Voie royale ou miroir aux alouettes ? La question de l’événementiel, outil de médiation devenu aujourd’hui incontournable, fait débat dans la vie des musées. Lors d’un atelier-action qui s'est tenu le 22 juin dans le cadre du colloque "Vie des musées, temps des publics", trois spécialistes ont donné leurs points de vue (2/3).

Depuis plusieurs années, les musées ont, de plus en plus, recours à l’événementiel pour approcher de nouveaux publics. Cet outil de médiation a été l’objet de toutes les attentions lors de l’atelier-action "L'événementiel, un outil pour créer du désir de musée ?", organisé le 22 juin au musée du quai Branly-Jacques Chirac dans le cadre du colloque "Vie des musée, temps des publics" à l’initiative du ministère de la Culture.

L’événementiel, un enjeu économique

"L'entrée des musées sur le marché de l'événementiel, s'est faite alors que ces derniers se trouvaient confrontés à une conjoncture défavorable – la crise financière de 2008 – ainsi qu'à la nécessité d'accueillir des visiteurs à la recherche d'expériences, car c'est bien ce que le public d'aujourd'hui désire", relève Anne Krebs, qui dirige le service Études et Recherches du musée du Louvre. Un enjeu social et économique face auquel toutes les institutions ne sont pas égales. "Les grands musées, qui jouissent d'une fréquentation internationale ainsi que de moyens importants, représentent moins de 1% d'un ensemble constitué de 80 à 85% de musées de proximité, souvent situés en zone rurale avec des visiteurs essentiellement locaux. Les 10% à 15% restants sont les musées-événements qui fonctionnent aujourd'hui sur une logique de production d'événements".

Au-delà des moyens dont il dispose, tout musée est susceptible de bénéficier des retombées positives induites par une entrée sur le marché de l'événement en termes de communication, d'image aux yeux des publics ou encore de regard porté par les élus sur l'institution. Cette avancée demeure néanmoins "délicate" dans le sens où elle peut prendre la forme d'une "fuite en avant" et "mettre l'art au service de l'événement" plutôt que l'inverse – en transformant, par exemple, le musée en un simple décor pour une manifestation donnée. L’événementiel, sphère hautement concurrentielle et propice à la surenchère, est en outre susceptible de faire perdre au musée une partie de ses visiteurs dès lors que ces derniers cessent de reconnaître le nouveau visage que prend « leur » institution.  "La question du sens donné à l'événement est à cet égard essentielle", conclut Anne Krebs. "Et pour la traiter, il faut nécessairement partir des petits musées, largement majoritaires en France".

La question du sens donné à l'événement est essentielle

L’événementiel, un enjeu pour l’espace public

"Nous pourrions dire que nous sommes entrés dans un régime attentionnel, où l'attention est devenue un bien rare, difficile à capter", analyse Emmanuelle Lallement, cheffe du département de la politique des publics à la direction générale des patrimoines du ministère de la Culture qui précise "endosser pour l'occasion [sa] casquette d'ethnologue". Citant le tournant pris par la ville de Paris en 2002 avec la mise en place de manifestations telles que Paris Plage ou la Nuit Blanche, Emmanuelle Lallement questionne directement la place occupée par l'événementiel dans l'espace public. Elle évoque ainsi une "logique de reconquête de l'urbain" et "une rhétorique autour de la convivialité, de la popularité" pouvant faire l'objet, selon le point de vue où l’on se place, d'une approche critique ou plus constructive.

"On peut considérer que tous ces événements n'en sont plus puisque l'on est, précisément, dans une logique événementielle, et parler d'homo festivus comme l'avait fait Philippe Muray dans les années 1980 ou Michel Foucault avant lui", observe-t-elle. "Mais finalement, il n'y a rien là de très nouveau sous le soleil : la Saint-Jean, le Carnaval représentaient autant de soupapes pluriannuelles soigneusement codifiées, inscrivant ceux qui y participaient dans un rythme événementiel bien huilé, avec une promesse de vivre-ensemble à l'horizon. Il y a là un effet de ritualité, qui ordonne le quotidien de la ville, dans une logique de rendez-vous et d'enchantement".

L’événementiel, un enjeu international

La franco-canadienne Vanessa Ferey, enseignante chercheuse en muséologie, remet quant à elle la question des musées dans une perspective internationale. "Les limites de la médiation culturelles que nous pouvons observer au sein des musées sont liées aux différentes cultures du musée à travers le monde", affirme-t-elle, en précisant "qu’il s'agit de réinventer des liens entre le politique, le culturel, le social".

Soulignant le renouvellement des musées de sciences au cours des quarante dernières années, elle détaille la manière dont ces derniers se saisissent de thèmes touristiques et populaires pour offrir des expositions très courtes, à même de renouveler régulièrement la participation de la population locale et des touristes internationaux. "Cette idée de se réaliser à travers l'expérience des musées va toutefois de pair avec un événementiel qui respecte les missions du musée", prévient-elle.

Au terme de la journée, les participants de l'atelier s'accordent à dire que pour véritablement créer du "désir de musée", un événement doit faire sens par rapport aux collections auxquelles il se rapporte, au territoire dans lequel il s'inscrit, aux publics qu'il vise ainsi qu'à l'intention à l'origine de sa création – qu'il s'agisse de séduire, fidéliser ou convaincre.

Travaux pratiques : comment créer un événement dans un musée ?

La seconde partie de de l’atelier-action "L'événementiel, un outil pour créer du désir de musée ?" était consacrée à des simulations de cas pratiques. Divisées en plusieurs équipes, les personnes présentes ont été chargées de concevoir en 2h30 un événement suivant les critères et objectifs qui leur ont été assignés. "Des points communs reviennent dans le travail de chaque groupe : l'implication des acteurs du territoire et des relais – ouvriers, étudiants, tissu associatif local... – le choix d'un format qui fait sens par rapport aux lieux et aux collections, la gratuité des événements et leur aspect festif, convivial, social", souligne Charlotte Fesneau, organisatrice de l’atelier et responsable du service de la médiation et de l’accueil au musée du Quai Branly. Compte-rendu.

> Le premier groupe doit ainsi mettre en valeur un lieu mémoriel, dans une banlieue de grande ville, en montant un événement annuel tout public avec des moyens humains et financiers importants. Sous le slogan "Ramenez vos bobines", il organise 24h d'activités dans une manufacture textile, incluant des visites guidées théâtralisées, des ateliers, une soirée forum, un petit-déjeuner convivial et un défilé parrainé par un grand nom de la mode.

> Le deuxième groupe, qui doit composer avec un monument en zone rural et des moyens financiers et humains limités pour créer un événement récurrent à destination des jeunes, décide de jouer sur la réappropriation d'un patrimoine industriel en friche. Il met en place un week-end annuel d'animations dans Bataville, petite ville fantôme de Moselle construite dans la mouvance Bauhaus. Street-art, jeu de piste, témoignages des retraités de l'usine autour d'un barbecue et visite guidées rythment ces deux journées.

> Chargé de mettre en place un événement unique et familial dans le centre culturel d'une ville de 100 000 habitants avec des moyens humains forts et des moyens financiers faibles, le troisième et dernier groupe opte pour un événement célébrant la réouverture de l'établissement après travaux. Afin de faire connaître le lieu et présenter sa programmation culturelle, le Centre ouvre ses portes tout un dimanche. Au programme : yoga, repas participatif, ateliers de jardinage, de couture, de lecture, siestes électroniques, spectacle et concert.