Avant l’attribution du Goncourt des détenus, plusieurs auteurs sélectionnés se sont rendus dans des centres pénitentiaires pour défendre leur livre. L’une de ces rencontres se déroulait en présence de Brigitte Giraud, prix Goncourt 2022. Reportage.

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La bibliothèque de la maison d’arrêt départementale du Val-d’Oise à Osny est pleine à craquer cet après-midi. Les cadeaux sont prêts du côté de Taylord : bouquet de fleurs en papier et tableau en forme de cœur, fabriqués lors des ateliers d’arts plastique menés au sein du centre seront remis à la fin de la rencontre à l’invitée du jour. Celle-ci n’est pas n’importe qui : Brigitte Giraud, tout juste auréolée du prix Goncourt pour Vivre vite (Flammarion), vient à la rencontre des quinze jurés du dernier-né des prix littéraires, le Goncourt des détenus, qui sera remis le 15 décembre au lauréat.

Le centre pénitentiaire du Val-d’Oise est l’un des 31 lieux de détention retenus en France pour cette première. Une candidature logique pour l’établissement, doté d’une belle bibliothèque et qui songeait même il y a deux ans à lancer son propre prix littéraire en interne. « Et aujourd’hui, le prix Goncourt est là ! », s’enthousiasme l’une des encadrantes du groupe. Pour guider les détenus dans la difficile mission de la concertation puis de la délibération, leurs trois professeurs de littérature ont mené un gros travail en amont ; les quinze détenus ont été divisés en trois groupes pour mieux travailler sur les livres en lice. Leur emploi du temps est bien chargé puisqu’ils ont reçu en septembre les ouvrages pré-sélectionnés, ont consulté les fiches de présentation élaborées par le Centre national du livre (CNL) et regardé les vidéos enregistrées par des auteurs. « Il était donc important pour nous que cette rencontre se passe au centre scolaire car la littérature, la lecture et l’écriture, sont les axes principaux de notre travail », résume Carole Madec, responsable de l’enseignement.

Une rencontre autour des thèmes principaux du livre

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Dans la salle, jurés et autrice se font face. Premier à se lancer parmi le groupe, Yanis avoue « avoir eu du nez » en optant pour Vivre vite dans la liste. « Je l’ai choisi par rapport au titre et le roman m’a déstabilisé », avoue-t-il. Dans ses mains, une copie double bien remplie. « J’ai pris des notes en lisant, pour les choses les plus marquantes », explique-t-il avant de dévoiler un résumé très détaillé de l’intrigue, des personnages et des dates-clés afin de donner à ses camarades qui n’ont pas encore lu le livre le plus de renseignements possible sur l’histoire.

Dans ce livre, l’autrice mène l’enquête et tente de comprendre l’enchaînement des événements qui a conduit, il y a 23 ans, à l’accident de moto qui a coûté la vie à son mari. Très vite, les questions se succèdent autour des grandes thématiques de l’ouvrage : la mort, le deuil, le regret et la destinée mais aussi la mondialisation. « Pourquoi ne sortir le livre que maintenant ? », demande l’un. « L’avez-vous écrit pour l’effet catharsis ? », poursuit un autre tandis qu’un dernier se questionne sur la trouvaille du titre. « Ce sont des questions clés que beaucoup de personnes me posent, explique Brigitte Giraud. C’est un livre qui parle de l’homme de ma vie et il fallait être à la hauteur de cette histoire d’amour. Pour écrire, il faut aller bien, être traversé par l’énergie. » 

Au fond de la salle, livre en main, Ouada a beaucoup à dire. « Ce livre m’a fait beaucoup de bien. Je ne suis pas un grand lecteur mais je suis rentré dedans tout de suite. Votre œuvre va servir à d’autres personnes, les éclairer pour faire leur deuil. » Taylord va dans le même sens. Une partie du récit est consacré à une enquête sur la moto importée du Japon conduite par le compagnon de Brigitte Giraud lors de son accident mortel. « C’est un livre qui pourrait marcher en Martinique car il y a eu beaucoup de motos de ce modèle et l’enquête que vous avez menée va parler à beaucoup de personnes. »

