C’est en 2011 que M. Raymond Reylé, alors maire de Chalezeule, propose au conseil municipal de s'engager dans la réalisation d'une œuvre d'art en hommage à toutes les femmes anonymes qui sont oubliées des commémorations des 11 novembre 1918 et 8 mai 1945 malgré leur rôle déterminant pendant les guerres. La commune de Chalezeule (1 250 habitants) dont le territoire longe le Doubs sur 4,5 km environ, dans un cadre champêtre dominé par des coteaux boisés, est un village rural qui tient à le rester malgré la frontière commune avec sa grande voisine, la ville de Besançon. Le projet fait son chemin et s'élargit aux « femmes oubliées des guerres et des hommes en général ».
En 2012, la Direction régionale des affaires culturelles ( DRAC ) de Franche-Comté vient l’accompagner dans le cadre du dispositif de la commande d'œuvres d'art pour l'espace public du ministère de la Culture et de la Communication. La réflexion est lancée avec le conseil municipal. Il ne s’agira pas d’offrir aux habitants et aux visiteurs un monument ou un mémorial conventionnel, mais d'oser l'aventure d'une œuvre d’art à la hauteur des questionnements actuels sur la présence de l'art dans l'espace public. Le Fonds Régional d'Art Contemporain ( Frac ) de Franche-Comté a été associé au développement du projet dans la durée, notamment par un accompagnement en médiation à destination des scolaires.
Un appel à candidatures a été publié en juin 2013. 47 candidatures ont été reçues. Trois artistes ont été pré-sélectionnées et ont rendu de beaux projets en décembre 2013. Après entretien du jury avec chacune d'entre elles, Estefanía Peñafiel Loaiza a été lauréate en janvier 2014.
Le projet œuvreuses est retenu pour la richesse des lectures possibles et la compréhension de la vie de la commune. Il répond à la commande de manière poétique, avec une rigueur intellectuelle qui lui permet d’affirmer une position esthétique ferme, tout en proposant aux chalezeulois une place à l’échelle du lieu à habiter simplement.
Un espace est redessiné pour former une petite agora, bien située, à l’usage de tous. Un arbre est planté en contrebas. Son tronc est soigneusement gravé d’une soixantaine de noms de métiers au féminin qui se déroulent en spirale. Il faut s'approcher et tourner autour de l'arbre si l'on souhaite lire les mots. Contrairement à une idée reçue, la langue française se prête tout à fait à la féminisation des termes masculins. Les noms de métiers au féminin surprennent parfois par le type de métier féminisé ou par la forme féminisée à laquelle l'oreille et l'œil ne sont pas toujours habitués. L'attention portée à la lecture de cette liste peut soulever de nombreuses interrogations : qu'ont fait les arrimeuses, les convoyeuses de l'air, les hiercheuses, les munitionnettes ? Depuis quand existait-il des ramoneuses, des forgeronnes ? Peut-on vraiment employer les mots écrivaine, menuisière, cultivatrice ? Le sujet s'élargit, au-delà des périodes de guerre, jusqu'à nos jours, ainsi qu'il l'était souhaité. L'importance de la représentation par le langage est soulignée.
L'inscription sur un tronc est un geste furtif, à la fois rude et familier, qui joue avec les interdits pour conjurer le temps. Il est utilisé ici de manière raisonnée. L'arbre est la part vivante de l'œuvre qui intègre le phénomène de l'oubli et le rend durablement visible. L’aspect des mots gravés évoluera avec la croissance de l’arbre, la cicatrisation de l’écorce, le temps qui passe. La main humaine n’interviendra pas pour restaurer les inscriptions, la lisibilité deviendra partielle tout comme l'est la mémoire, volontairement ou non. L'œuvre n'en reste pas moins pérenne dans son ensemble. Elle ne disparaît pas, elle évolue et devient matière à raconter une histoire, comme l'est son titre. œuvreusesest un mot inventé par l'artiste, combinaison d'ouvrières / ouvreuses, d'œuvrer/ouvrir.
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