1882 – Septième exposition
La septième exposition impressionniste se déroule du 1er au 31 mars 1882, dans les salons – en réalité une immense salle - situés à l’étage du bâtiment situé 251 rue Saint-Honoré.
Organisation
Fin 1881, Caillebotte lance l’idée d’une nouvelle exposition. Les tractations sont, comme toujours, difficiles. Le bruit court que Caillebotte serait évincé. Monet, qui a pourtant délaissé le groupe en 1880 et en 1881, s’émeut. En février 1882, Pissarro le rassure : « Voilà deux ou trois semaines que je fais de grands efforts pour tâcher d’arriver, d’accord avec notre ami Caillebotte, à une entente pour reconstituer notre groupe aussi homogène que possible […] jamais, vous le pensez bien, nous n’avons séparé Caillebotte de notre groupe […] C’est du reste convenu depuis longtemps avec Caillebotte qu’il est avec nous ; il n’y mettait qu’une condition : c’est de vous avoir […] Vous pouvez compter que nous tacherons de vous donner toute satisfaction pour le placement de vos toiles » (Bailly-Herzberg, 1, p. 154-155). Monet a donc des velléités de quitter le Salon. Mais Caillebotte impose une autre condition que celle énoncée par Pissarro : l’éviction de Raffaëlli, introduit pas Degas à la précédente exposition. Caillebotte connaît suffisamment le sens de l’honneur de Degas pour savoir que cette exigence entraînera le retrait de celui-ci. Pissarro écrit : « On ne se doute pas ce que c’est d’être au prise avec l’amour propre des artistes, je vous assure » (à Duret, 12 mars, Bailly-Herzberg, p. 157).
Selon Eugène Manet, « la cause de l’abstention de Degas est l’ombrage que lui portait Gauguin » (« Correspondance Morisot », p. 111). Le rôle joué par Gauguin, dans ce conflit, est également évoqué par la presse : « M. Paul Gauguin […] qui vient d’écarter, par sa présence à l’exposition […] des maîtres comme Degas et Raffaëlli » (A. Hepp, « Le Voltaire », 3 mars 1882). Pourtant, Gauguin rendra un hommage appuyé à Degas, à la fois dans une lettre de 1898 et dans ses notes : « Il a l’instinct du cœur et de l’intelligence […] Degas est comme talent et comme conduite un exemple rare de ce que l’artiste doit être » (À Monfreid, 15 août 1898, « Oviri », p. 218).
En revanche, il est avéré que Caillebotte cherche aussi à évincer Gauguin : « Pissarro consentira-t-il à lâcher Gauguin – Vous de votre côté accepteriez-vous ce Gauguin ? » (À Monet, sans date, vente « Archives de Claude Monet, collection Cornebois », Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 22). Pissarro met effectivement comme condition à sa participation, la présence de Gauguin. Ce dernier, qui connaît les difficultés financières de Pissarro, lui écrit : « vous croyez que vous êtes à même de vous retirer dans votre trou pour reparaître après, vous êtes dans l’erreur. Si vous abandonnez la partie vous pouvez dire que c’est bien fini […] Voyez Caillebotte et organisez-vous pour exposer cette année ; pour les autres années on verra à faire mieux. Si Caillebotte ne veut pas de moi je vous donne autorisation pleine […] Faites l’Exposition à cinq si vous voulez Vous Guillaumin Renoir Monet et Caillebotte mais faites-la ! vous savez il y va de votre avenir » (À Pissarro, 25 janvier 1882, Victor Merlhès, « Correspondance de Paul Gauguin », 1873-1888, Paris, 1984, VM 22). Finalement, Gauguin restera dans le groupe.
Claretie rapporte : « On s’est querellé pou à peu près. M. Degas, le peintre des danseuses, s’est retiré, miss Cassatt a suivi M. Degas, M. Raffaëlli a suivi miss Cassatt » (« Le Temps », 3 mars). La séquence véritable est la suivante : Raffaëlli étant évincé, Degas se retire. Par solidarité avec Degas, Cassatt, Rouart et Tillot (Claretie omet ces deux derniers) s’éclipsent également. Rouart avait déjà payé le montant de sa participation. De même, Degas, grand seigneur, paye sa cotisation, mais n’expose pas (Eugène Manet à B. Morisot, 1er mars 1882, Correspondance, p. 103). Par leur soutien financier, Degas et Rouart montrent leur attachement au groupe. Cette fidélité est d’autant plus remarquable que, comme le remarque Gauguin : « l’Académie qu’il [Degas] blague est toute prête à lui tendre les bras. Que demain il lui plaise d’aller au Salon immédiatement on lui ouvrira les portes pour l’acclamer et lui dire ʺ Vous voyez qu’on ne peut rien faire avec ces gens-là°ʺ » (Merlhès, VM 22). Mais Degas n’est pas homme à faire des concessions au monde officiel.
