Découvrez la vie et l'oeuvre de Marie Bracquemond.

Marie Bracquemond (Argenton-en-Landunvez, 1840 - Sèvres, 1916)

Marie Bracquemond, Autoportrait, 1870, Rouen, musée des Beaux-arts

Marie Quivoron est la fille d’un officier de marine, qui meurt peu après sa naissance. Sa mère se remarie et, au début des années 1850, la famille s’installe à Etampes, où Marie suit les cours d’un certain Vassort. Elle entre dans l’atelier de Jean-Dominique Ingres (1780-1867), et constate que le maître a « peu d’estime pour les femmes artistes » : « La sévérité de Monsieur Ingres me glaçait… parce qu’il doutait du courage et de la persévérance des femmes dans le domaine de la peinture… il ne leur confiait que des peintures de fleurs, de fruits, des natures mortes, portraits ou scènes de genre ». En 1859, elle expose au Salon une peinture, Portrait de la famille de l’auteur. Trois dessins conservés au département des arts graphiques du musée du Louvre (RF 22911, RF 22912 et RF 15291) pourraient être des études pour ce tableau. Si le livret indique : « Pasquioux, Mlle Antonine-Marie », née à Albi (Tarn), les indications « élève de MM. Vassort et Ingres », et, adresse : « à Etampes, rue Saint-Jacques, 72 », permettent de déduire qu’il s’agit bien de Marie Quivoron. Après une interruption, son nom apparaît de nouveau dans les livrets du Salon en 1864, toujours avec les indications : Antonine-Marie Pasquioux, née à Albi, mais cette fois comme élève de Désiré François Laugée (1823-1896). Elle expose de nouveau une peinture : Deux sœurs ; portraits. Même chose en 1865, où l’artiste présente deux peintures : Fleur de lin et Portrait de Mme D… . De 1866 à 1868, elle expose au Salon sous le nom de Pasquiou-Quivoron, et comme élève d’Emile Signol (1804-1892), de Laugée et de Hugues Merle (1822-1881) : Portrait de M *** (1866), Le supplice de Tantale (1867), Cervantès, dans sa prison, concevant son Don Quichotte (1868). En 1863, elle bénéficie d’une commande d’une copie du portrait à mi-corps de l’Impératrice Eugénie, par Franz Xaver Winterhalter (1805-1873), copie payée 600 fr, et destinée à la sous-préfecture de Vitry-le-François. En 1866, commande identique, payée au même prix, mais pour la sous-préfecture de Morlaix. En 1868, il lui est passé commande d’une copie du portrait en pied de l’Impératrice Eugénie, par Winterhalter, copie payée 1.200 fr. Le dossier indique que l’artiste est élève de Signol.

Marie Bracquemond, Portrait de Pierre Bracquemond enfant, 1878, Rouen, musée des Beaux-arts

En 1869, elle épouse Félix Bracquemond (1833-1914), graveur réputé dans les milieux d’avant-garde. Elle a fait sa connaissance au Louvre, deux ans plus tôt. Cette même année, elle expose au Salon, sous le nom de Marie Pasquiou, un dessin : Portrait de Mlle L.... En 1870, elle donne la naissance à un garçon, Pierre, qui deviendra peintre et décorateur. Marie Bracquemond n’expose de nouveau au Salon qu’en 1874 (Marguerite), année où Félix participe à la première exposition impressionniste. Si le sujet est inspiré du Faust de Johann Wolfgang von Goethe (1739-1842), la représentation semble libérée de tout romantisme, si l’on en croit le critique de Paris à l’eau-forte : « de madame Marie Bracquemond, Marguerite, une figure blanche couchée sous des arbres en fleurs éblouissants de clarté » (avril 1874, p. 62). Cette même année, la famille Bracquemond s’installe à Sèvres, villa Brancas, où elle recevra de nombreuses personnalités : Georges Clemenceau (1841-1929), Degas (1834-1917), Edouard Manet (1832-1883), Henri Fantin-Latour (1836-1904) et son épouse Victoria Dubourg, Auguste Rodin (1840-1917), les Sisley, que Marie représente à deux reprises, et Paul Gauguin (1848-1903), qui dédicace à Marie l’une de ses peintures, en 1886.

