Contexte historique local
Dans les années 1950, Aix-en-Provence connait un dynamisme urbain intense et généralisé qui engendre un changement d’échelle radical, le plus important de toute son histoire. La ville sort alors brutalement d’un immobilisme urbain qui aura duré plus de 200 ans, du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle.
La prospérité d’Aix atteint son apogée au XVIIe siècle, un moment où la croissance urbaine est continue : extension du faubourg des Cordeliers, création de nouveaux quartiers : Villeneuve (1583[7]), Villeverte (1605), Mazarin (1646).
Jusqu’au début du XXe siècle, la physionomie de ce cadre urbain hérité du Grand Siècle restera quasiment inchangée.
Seule, au XIXe siècle, la création du faubourg Victor-Hugo entre la gare de voyageurs et la place de la Rotonde constitue une extension significative. On retient également qu’au cours de ce siècle, la décision[8] de détruire les portes[9] et les remparts[10] qui enserrent la ville amorce l’urbanisation progressive mais systématique que cette dernière va connaître de façon timide dans l’Entre-deux-guerres puis intensive dans les années 1950-1960.
Une urbanisation qui touche principalement les quartiers limitrophes au centre historique : secteur du Pavillon Vendôme, quartier de la Gare, Saint-Jérôme, les Arts et Métiers, La Violette et Saint-Eutrope, les Minimes. S’érige alors un habitat peu dense, dispersé, qui se dégage encore mal du paysage rural et qui s’établit le long des principales voies de communication convergeant vers le centre (route vers Marseille, Avignon, les Alpes et Nice) comme l’atteste la photographie aérienne de la ville prise en 1944.
Cet immobilisme qui lui vaut le surnom de "belle endormie[11]" résulte d’une évolution démographique stagnante.
La ville a compté moins de 30 000 habitants de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe. Il faut attendre l’Entre-deux-guerres pour que ce chiffre soit dépassé en 1926 avec 35 000 habitants. Après la Seconde guerre mondiale, en 1945, elle atteint 45 000 habitants. De là, sa croissance démographique explose, en trente ans la ville gagne 70 000 habitants et devient en 1974, une ville de 115 000 habitants.
Evolution de la population d'Aix-en-Provence entre 1790 et 1974 :
Années | Population | Années | Population | Années | Population |
1790 | 28 000 | 1921 | 29 800 | 1954 | 54 217 |
1801 | 23 000 | 1926 | 35 000 | 1962 | 72 676 |
1901 | 29 300 | 1936 | 42 615 | 1968 | 93 671 |
1911 | 29 300 | 1946 | 46 053 | 1974 | 115 000 |
L’origine de ces nouveaux migrants est multiple. La population augmente par l’apport des personnels de grandes entreprises nouvellement installées dans la région[12] : Cadarache, Shell-Berre, Sud-Aviation actuelle Eurocopter, la société du Canal de Provence ; l’installation de rentiers et retraités[13] qui choisissent Aix comme lieu de résidence en raison du prestige de son cadre architectural, sa qualité de vie, sa vocation culturelle (Université, Festival international d’art lyrique…) et touristique (thermalisme…) ; et, en 1962, par l’arrivée massive des rapatriés d’Algérie[14].
Cette puissante poussée démographique fait apparaître de façon brutale les besoins de la ville en logements nouveaux.
Le parc immobilier vétuste et insalubre[15], hérité de la ville historique, la faible densité de construction de l’Entre-deux-guerres et le patrimoine foncier communal extrêmement faible plongent Aix dans une crise du logement aigüe.
La municipalité fait établir, à partir de 1952, un plan d’aménagement et d’extension qui aboutit à un document d’urbanisme plus large, le Plan d’urbanisme directeur, élaboré par l’architecte-urbaniste Gilbert Weil, validé en 1955 par la municipalité et approuvé par l’Etat en 1961.