Selon Gauguin, Raffaëlli avait déjà envisagé une solution de repli : « Raffaeli [sic] fait tous ses efforts pour aller aux Aquarellistes seulement il ne lâchera notre exposition que lorsqu’il sera certain d’entrer autre part et juste au moment où nous serons tenus d’exposer » (À Pissarro, 18 janvier 1882. Vente Paris, Artcurial, « Livres et manuscrits », 14 et 15 décembre 2010. VM 21).
L'exposition
La septième exposition se déroule du 1er au 31 mars 1882, dans les salons – en réalité une immense salle - situés à l’étage du bâtiment situé 251 rue Saint-Honoré : « Tout le haut de la salle est occupé par des tapisseries des gobelins qui sont fort belles. Les tableaux sont sur trois rangs […] Le soir l’effet est fort joli, l’éclairage très bon » (« Correspondance Morisot », p. 104-105). « Ils ont rencontré une grande et belle salle, où ni la lumière, ni l’air, ni l’espace ne leur sont marchandés » (H. Havard, « Le Siècle », 2 mars 1882). Le critique Meurville ironise : « Mon Dieu que cela est beau ! Je l’avoue en toute franchise, j’admire sans restriction ces œuvres admirables du génie humain. Quelle science de l’ornement, quelle merveilleuse conception de l’ensemble d’un tableau, quel coloris, quelle finesse d’expression, quelle noblesse dans l’attitude et la physionomie des personnages ! Je ne plaisante pas, c’est tout ce qu’il y a de sérieux : je parle des tapisseries qui sont suspendues tout autour de la salle, au-dessus des tableaux, juste assez haut pour reposer les yeux quand de guerre las, le visiteur lève des regards éplorés vers le ciel » (« Gazette de France », 21 mars). Cette médisance avait déjà été lancée par C. André dans « Le Français » : L’avis unanime des personnes qui sortent de cette exposition est que, ce qu’il y a de mieux, ce sont les superbes tapisseries anciennes, hâtons-nous de le dire, et nullement ʺ indépendantes ʺ, qui décorent toutes les places laissées vides par les œuvres des ʺ indépendants°ʺ » (7 mars 1882).
L’accrochage est assuré par Caillebotte : « Fichtre [pseudonyme du journaliste] a fait un tour par-là, hier matin, à l’heure où l’on achevait les derniers préparatifs, - et, ce qui l’a le plus frappé, lorsqu’il est entré, c’est l’activité véritablement extraordinaire que déployait M. Caillebotte, le ʺ leader ʺ de l’association. Le chapeau en arrière, les mains dans les poches, M. Caillebotte allait et venait, donnant des ordres, surveillant l’ʺ accrochage ʺ des toiles, et travaillant comme un commissionnaire, exactement comme s’il n’avait pas cent cinquante mille francs de rente. À côté de lui, M. Pissarro, assis sur une grosse malle, le regardait avec intérêt, se démenait comme un diable dans un bénitier [allusion à la confession juive de Pissarro ?], et semblait fatigué lui-même d’assister à tant de mouvement. Cependant, un à un, les tableaux prenaient place » (« Le Réveil », 2 mars). Bien que Degas, qui n’est jamais prêt à temps, soit absent, un journaliste rapporte, le 3 mars : « Beaucoup de retards dans les envois à l’exposition des Indépendants. Nous croyons devoir attendre à demain pour en donner à nos lecteurs une impression générale ».
