Madame la Ministre déléguée, chargée du Logement, chère Emmanuelle Wargon,
Madame la présidente de la Cité de l’architecture et du patrimoine, chère Catherine Chevillot,
Madame la présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, chère Christine Leconte,
Monsieur le président de l’Académie d’architecture, cher Pablo Katz,
Monsieur le président de la fédération nationale des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, cher Joël Baud-Grasset,
Madame la présidente du réseau des maisons de l’architecture, chère Anne-Sophie Kehr,
Mesdames et messieurs les directrices et directeurs des écoles nationales supérieures d’architecture,
Cher Pierre-René Lemas,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de vous retrouver dans le cadre magnifique de cette Cité de l’architecture et du patrimoine pour lancer officiellement ces Journées nationales de l’architecture.
Pendant trois jours, autour du thème du « vivre ensemble », cet événement sera l’occasion de mieux faire comprendre l’architecture et le rôle de l’architecte.
Je tiens à remercier chaleureusement Emmanuelle Wargon pour les mots qu’elle a prononcés. Notre présence commune aujourd’hui constitue un symbole fort, qui montre qu’il n’y a pas de politique de logement digne de ce nom sans politique de l’architecture. Et inversement : la politique de l’architecture, portée par le ministère de la Culture, n’a de sens que si elle est mise, concrètement, au service des habitants de ce pays, pour améliorer le cadre de leur vie quotidienne.
Je voudrais pour commencer partager avec vous cette conviction simple : nous n’avons jamais eu autant besoin qu’aujourd’hui de l’architecture et des architectes. La crise sanitaire que nous venons de traverser – et qui n’est hélas pas encore tout à fait derrière nous – a rendu évidentes des évolutions qu’elle n’a certes pas créées, mais qu’elle a accélérées. L’exigence du respect de l’environnement, du développement durable, s’est imposée comme la priorité absolue. Dans le même temps, la recherche d’une meilleure qualité de vie, qui passe notamment par davantage d’espace, s’est faite plus pressante après l’expérience du confinement. L’architecture est au croisement de ces préoccupations.
Je serais presque tentée de dire que le problème politique principal auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est celui de « l’habitation ». C’est pour cela, chère Emmanuelle Wargon, que je me sens particulièrement en sympathie avec l’intitulé du programme que vous portez : « Habiter la France de demain ». Comment (mieux) habiter la France ? Telle est la question :
- Comment concevoir des espaces de vie plus confortables, plus pratiques, mais également plus beaux ? Avec désormais l’idée que le lieu où l’on vit peut / doit aussi être celui où, de temps en temps, on travaille ?
- Comment vivre davantage « dans » et « avec » la nature ?
- Comment, également, nous réancrer dans l’histoire des lieux où nous vivons, redonner à notre existence une certaine profondeur temporelle ?
- Comment, enfin, sortir de notre isolement, d’une forme d’individualisme, pour imaginer des lieux où nous soyons davantage ensemble ?
Aspiration à une meilleure qualité de vie ; besoin de se réancrer dans l’espace et dans le temps et de renouer avec les autres : à toutes ces nouvelles préoccupations, l’architecture apporte des réponses.
En sillonnant la France depuis un an, j’ai été impressionnée de constater combien les architectes avaient anticipé ces changements, et revu leurs façons de voir et de faire. Un nouveau paradigme de l’architecture est en train de se constituer, pleinement en phase avec les attentes de la société, ouvrant des perspectives, proposant des solutions. La récente attribution du prix Pritzker à Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, chantres de « l’économie de moyens », en est une éclatante manifestation et le signe que l’architecture française est sur la bonne voie.
Ce que nous voyons émerger à l’heure actuelle en effet, c’est d’abord le souci d’une architecture plus économe en matériaux, plus respectueuse de l’environnement. Une architecture qui, par conséquent, privilégie systématiquement la rénovation et la réhabilitation de l’existant, évitant le plus possible les opérations destruction-reconstruction qui ont longtemps constitué la norme. Les exigences écologiques rejoignent ici le respect que nous devons au patrimoine et le besoin, que j’évoquais tout à l’heure d’inscrire nos vies dans le temps long. Chaque fois qu’un bâtiment est détruit, c’est un morceau du passé dont nous nous coupons. Que l’on songe, par exemple, à la fameuse cité-jardin de la Butte rouge à Châtenay-Malabry : sa préservation est tout à la fois une nécessité environnementale et un impératif patrimonial. Un hommage rendu à l’histoire des utopies ouvrières qui ont, parmi tant d’autres choses, fait de notre pays ce qu’il est.
Mesdames et Messieurs, 70% de notre environnement bâti a été construit après 1946. C’est colossal. Or, vous le savez bien, beaucoup de ces édifices modernes – qui n’ont pas toujours été conçus pour être réparés – arrivent à une forme d’obsolescence. Le défi que nous devons collectivement relever est de parvenir à donner une nouvelle vie au maximum d’entre eux. A inventer pour eux de nouveaux usages, au moyen d’une adaptation intelligente, exploitant les ressources du bâtiment. L’enjeu est considérable. C’est un enjeu de civilisation. Notre avenir ne sera pas le même, selon que nous saurons, ou pas, relever un tel défi.
