baartman, appelée la « Vénus hottentote ». Au début du XIXe siècle, cette femme africaine fut exhibée et prostituée en Europe avant de mourir en 1815 dans la Cour des fontaines du Palais Royal, l’actuelle place de Valois, chez le propriétaire d'une ménagerie qui en avait fait une de ses attractions. Enfin Suzanne Spaak, résistante belge pendant la Seconde Guerre mondiale, a résidé au Palais Royal avant de mourir à la prison de Fresnes, quelques jours à peine avant la Libération de Paris. « Elle a fait partie du mouvement national contre le racisme qui va sauver des rafles une soixantaine d'enfants juifs », complète Aymeric Peniguet de Stoutz, qui réfléchit, pour ces deux personnalités, à un hommage au Palais Royal.
Quatre cents ans d’histoire fêtés lors des Journées européennes du patrimoine
Pour célébrer les quatre cents ans du Domaine, le Centre des monuments nationaux a organisé, lors des Journées européennes du patrimoine, une série d’ateliers pour replonger à l’époque de Richelieu. Les plus jeunes ont par exemple pu s’initier à l'escrime en tenue de mousquetaires ou bien découvrir la salle réservée aux chats du Cardinal. Des visites commentées sur les ducs d'Orléans ou les sculptures du Palais Royal ont également été organisées.
En point d’orgue, samedi 21 septembre à 15 heures, la fanfare à cheval du régiment de cavalerie de la Garde républicaine a donné une représentation dans les jardins avec une déambulation de 23 chevaux. C’est la première fois que cette unité musicale se produit dans ce lieu historique.
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