Longtemps rêvée, la Philharmonie de Paris ouvrira ses portes le 14 janvier 2015. A plus d'un titre, l’événement va faire date sur la scène musicale internationale. Jean Nouvel a relevé le défi de l’acoustique et de la flexibilité scénique pour faire de la salle un équipement que le monde entier va envier à Paris. La Philharmonie de Paris compte également jouer pleinement de sa situation géographique pour aller à la rencontre d’un large public. « Le champ des possibles est largement ouvert » comme l’explique avec passion Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, artisan de la première heure du projet.
Avant même son inauguration prévue le 14 janvier prochain, la Philharmonie de Paris a déjà une longue histoire. Pouvez-vous retracer la genèse du projet ?
Il existe au moins deux niveaux de genèse. Tout d’abord, l’histoire objective : la Philharmonie est officiellement née en mars 2006 de la décision commune de l’Etat et de la Mairie de Paris. Nous avons alors organisé une compétition d’architecture en septembre 2006, sélectionné le lauréat, Jean Nouvel, en mars 2007, étudié les maquettes puis procédé aux appels d’offres des entreprises en 2009 et 2010, enfin construit jusqu’à aujourd’hui. Voilà pour l’histoire objective qui, déjà, recèle un certain nombre de rebonds et de polémiques publiques concernant à la fois l’évolution du coût des travaux, l’implantation du projet dans un quartier mixte bordant le Grand Paris et le périphérique mais aussi les contenus (quel type de musique allait-on y jouer ?) Mais il y a aussi une autre façon de considérer la genèse, qui est de placer l’origine du projet dans un questionnement sur le développement des publics. C’est avec les mutations qui se sont opérées dans le champ de la culture au début des années 80 que la question des nouveaux modèles de transmission est devenue d’actualité.
"Unique en Europe, la Philharmonie de Paris va être un élément majeur pour le rayonnement de la musique en France" Fleur Pellerin
De ce point de vue, situer cet équipement à la Villette a un sens, celui d’ouvrir la musique classique au public le plus large possible ?
A Paris, les lieux existants, le théâtre du Châtelet et l’Opéra Garnier, puis plus tard le théâtre des Champs-Elysées, la salle Pleyel et l'Opéra Bastille, reprennent les éléments structurants d’un lieu culturel tel que la société industrielle l’a pensé, c'est-à-dire essayant de réunir un nombre de personnes plus important par rapport aux salons d’autrefois mais situé dans les beaux quartiers et construit autour d’une salle unique, sans aucun environnement culturel autour. De telles salles ne permettent pas de mettre le concert dans un contexte plus large, favorisant de nouveaux modes d’appropriation de la musique, à travers une dimension éducative par exemple. Si ces lieux ont progressivement renforcé leur attractivité auprès des mélomanes, ils ont cultivé un entre-soi, une certaine reconnaissance, des codes. Par exemple, applaudir entre les mouvements reste, dans des salles comme le théâtre des Champs-Elysées ou Pleyel, un crime de lèse-majesté. Face à ce constat, nous avons pris le parti inverse : celui d'investir une aire géographique plus ouverte, comprenant une population en voie d’évolution, plus « populaire ».
Précisément, dans cet espace – avec le parc et la Grande Halle de la Villette, le Zénith – des éléments de contexte musical et de pratiques culturelles existaient déjà.
En effet. Ils se sont encore développés au moment de l’inauguration du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, en 1993, puis de la Cité de la musique en 1995. Lorsque l’on construit une grande salle, on crée des complexes, on place la grande salle à côté d’une salle plus petite, c’est un constat qui vaut partout. En réalité, il y a deux versants à la question : celui du public et celui des professionnels. Il faut servir les deux. En additionnant les forces de la Cité de la musique et du nouvel équipement, nous sommes à présent en mesure de mener un projet global qui va de l’émergence aux artistes reconnus et met en relation des artistes qui, pour certains, viennent des quatre coins de la planète, avec les élèves du Conservatoire et les enfants.
"la salle apporte des réponses à des questions que se posent les villes et les professionnels depuis 40 ans" Laurent Bayle
En quoi le nouvel équipement est-il exceptionnel ?
Un maître mot caractérise l’ensemble du travail de Jean Nouvel : la contextualisation, autrement dit de l’inscription du bâtiment dans l’espace. La première force de son projet est d’avoir repéré les évolutions du pôle uirbanistique de la Villette. Son bâtiment est ainsi complètement connecté avec la porte de Pantin notamment à travers un accès direct depuis le tramway en plus du métro. Il fait ce même effort de contextualisation avec le parc : le bâtiment ne vient pas se greffer sur le parc, le visiteur peut continuer sa promenade, passer sous le bâtiment et découvrir les espaces d’expositions temporaires ou les activités organisées en journée. Enfin, Jean Nouvel pousse la symbolique jusqu’au bout : puisque les gens viennent dans un parc pour marcher et se promener, ils peuvent continuer leur promenade en montant sur le toit. Ils arrivent alors à 37 mètres de haut où ils ont une vue totale du grand Paris. Ils découvrent aussi le signal représentant une main tendue que l’architecte a décidé d’y placer, symbole fort s’il en est.