Il ne saurait être question, bien sûr, de tout conserver. Je vois bien les dangers de cette tendance très contemporaine à tout patrimonialiser, à refuser toute forme d’oubli : elle s’apparente, au bout du compte, à cette peur de l’avenir dont nous voyons les ravages. Les architectes, qui sont des créateurs, qui pensent toujours plus à demain qu’à hier, doivent nous en préserver. Mais pas au prix de la table rase, pas au prix du gaspillage de nos ressources.
Dans ce chantier considérable, je sais pouvoir compter sur chacun d’entre vous, en particulier sur le conseil national de l’ordre des architectes, chère Christine Leconte, avec lequel nous travaillons main dans la main.
Cette promotion d’une architecture plus sobre nécessite un effort collectif de prospective, déjà engagé au travers du programme de recherche « Architecture du XXème siècle, matière à projet pour la ville durable du XXIème siècle », lancé en 2016. Ce programme s’achève cette année, et aura été marqué par l’intense mobilisation de nombreux laboratoires de recherche en architecture, que je tiens à remercier.
Cet effort se poursuit, avec ce matin, par exemple, l’ouverture des premières Assises nationales des écoles nationales supérieures d’architecture, sur le thème « trans-former : l’intervention de l’architecte sur l’existant ». Je suis heureuse de voir les étudiants, les chercheurs, les professionnels et les collectivités locales, s’associer pour penser, ensemble, le rôle de la réhabilitation du bâti dans la dynamisation de nos territoires. Les collaborations qu’ils ont déjà mises en place, dans le cadre du plan « Action cœur de ville » notamment, sont très prometteuses.
L’évolution de l’architecture implique, évidemment, celle du métier de l’architecte, dont les connaissances techniques évoluent et s’enrichissent, que ce soit dans l’usage de matériaux bio-sourcés, ou la pratique du réemploi. Son intervention change de nature, et il est de plus en plus appelé à travailler en amont des projets, en relation étroite avec les habitants et les collectivités, pour tenir compte au mieux de leurs pratiques et de leurs besoins.
Il faut également, c’est un point important, que le rôle de l’architecte puisse être reconnu dans des domaines où il n’avait pas jusqu’à présent sa place. Je pense en particulier à la prescription de travaux lors des rénovations thermiques : car la lutte contre les passoires énergétiques ne peut se faire sans prise en compte de la dimension patrimoniale, et de la qualité du bâti. On ne peut pas opposer protection de l’environnement et préservation du patrimoine : les deux objectifs sont à mes yeux indissociables.
Notre enseignement de l’architecture se doit de répondre à ces nouvelles dynamiques. C’est pourquoi il est au centre de toutes nos attentions.
J’ai déjà eu l’occasion, à l’ENSA de Nancy notamment, de détailler notre action en faveur de la qualité de vie étudiante et de l’insertion professionnelle de nos jeunes diplômés, qui concerne également l’enseignement supérieur en architecture.
Je voudrais évoquer avec vous, plus précisément, la question de l’évolution des enseignements dans les ENSA. A la suite de la mobilisation dans les écoles en début d’année 2020, un premier rapport de l’inspection générale des affaires culturelles m’a été remis, qui tirait les leçons de la mise en œuvre de la réforme de 2018. Nous nous sommes appuyé sur ses conclusions pour dégager un plan d’action qui permette le développement attendu de la recherche académique et appliquée, tout en obtenant des moyens nouveaux : 2,5 millions de crédits de fonctionnement nouveaux ont été alloués, tandis que 4 millions d’investissements supplémentaires nous permettront de soutenir les projets immobiliers de l’ENSA Toulouse et de l’ENSA Marseille, en complément des 60 millions de crédit déjà obtenus dans le cadre du plan de relance.
J’ai commandé, en parallèle, un second rapport, sur les conditions d’enseignement et de déroulement de la formation, dont j’attends la remise pour la fin de l’année.
Nous installerons également, le 16 novembre prochain, dans ce même lieu, l’Observatoire de l’économie de l’architecture.
Cette structure, préconisée par le rapport « Valeurs de l’architecture », voit ainsi le jour après un an de préfiguration. Elle permettra d’adapter la formation dispensée dans les ENSA à la réalité du marché du travail de l’architecture, tout en nous apportant des données et des connaissances précises sur cette filière, qui nous font aujourd’hui défaut, pour mieux la soutenir – et tirer toute les conséquences de la crise sanitaire, qui a durement touché la profession.
Cet observatoire sera constitué d’un comité d’orientation, associant les acteurs de la filière et les ministères partenaires, ainsi que d’un comité scientifique et d’un comité de suivi. Des commissions thématiques investiront les sujets prioritaires définis par le comité d’orientation, dont trois sont d’ores et déjà identifiés :
- L’étude de la structuration économique des entreprises de l’architecture.
- La formation en architecture et l’adaptation des formations dispensées.
- Et enfin le soutien à l’export.
