Ce devait être l’une des productions phares de l’ Opéra national de Bordeaux. Déprogrammée pour raisons sanitaires, la reprise de Pelléas et Mélisande, l’unique opéra de Claude Debussy, vient d’être enregistrée à huis-clos avec les interprètes prévus. Une façon, pour l’institution musicale bordelaise, de conserver une trace de cette production emblématique et de (re)trouver son public par d’autres moyens.
Dans le sillage de cette captation-événement, l’Opéra national de Bordeaux a décidé d’aller plus loin, avec le soutien du ministère de la Culture. Il a mis sur pied – en un temps record, il faut le signaler – un programme de diffusion de l’ensemble de ses productions de novembre, permettant ainsi aux artistes de ne pas perdre le fruit de leur travail et de ré-enchanter le public. Entretien avec Olivier Lombardie, son administrateur général.
La captation discographique de Pelléas et Mélisande, en remplacement des représentations qui auraient dû avoir lieu en novembre, est-elle directement liée à l’expérience du premier confinement ?
Oui et non. Il est certain que nous ne voulions pas revivre de la même façon ce qui s’est passé au printemps dernier, c’est-à-dire sans travailler et avec des artistes confinés chez eux. En plus d’être éprouvante pour tous, cette situation représentait – et c’était ça le plus le plus grave – la perte irrémédiable d’un potentiel artistique important. C’est ce que nous avons voulu éviter à tout prix face à la nouvelle situation sanitaire en décidant de réaliser un enregistrement discographique de la production de Pelléas que nous devions présenter. Et je dois dire que tout le monde – que ce soit à l’Opéra de Bordeaux ou dans l’univers musical – a réagi positivement pour soutenir ce projet, à commencer par Alpha Classics, le label avec lequel nous avons la chance de faire cet enregistrement. Ce label – il faut le préciser – est loin d’être la seule maison de disque à avoir immédiatement répondu à notre lancement d’appel à enregistrer.
Les captations discographiques d’opéra, qui plus est, sont de plus en plus rares.
Elles sont très rares en effet. Le dernier enregistrement d’un opéra par l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine a eu lieu en 1996. S’agissant des enregistrements de Pelléas et Mélisande, très peu font référence. Indépendamment du confinement, cet enregistrement a donc un sens sur le plan artistique.
Il y avait cet objectif, disiez-vous, de ne pas perdre trace de ce Pelléas et Mélisande…
En effet. C’était le point de départ de notre démarche. Nous avons travaillé pendant près de deux ans sur cette production – dont nous savions qu’elle était de très grande qualité, sous la direction de Marc Minkowski avec une distribution magnifique par Alexandre Duhamel, Chiara Skerath et Stanislas de Barbeyrac – il était impossible à nos yeux de ne pas en conserver une trace. À partir du moment où il était exclu de la présenter devant le public, il fallait absolument trouver le moyen d’en faire quelque chose de positif. Nous avons appris le deuxième confinement quasiment à la veille de la première, je vous laisse imaginer quel effet cela peut avoir sur le moral des équipes. Il nous fallait rebondir.
Enregistrement discographique, captation audiovisuelle, diffusion en direct sur les réseaux sociaux… la programmation de l’Opéra national de Bordeaux se réinvente pendant le confinement
Finalement, parce que vous aviez ce projet, il n’y a pas eu d’effet démobilisateur…
C’est exactement cela. Une fois que la nouvelle du nouveau confinement est tombée, nous avons très vite, en un week-end, entrepris de transformer cette annonce. Je précise qu’en novembre nous avions à l’affiche non seulement Pelléas et Mélisande, mais aussi des concerts symphoniques, ainsi que le ballet. Nous avons lancé des alertes auprès de nos partenaires et nous avons aussi essayé de faire preuve d’imagination pour chacune des productions en testant tous les modèles possibles de diffusion hors salle. En définitive, nous avons la captation discographique de Pelléas et Mélisande, la captation audiovisuelle par France 3 Aquitaine de Celestial, le ballet de Garrett Smith, et le reste des concerts symphoniques sera diffusé en live sur nos réseaux sociaux
Il n’y aura donc eu aucun travail en vain.
Aucun, c’est le plus important. C’est la conséquence directe de notre expérience du premier confinement. Au mois de mars, nous avons testé ce que nous avions sous la main ; aujourd’hui, nous avons pu élaborer un programme de diffusion cohérent en fonction des publics pour chaque programme artistique.
Sans compter qu’un musicien – et on pourrait faire la comparaison avec un sportif de haut niveau – doit pouvoir continuer à jouer.
C’est exactement la même chose. Un musicien, en temps normal, s’entraîne tous les jours sur son instrument, mais pour atteindre le niveau de qualité d’un orchestre national, il doit pouvoir s’entraîner en groupe. Qu’il s’agisse des musiciens, des choristes ou des danseurs, il n’était pas concevable d’avoir une nouvelle coupure de longues semaines comme au mois de mars.
Quel est le protocole que vous avez mis en place ?
Pour les instruments à vent et les voix, pour lesquels il n’est pas possible de garder le masque, nous rajoutons de la distanciation – soit, deux mètres. En revanche, les musiciens des instruments à corde portent tous un masque, ce qui n’a rien d’évident pour des musiciens qui jouent pendant plusieurs heures et produisent un effort physique. Il faut ici saluer la discipline et la rigueur dont chacun a fait preuve. Grâce à ce protocole sanitaire, et avec aussi sans doute un peu de chance, nous n’avons eu ni de cas de Covid, ni de cas de contact depuis le mois de septembre.
Qu’en est-il du dépistage?
Nous proposons des tests – nous n’avons en effet pas le droit de les imposer – aux solistes et aux danseurs, ceux qui se voient tous les jours de façon régulière sans masque, et pour les seconds, sans distanciation. Les danseurs, en effet, pour des raisons évidentes ne peuvent pas respecter la totalité des gestes barrières. Ils se prêtent chaque semaine – et à l’unanimité – à ces tests.
L’opéra, enfin, peut compter sur le soutien de l’État et des Collectivités locales, les 180 artistes permanents de l’opéra continuent en effet à être rémunérés.
Ce soutien est essentiel. Financièrement mais aussi moralement. Heureusement que le ministère de la Culture est là pour nous rappeler que nous allons dans la bonne direction car nous continuons d’avancer à tâtons, en jonglant sur les règles sanitaires. L’aide de l’ensemble des collectivités qui nous soutiennent, que ce soit celle des collectivités territoriales ou celle de l’État, est donc absolument capitale. Lorsque nous avons annoncé que l’on maintenait nos représentations, on aurait très bien pu nous opposer un refus au motif que le confinement implique qu’un minimum de gens seulement soit au travail. Les artistes ne sont autorisés à travailler qu’en tant que les conditions sanitaires qui permettent de combattre cette maladie sont respectées mais ils en ont le droit comme les autres à partir du moment où ils ne mettent pas en danger leurs concitoyens. C’est vraiment fondamental.
Y-a-t-il des bénéfices indirects liés au maintien de l’enregistrement de vos productions ?
Toutes ces décisions nous permettent d’exercer notre solidarité avec les intermittents. Nous avons en effet maintenu l’ensemble des contrats d’intermittence du mois de novembre, qu’il s’agisse des artistes au générique des différentes productions ou du personnel d’accueil. De plus, ce maintien de la création sous d’autres formes est un moteur essentiel pour la pérennité de la vie artistique et culturelle de la ville et de la région en général.
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