Les participants
« Durand-Ruel est tout entier dans l’affaire », selon Eug. Manet (« Correspondance Morisot », p. 104). Un article du « Gaulois » (23 février1882), précise que le lieu d’exposition a été trouvé par Portier, qui est un agent de Durand-Ruel. Pissarro confirme l’engagement du marchand : « Pour Durand et pour nous, l’exposition est une nécessité » (Bailly-Herzberg, n° 98). Depuis le mois de janvier, la banque, qui soutenait les opérations commerciales de Durand-Ruel, est en cessation de paiement. Le marchand, qui a acquis un nombre important d’œuvres de Monet, Renoir et Sisley, a tout intérêt à ce que l’exposition se fasse avec ses protégés. « Vous avez dû recevoir une lettre de Caillebotte au sujet de l’exposition projetée rue St Honoré. Je viens appuyer sa demande et vous engager fortement à exposer le plus de tableaux que vous pourrez. Le moment est très favorable. Il y a avalanche d’expositions en même temps que disette de bons tableaux. Tous les artistes de grande réputation se coulent par des œuvres de plus en plus médiocres. C’est le moment de montrer qu’il y a encore de vrais peintres. En vous réunissant à Renoir, à Pissarro, à Sisley, à Caillebotte, vous pouvez faire une exposition très remarquable et je crois fort que le succès viendra couronner cette dernière tentative. Si vous n’êtes pas à Paris pour le 25 vous pouvez nous donner vos instructions ; j’ai assez de belles œuvres de vous pour n’avoir que l’embarras du choix. Les cadres sont ou seront prêtés » (Durand-Ruel à Monet, 9 février 1882 ; vente « Archives de Claude Monet, collection Cornebois », Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 60). Quelques jours plus tard, nouvelle lettre de Durand-Ruel à Monet : « Je trouve qu’une exposition qui renfermera vos œuvres avec celles de Renoir, de Pissarro et de Sisley avec quelques toiles des 3 autres [Guillaumin, Vignon, et Gauguin] dont le talent est réel quoique moins saillant, aura tous les éléments possibles de succès. Caillebotte n’est pas utile ; c’est lui qui a fait hurler le plus par ses excentricités. Il n’y a que Degas que je regrette mais c’est un fou et il n’y a pas moyen de raisonner avec lui » (22 février 1882 ; vente « Archives de Claude Monet, collection Cornebois », Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 59). Monet, Pissarro, Renoir et Sisley ne partagent certainement pas le point de vue de Durand-Ruel sur l’inutilité de Caillebotte, qui les a si souvent aidés financièrement. Renoir, en raison de son inimitié avec Pissarro, se montre réticent à participer. Durand-Ruel insiste. Renoir accepte, à condition de pouvoir aussi exposer au Salon, et puis : « Les tableaux que vous avez de moi sont votre propriété, je ne puis vous empêcher d’en disposer, mais ce ne sera pas moi qui exposera » (Renoir à Durand-Ruel, 26 février, Venturi, I, p. 120).
Le dénouement se joue très vite, selon Pissarro : « Je considère la réussite de l’ensemble comme extraordinaire, réunir en deux jours de temps Monet, Renoir, Sisley, Mlle [sic] Morisot, Caillebotte, c’est tout simplement surprenant » (à Duret, 12 mars 1882, Bailly-Herzberg, 1, p. 157). À quelques individus près (notamment Gauguin), les exposants sont donc les impressionnistes mentionnés par Duret dans son ouvrage de 1878.
Cette exposition est le produit de l’obstination de Durand-Ruel : « Il a été de mode de jouer à l’esprit facile avec lui : il répond par un admirable entêtement de conviction. M. Durand-Ruel qu’on traitait d’illuminé quand, à lui seul, il affirmait Corot et Dupré, s’est fait le défenseur et le soutien des peintres impressionnistes, alors même que leur peinture ne nous montrait que des femmes en soufre ou en craie, des hommes bourgeonnés et lie de vin : je l’ai vu hier qui se promenait en triomphateur devant des toiles exquises de réalité naïve, au milieu de ces paysages harmonieux et simples, - une colline, un bout de ciel et des champs vides jusqu’à l’horizon » (A. Hepp, « Le Voltaire », 3 mars 1882).
Édouard Manet, approché par Pissarro, refuse, une fois encore, de participer. Cezanne décline l’invitation prétextant n’avoir rien à montrer, mais il soumet un portrait (Portrait de M. L. A…, probablement un portrait de Louis-Auguste Cezanne, le père de l’artiste) au Salon où, pour une fois, il est accepté.
Les œuvres
Durand-Ruel puise dans son stock. Il prête pour l’occasion trente-cinq Monet, vingt-neuf Renoir et vingt-sept Sisley. Eugène Manet écrit à sa femme, restée à Nice : « Durand-Ruel vend 2°000 francs les Sisley. Donnez-moi vos prix. Édouard [Manet] dit qu’il faut demander cher. En attendant, il vient de vendre deux tableaux bon marché à Faure qui l’a rançonné. Il se prépare un four pénible à l’Exposition [le Salon]. Il refait toujours le même tableau : une femme dans un café » (« Correspondance Morisot », p. 107). L’avis extrêmement sévère d’Eugène Manet sur les œuvres présentées par son frère cette année-là au Salon, est pour le moins étonnant. En effet, déjà très malade, Manet expose pour la dernière fois au Salon deux œuvres majeures, « Un bar aux Folies-Bergère » et « Jeanne » (ou « Le printemps »). Une dernière fois, Manet joue de la provocation. Les Folies-Bergères, « ce coin si curieux de Paris qui s’amuse ne propose pas seulement des exhibitions de phénomènes monstrueux, d’hercules, de gymnastes et de ballets féeriques », il s’agit du « Marché aux Belles de nuit que l’Europe nous envie peut-être » (« La Vie Moderne », 9 avril 1881).