Il définit un nouveau périmètre d’agglomération et prévoit la construction des autoroutes et des rocades nord et ouest afin de dévier le trafic lourd qui encombrait le boulevard périphérique.
Dans le même temps, la création d’un axe de développement urbain à l’ouest de la ville ancienne se profile avec la ZUP d’Encagnane et plus tard la ZAC du Jas-de-Bouffan.
Aix rattrape son retard.
Il se construit entre 1955 et 1960 quatre fois plus de logements que pendant les cinq années précédentes et sept fois plus entre 1960 et 1965.
Les terres agricoles reculent, les grands domaines bastidaires commencent à disparaître au profit de vastes programmes de logements sociaux ou privés.
Grands ensembles de logements sociaux, immeubles de standing et villas sortent de terre, se côtoient et transforment le paysage urbain coutumier des "vieux Aixois".
C’est le cas, dans le quartier de Saint-Eutrope avec la construction de la Cité Beisson.
En 1944, l’urbanisation de ce dernier est constituée d’un habitat dispersé, en ordre discontinu, composé de grandes ou petites propriétés agricoles (résidences champêtres de citadins qui tirent des revenus de l’exploitation des sols) ; de quelques maisons construites dans l’Entre-deux-guerres et d’une cité-jardin, la Cité Saint-Eutrope. Cette cité est la première réalisation de l’Office public d’habitat de la ville (créé en 1915) et comprend 89 pavillons et quatre locaux commerciaux[16].
Sa morphologie, caractérisée par un plan circulaire typique des cités-jardins des années 1930 a aujourd’hui disparu. La cité est remplacée par un nouveau programme entre 1966 et 1967 qui porte toujours le nom de Cité Saint-Eutrope.
En juillet 1954, le Préfet des Bouches-du-Rhône, M. Haas-Picard, informe le Conseil municipal de la ville du lancement du programme quadriennal de construction du ministère de la Reconstruction et du Logement (MRL) au titre de la quatrième tranche du "Secteur Industrialisé" portant sur la période 1954-1957.
39 500 logements issus du secteur public et privé doivent être construits pour l’ensemble du département des Bouches-du-Rhône dont 2 500 à Aix-en-Provence. La ville doit rapidement acquérir des terrains afin de réaliser les objectifs de ce programme, échelonné sur 4 années.
C’est dans ce contexte que se situe la naissance du projet de construction de la Cité Beisson.
Une réalisation qui, entre 1959 et 1962, s’inscrit dans les principales phases de croissance de la ville et fait partie avec les Deux Cents Logements[17] de Fernand Pouillon (1951-1953) et la Cité Corsy (Sherjal, Louis Poutu, Joseph Lajarrige, Jean-Marie Sourdeau et Perrier, 1954-1959) des premières opérations urbaines de grande ampleur représentatives de la politique d’aménagement nationale du territoire pendant les Trente Glorieuses.
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[7] Création de la fin du XVIe siècle.
[8] Résolutions municipales de 1848 et 1853.
[9] Destruction des portes entre 1848 et 1874.
[10] Les derniers vestiges détruits en 1881.
[11] De même que le fait qu’elle soit restée à l’écart du grand mouvement d’urbanisation du XIXe siècle lié à la Révolution industrielle et notamment au passage de la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille (PLM).
[12] Cette arrivée d’actifs migrants est en relation directe avec le déclin et l’excentration progressive de l’économie portuaire marseillaise qui permet alors l’animation des localités voisines, entres autres : La Ciotat, Gardanne, les aménagements de l’étang de Berre, Martigues, Port-de-Bouc, Marignane…etc.
[13] Un phénomène antérieur aux années 1950 mais qui perdure dans ces années-là.
[14] 9 000 familles s’installent à Aix.
[15] L’exemple de l’insalubrité de l’îlot des Cardeurs attesté par arrêté préfectoral en date du 1e avril 1954 illustre ce propos.
[16] Rapport d’activité 2009 de Pays d’Aix Habitat.
[17] Label Patrimoine du XXe siècle.
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