Sur ce dernier point, la filière architecture peut compter depuis dix-huit mois sur la réactivation du Comité interministériel de l’architecture à l’export (COMAREX). Cette structure associant ministère de la Culture et ministère de l’Europe et des affaires étrangères, permet d’assurer la promotion de notre savoir-faire d’exception à l’international.
Plus largement, sur le plan économique, l’architecture est pleinement intégrée à la stratégie d’accélération des industries culturelles et créatives que je porte depuis ma prise de fonctions. Cette dynamique se traduit entre autres par des actions financières pour renforcer la solidité et la compétitivité des entreprises et accompagner leur transition numérique.
Début septembre, la caisse des dépôts et consignations a ainsi lancé des appels à manifestation d’intérêt sur la « numérisation du patrimoine et de l’architecture » ou encore les « alternatives vertes », auxquelles je vous encourage à répondre.
Je voudrais, enfin, évoquer notre engagement dans l’initiative européenne du New European Bauhaus.
Annoncé par la présidente de la Commission européenne en janvier dernier, ce programme sur les espaces de vie et sur l’architecture se structure autour de trois exigences qui rejoignent les priorités que j’ai énoncées tout à l’heure : la durabilité, l’esthétique et l’inclusion.
Nous avons pu constater, au cours de nos travaux, un consensus européen sur l’urgence de remettre l’usager et son bien-être au cœur de l’aménagement des lieux de vie. Cette dynamique assurera un effet amplificateur à nos propres politiques publiques en matière d’architecture, axées sur le renouvellement des processus de construction autour de la figure centrale de l’architecte, dont les missions d’intérêt général doivent être réaffirmées.
Mais tout cela peut sembler encore un peu théorique.
A la suite de la promulgation de la loi ELAN, et des interrogations, des inquiétudes, qu’elle a suscitées dans le monde de l’architecture, certains ont pu souhaiter que le législateur, le pouvoir réglementaire, remettent l’ouvrage sur le métier. Même si certaines évolutions réglementaires sont sans doute nécessaires, ce n’est pas la voie que nous avons privilégiée dans un premier temps. La bonne réponse, c’est l’action. C’est en faisant que nous réussirons à convaincre de l’importance de l’architecture dans la chaîne de construction, de son utilité réelle, au service de la collectivité.
C’est la raison pour laquelle nous avons, avec Emmanuelle Wargon, décidé de suivre la principale préconisation de l’excellent rapport que nous a remis Pierre-René Lemas, en février dernier, en lançant une grande expérimentation sur la qualité du logement social. C’est le programme « Engagés pour la qualité du logement de demain » que nous inaugurons aujourd’hui.
Cet appel à manifestation d’intérêt retiendra cent projets, qui bénéficieront d’un sceau d’excellence. Vingt d’entre eux feront l’objet d’un accompagnement spécifique au sein d’un incubateur.
Une des innovations de ce programme réside, comme nous y avait engagé Pierre-René Lemas, dans sa capacité à interroger l’ensemble de la chaîne de production du logement.
Les initiatives distinguées par le sceau d’excellence seront naturellement valorisées par la Cité de l’architecture et du patrimoine, notre opérateur principal. Je tiens d’ailleurs à remercier sa directrice, chère Catherine Chevillot, et ses équipes, pour leur investissement constant en faveur de notre architecture, ainsi que pour leur accueil, cet après-midi.
Un mot, avant de conclure, des Journées nationales de l’architecture elles-mêmes. Ce sont plus de mille événements qui sont organisés partout en France par les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, les maisons de l’architecture, les Villes et pays d’art et d’histoire, les écoles nationales supérieures d’architecture, et de très nombreux professionnels désireux de présenter leur savoir-faire.
Cette mobilisation admirable, dont je tiens à remercier l’ensemble des acteurs, permet à tous les publics d’aller à la rencontre des architectes et de découvrir, souvent à proximité de chez eux, leurs réalisations remarquables.
Je me réjouis de voir se prolonger cette année le programme « Levez les yeux ! », en partenariat avec le ministère de l’éducation nationale. Les élèves, de la maternelle à la terminale, partiront une nouvelle fois à la rencontre de nos sites patrimoniaux, pour apprendre à lire l’architecture, décrypter le paysage, déchiffrer leur environnement.
Ces journées donneront l’occasion à chacun et chacune de prendre la mesure du formidable réservoir de compétences que représente l’architecture dans notre pays, alliage d’une vision culturelle et de savoirs techniques, sans cesse renouvelés, qui accompagne et donne corps aux évolutions de notre société.
Il ne me reste plus, chère Emmanuelle Wargon, qu’à vous inviter à dévoiler ensemble le sceau d’excellence de ce beau programme. Les projets qui en seront porteurs serviront d’exemple à la transformation de notre architecture. Ils inspireront de nouvelles pratiques, au service d’un logement plus respectueux de l’environnement et en adéquation avec les nouvelles exigences de nos concitoyens.
Je me réjouis également de féliciter, en votre compagnie, la relève de la profession: les jeunes architectes et paysagistes distinguée dans le cadre des AJAP, ainsi que les lauréats du prix des jeunes urbanistes.
Vive les Journées nationales de l’architecture et vive l’architecture !
Je vous remercie.