Pissarro expose trente-six œuvres (peintures et gouaches), Caillebotte dix-neuf, B. Morisot treize, tous dans des cadres gris ou blancs avec des ornements d’or, et Gauguin treize également.
Le Panorama de Reischoffen
Les panoramas connaissent alors un succès considérable, comme le confirme un article paru dans L’Artiste en 1880 : « Les panoramas sont à la mode cette année. Nous avons déjà cité ceux de Detaille, de Neuville, de Poilpot, de Mols, la plupart commandés par une société bruxelloise qui veut en exploiter l’exhibition. M. Berne-Bellecour brosse également un panorama représentant ʺ la Prise de Belfort ˮ, destiné à la ville de Marseille, tandis que M. Dubray se prépare à faire, moyennant mille francs, ʺ le Siège de Lyon ˮ, destiné à cette ville ». Cette mode est internationale. La Société du Royal London Panorama commande à Poilpot et Jacob un « Panorama de la bataille de Baclava », inauguré à Londres au printemps 1881. En France, les panoramas illustrent le plus souvent de sujets tirés de la guerre de 1870, destinés à encourager le patriotisme. Ainsi, le panorama de Reischoffen inspiré de la bataille du 6 août 1870, lorsque l’armée française avait tenté d’arrêter l’invasion allemande. Quatre régiments de cuirassiers français avaient été décimés lors d’une lutte désespérée. Côté français, on avait dénombré 4°000 tués ou blessés, et 9°200 prisonniers. Pour abriter les vastes peintures de ce panorama, réalisée par Poilpot et Jacob, ont fait appel à Charles Garnier, l’architecte du nouvel opéra. L’édifice (aujourd’hui détruit) est construit en 1881. Les peintures du panorama de Reischoffen seront ensuite présentées à Marseille, place Castellane.
La destination de l’édifice amène plusieurs critiques à faire de bons mots militaires à propos de l’exposition des impressionnistes : Le groupe « ne compte plus désormais que sept grenadiers et une cantinière » (H. Havard, « Le Siècle », 2 mars 1882). « Honneur aux braves, seuls restés ˮ indépendants°ʺ » (A. Michel, « Le Parlement », 4 mars 1882). « Des neufs qui sont restés sur la brèche » (A. Hustin, « Moniteur des arts », 10 mars 1882). « Ils reviennent aujourd’hui à la charge – avec ou sans calembour […] Mais, hélas ! leurs rangs sont bien clairsemés » (Vte de Saint-Leu, « Le Magasin des demoiselles », mars 1882).
Réception
B. Morisot, restée à Nice avec sa fille malade, et ayant, par la force des choses, laissé le choix de ses œuvres à son mari, s’inquiète de l’effet produit : « Est-ce que ce n’est pas un petit four que je fais là-bas ? J’en ai comme le sentiment, mais je deviens très philosophe. Ces sortes de choses ne me mettent plus l’âme à l’envers comme jadis » (« Correspondance Morisot », p. 108). Puis, à la lecture des articles de journaux que lui adresse son mari : « C’est Gauguin et moi qui paraissons jouer les comiques ! Est-ce que je me trompe ? Osez me le dire, car de loin, je suis très philosophe ». Eugène la rassure : « J’ai réussi à vous organiser une exposition qui ne vous fera rien perdre de votre réputation » (« Correspondance Morisot », p. 109). B. Morisot lui répond : « tout ce que vous me dites m’est agréable et me calme sur mon exposition que je croyais grotesque ». Toujours à la lecture des articles de journaux, B. Morisot observe : « tout l’honneur revient, il me semble, à Sisley et Pissarro. Pourquoi pas Monet ? Cela m’étonne » (Idem).
Œuvres de l’exposition dans les collections publiques (d’après les travaux de Berson et Moffett)
Caillebotte : « Fruits ».
Gauguin : « Fleurs, nature morte », « La petite rêve, étude », « À la fenêtre, nature morte », « Oranges, nature morte ».
Guillaumin : « Paysage d’automne ».
Monet : « Fleurs de topinambour », « Soleil couchant, sur la Seine, effet d’hiver », « Falaises des Petites Dalles » (probablement ce tableau), « Bouquet de soleils », « Gibiers, nature morte », « Sur la côte à Trouville » (probablement ce tableau), « Sentier dans l'île St. Martin », « Les Saules ».