Votre œuvre va servir
à d’autres personnes,
les éclairer
pour faire leur deuil

Le Goncourt des détenus, un outil de réinsertion par la lecture

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Ce prix Goncourt des détenus, lancé cette année par l’Académie Goncourt et le CNL est, au-delà de l’aventure littéraire, également un outil de réinsertion pour les détenus. « Cette action est au cœur de nos métiers, l’administration pénitentiaire est sensible à ces questions d’accès à la culture et plus précisément à la littérature. On travaille la réinsertion en leur ouvrant des perspectives nouvelles et les détenus sont extrêmement réceptifs », note Mariella Sognigbe, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation au SPIP (service pénitentiaire d'insertion et de probation) du Val-d’Oise, chargé du suivi des détenus.

Ainsi, à travers la lecture, l’écriture mais aussi ces rencontres avec les auteurs, les personnes détenues préparent leur parcours de réinsertion avec ce dispositif qui favorise la concentration, la confiance, la réduction de la violence et l’ouverture des imaginaires. « Ce prix, c’est comme une lumière qui s’allume, résume Aïka Andonian, professeur de lettres depuis neuf ans en centre pénitentiaire. On les voit beaucoup évoluer dans leur manière de réfléchir et ces livres résonnent beaucoup par rapport à leur histoire personnelle. » Les bienfaits de la lecture se répercutent au-delà des murs de la bibliothèque. « Aujourd’hui on est quinze mais en réalité, on est beaucoup plus, souligne l’un des jurés. Ce prix touche beaucoup de personnes car on en parle aux autres détenus. »

L’échange terminé, la rencontre se mue en séance de dédicaces. Au fond de la salle, Mohammed et Shan, conquis, font le bilan. « Nous n’avons pas encore lu le livre mais le résumé nous a accrochés. Surtout, c’est une histoire vraie et c’est ce qui nous intéresse le plus. » Pour Taylord, Vivre vite a réussi à aborder des thèmes qui saisissent directement les détenus. « Dans la vie, on a tendance à procrastiner mais la prison nous apprend justement à ne rien remettre à après et le livre parle du regret de ne pas avoir fait les choses sur le moment. C’est toujours un moment fort pour nous quand une personne de l’extérieur vient nous voir. Ici, les préjugés tombent. »

Pour Brigitte Giraud, déjà autrice d’une douzaine de romans, cette rencontre en milieu pénitentiaire n’est pas une première et son premier livre – La chambre des parents – se focalisait d’ailleurs sur un personnage principal en milieu carcéral. « Tout cela me semble indispensable, c’est un engagement au-delà de l’écriture et cela a du sens d’être ensemble et de se rencontrer. Un écrivain a une responsabilité dans la société et ne doit pas être coupé du monde. Je n’imaginais que cet échange serait d’une intensité si folle et que je serais lue de cette façon. » Une rencontre à la fois pointue et instructive pour le groupe. « C’est comme un arc-en-ciel avec toutes ses couleurs, conclut Ouada. Même si l’on a des positions différentes, on a réussi à échanger nos valeurs et à se mélanger. »

Le calendrier du Prix Goncourt des détenus

Trente-et-un établissements pénitentiaires sont engagés dans cette première édition du Prix Goncourt des détenus. Durant plus d’un mois, de début septembre à mi-octobre, les détenus ont lu et étudié l’ensemble des ouvrages de cette sélection 2022 dont les exemplaires auront été préalablement envoyés par le CNL. Pour nourrir leur réflexion, ils ont échangé avec les auteurs en lice lors des rencontres organisées par le CNL, en visio ou en présentiel, entre le 17 octobre et le 11 novembre.

Cette phase de lecture et de débats a permis à chaque établissement de sélectionner trois romans. Cette liste réduite sera défendue par une personne détenue lors d’une délibération régionale avec d’autres centres dès le 21 novembre. À nouveau, ce groupe réduit choisira une nouvelle liste de trois ouvrages pour la dernière étape, celle de la délibération nationale, qui se déroulera jeudi 15 décembre au matin au Centre national du livre. C’est là que treize détenus représentant chaque direction régionale devront se mettre d’accord et proclamer un lauréat.