Paris semble faire mieux que rattraper son retard par rapport aux autres capitales européennes qui se sont déjà dotées d’une grande salle symphonique.
La Philharmonie de Paris va être la salle la plus en vue du monde musical international. La Philharmonie de Berlin dans les années 60 a créé un choc car on passait de salles normales dites « boîtes à chaussures » – un parallélépipède avec une scène contre un mur et du public en face – à un modèle où la scène était au milieu et le public autour. Avec la Philharmonie de Paris, c’est un troisième modèle qui voit le jour. Non seulement la scène est au centre et le public autour, mais Jean Nouvel ajoute des éléments inédits. Il crée des balcons suspendus dans le vide détachés du mur ; le public les rejoint par des passerelles. Le balcon est projeté plus près de la scène, l’intimité se trouve renforcée, surtout la scène est au centre et peut être déplacée. En réalité, la salle apporte des réponses à des questions que se posent les villes et les professionnels depuis 40 ans. Sans compter que l’acoustique sera unique : en créant des balcons détachés des murs, Jean Nouvel et les acousticiens néo-zélandais de Marshall Day ont corrigé le problème bien connu de la mauvaise qualité des places contre les murs où le son est fuyant.
Comment avez-vous conçu la programmation ?
Nous concevons la programmation en partant de l’idée que nous disposons de trois salles allant de 200 places pour la plus petite à 2400 pour la Philharmonie, en passant par 900 pour la Cité de la musique. Ensuite, nous posons des principes : nous nous affranchissons des bornes qui, trop souvent, font tenir la musique classique entre Mozart et le Boléro de Ravel. Notre conception est la plus large possible, aller des origines de la musique écrite jusqu’à la création contemporaine la plus récente. Nous croisons et confrontons ce premier axe, qui est comme une colonne vertébrale de repères, à un axe qui mélange d’autres cultures : jazz, musiques du monde. Enfin, le troisième axe est constitué par les musiques actuelles, variété, pop, rock, électro. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la critique que l’on fait au public « savant », à savoir son cloisonnement – le public baroque ne serait pas le même que le public classique qui, lui-même, serait différent du public contemporain – s’applique de la même façon aux musiques actuelles. Si nous organisons un concert hommage au Velvet underground avec Lou Reed et Patti Smith et programmons Véronique Sanson le lendemain, je suis prêt à parier que nous n’avons pas plus de 2% de recouvrement de public.
Comment va se dérouler votre première saison ?
Le cœur de cible de la grande salle sera le symphonique. L’Orchestre de Paris, qui sera ici chez lui, représentera la moitié de la programmation. Viennent ensuite l’ensemble des autres formations invitées, françaises – l’Ensemble InterContemporain en résidence, les Arts florissants, l’Orchestre de chambre de Paris, l’Orchestre national d’Ile-de-France, les orchestres en région, Lille, Lyon, Toulouse… – et internationales : l’Orchestre de la Philharmonie de Berlin, le Concertgebouw d’Amsterdam, le London Symphony orchestra, l’Orchestre philharmonique de New-York ou encore les orchestres américains de Cleveland, Chicago, Los Angeles. La seconde moitié sera composée d’autres répertoires, qu’ils soient anciens ou contemporains, et de formes extra-européennes, d’Asie et d’Afrique notamment. Nous allons aussi tester le jazz et des concerts inédits à l’image de celui de The Divine Comedy en février. La grande salle est réglée sur une sonorité symphonique avec un bon temps de réverbération. Or, la musique amplifiée est ennemie de la réverbération. Nous allons donc progressivement tester la grande salle dans des versions amplifiées.
Les grands chefs d’orchestre risquent de se bousculer pour se produire à la Philharmonie de Paris ?
Nous ne souhaitons que cela. Si les grands chefs se bousculent, cela donnera un formidable élan à l’Orchestre de Paris et renforcera l’attractivité des concerts. C’est dans l’articulation entre rayonnement international et politique éducative sur le territoire – à travers les passerelles avec le Conservatoire, la dimension pédagogique, les actions en direction des enfants – que le projet prend tout son sens. Un exemple. Si le message humaniste et politique de Daniel Barenboim avec le West-Eastern Divan Orchestra – un orchestre rassemblant des instrumentistes israéliens et arabes – a une telle force, c’est parce que l’orchestre a inscrit son action dans la durée. Ce que réussit à faire la musique devient alors passionnant.
Philharmonie de Paris : un projet résolument en faveur de l'éducation musicale
« La grande salle accueillera dès janvier l’orchestre Simon Bolivar, un orchestre de jeunes créé au Venezuela dont la pédagogie vis à vis des enfants est très proche de la nôtre, confie Laurent Bayle. Le développement des activités éducatives est un des axes centraux de la Philharmonie. Elles consistent essentiellement en des ateliers de pratiques collectives. Les enfants arrivent, ils ne connaissent pas la musique mais n’ont pas besoin de passer par le solfège, ils appréhendent directement l’instrument dans le groupe, jamais dans un rapport individuel ».
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