Morisot : « Blanchisseuse », « Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival ».
Pissarro : « Étude de figure en plein air, effet de soleil », « Laveuse, étude », « Jeune paysanne prenant son café », « La Bergère », « Jeune paysanne au chapeau », « La Conversation », « Récolte des betteraves, gouache », « La moisson, détrempe », « Repos dans les bois » (hors liste).
Renoir : « Jeune fille au chat », « Les deux sœurs », « Une loge à l’opéra », « Un déjeuner à Bougival », « Champ de bananiers près d’Alger », « Vue de Venise (Grand Canal) », « Vue de Venise », « La lecture », « Les Canotiers », « La Seine à Chatou », « Pivoines », « Les Pêches », « Femme à l’éventail », « Jongleuses au Cirque Fernando » (hors liste).
Sisley : « Saint-Mammès, temps gris ».
Cohérence
Alors qu’habituellement les critiques soulignaient la disparité de styles entre les artistes participants aux expositions impressionnistes, Émile Hennequin, remarque : « Dès le premier coup d’œil jeté à l’exposition de la rue Saint Honoré, on se trouve forcé de reconnaître que les peintres impressionnistes forment une école. Tous leurs tableaux ont un grand air de famille, des similitudes de teinte, de procédé, de sujets même qui les distinguent de la peinture courante, et les relient solidairement » (« La Revue littéraire et artistique », 11 mars 1882). Rewald affirme : « jamais les impressionnistes n’avaient fait une exposition plus homogène » (2, p. 131). Au plan stylistique, certainement. En réalité, cette exposition marque la fin de l’impressionnisme en tant que groupe. Le désengagement de Renoir, de Monet et de Sisley, qui délèguent à leur marchand le soin de sélectionner les œuvres lui appartenant, en témoigne. Ont-ils le sentiment que cette exposition « homogène » risque d’entraver leur démarche prospective ? Jamais l’impressionnisme n’a été homogène, sinon en de très brefs moments. Les personnalités qui incarnent ce mouvement sont trop différentes pour se couler dans un même moule. Le combat contre l’académisme a pour objectif de libérer la peinture d’un style convenu, pas de créer une école. Or, Caillebotte veut précisément figer l’impressionnisme dans une manière particulière. Mais aucun des impressionnistes n’entend se priver de sa liberté d’évoluer. Chacun le démontrera au cours des années suivantes. Au-delà des critères esthétiques, Monet est trop soucieux de faire carrière, et Renoir trop contraint de vendre ses œuvres, pour ne pas faire des choix pragmatiques. Il faut toute l’abnégation de Pissarro pour rester fidèle aux expositions du groupe.
Échec financier
Selon Eugène Manet, « le premier jour, l’entrée a produit 950 francs ». Quelques jours plus tard, le même constate : « l’affluence des visiteurs n’est pas très grande : trois cent quarante ; cent cinquante » (« Correspondance Morisot », p. 109) Caillebotte annonce à Monet que, au bout d’une dizaine de jours, « la moyenne est de 220 F. Ce n’est pas brillant nous ne ferons certainement pas nos frais. J’estime qu’il nous manquera 2°000 F environ » (Vente « Archives de Claude Monet, collection Cornebois », Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 22). Dans la même lettre, Caillebotte constate : « Le quartier est mauvais ». À la fin du mois, même complainte : « Notre exposition se liquide avec perte […] le quartier en est la principale cause. […] D’un autre côté M. Petit demande 20 000 F !!! pour sa salle. Ça me paraît fou » (À Claude Monet, vente « Archives de Claude Monet, collection Cornebois », Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 22). Le lieu est-il seul en cause, dans cet échec ? Le Panorama avait attiré les foules. Mais, comme l’observe le journaliste du « Gaulois » : « février et mars ont l’apanage des expositions artistiques. Depuis quelques années surtout, ces expositions deviennent de plus en plus nombreuses. Pour le moment, les Parisiens peuvent choisir dans le tas : ils ont, disséminées dans Paris, des exhibitions de tableaux plus ou moins de maître, au Cercle des Mirlitons, place Vendôme ; aux Aquarellistes, rue de Sèze ; au Cercle artistique de la rue Volney ; de l’exposition des artistes russes ; celle des artistes féminins au Cercle des arts libéraux ; celle des peintres paysagistes au Panorama de la rue Saint-Honoré, etc., etc. » (23 février 1882). L’exposition des paysagistes avait précédé celle des impressionnistes, dans le même lieu.
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