Marie Bracquemond, La dame en blanc, entre 1841 et 1916, Paris, musée d'Orsay

En 1875, Marie Bracquemond expose au Salon La Lecture. Un dessin, mis au carreau, et d’esprit ingresque, représentant la sœur de l’artiste tenant un livre, pourrait être l’étude pour cette peinture. En 1880, elle présente trois œuvres à l’exposition impressionniste, notamment le portrait aujourd’hui conservé au musée de Cambrai sous le titre La Dame en blanc. Ce portrait est préparé par un dessin de style ingresque et il apparaît dans une aquarelle beaucoup plus libre. Etude d’après nature est reproduit dans la Vie Moderne (p. 264) sous le titre « EXPOSITION DES IMPRESSIONNISTES. – ETUDE DE FEMME. - Dessin par Mme BRACQUEMOND ».
Dans la préface de l’exposition posthume, Gustave Geffroy (1855-1926) présente longuement un tableau intitulé Les Trois Grâces de 1880, œuvre dont il était déjà le propriétaire et qu’il lèguera en 1926 à l’Etat. Que le biographe de Claude Monet (1840-1926) ait porté son choix sur cette œuvre, dont pas plus le titre, que la date, ne peuvent être mis en doute, est significatif. Cette peinture montre en effet une évolution dans la technique de l’artiste, qui met l’accent sur les effets lumineux, qu’elle traduit avec une touche désormais très libre. Une étude de figures et un dessin au fusain, d’un visage féminin vu à contrejour, sont probablement des études pour cette peinture. En 1886, M. Bracquemond présente six œuvres, dont un Portrait de jeune garçon, très probablement son fils Pierre, et peut-être le tableau conservé aujourd’hui au musée Fabre à Montpellier.

Marie Bracquemond, Les parapluies, 2e moitié 19e siècle, 1er quart 20e siècle, Paris, musée du Louvre

M. Bracquemond a également eu une activité de céramiste. Lors de l’exposition universelle de 1878, la manufacture Haviland expose cinq panneaux d’une porte exécutée d’après des cartons de Marie Bracquemond, Les Muses des arts. Exposition universelle de 1878. Dans Les Industries d'art. La céramique et la verrerie au Champ-de-Mars, (1879), A.-R. de Liesville constate : « M. Haviland a tenté d’un essai de grande fresque en faïence ; mais quoique les tons doux et pâlis à la fois soient une beauté et une difficulté en céramique, il a trop décoloré, effacé les teintes de ses personnages ; or la faïence est faite pour donner des aspects fermes, intenses, brillants, et non pour apparaître avec cette espèce de débilité et de pauvreté » (p. 18-19). En dépit de ce jugement sévère, les panneaux sont acquis par le Museum of Fine Arts de Philadelphie, d’où ils ont disparu. En 1879, M. Bracquemond rejoint les impressionnistes et elle présente à cette exposition Un plat de faïence. (Peinture mate) et Les Muses des Arts. Carton ayant servi pour une peinture sur faïence. / Appartient à M. Haviland. Cet intérêt pour la céramique se trouve confimé, cette même année, par sa collaboration, avec son mari, à la création du Service à fleurs et rubans, d’esprit japonisant, pour la manufacture Haviland. Elle propose également le décor d’une série de douze assiettes, décor cette fois inspiré par la vie moderne : La Valse, La Chanteuse, Les Parapluies...
Pour être de grande qualité, les gravures de M. Bracquemond ont souffert de la renommée de celles de son mari. Elle a également produit, comme Louise Breslau des dessins pour le journal La Vie moderne (Etude, 1880, p. 32, Février, paru dans le numéro du 25 février 1882).

A partir des années 1890, M. Bracquemond cesse de produire. Elle meurt vingt ans plus tard. Quelle fut la raison de l’interruption de sa production ? L’article annonçant la mort de l’artiste, dans Le Figaro, mentionne « l’ombre volontaire où ce talent se retira », ainsi qu’une « excessive modestie » (23 janvier 1916). Dans la préface de l’exposition posthume, à la galerie Bernheim, en 1919, Geffroy, qui a été extrêmement proche du couple, évoque à la fois la santé fragile de M. Bracquemond et le caractère extrêmement difficile de son mari. Geffroy rappelle la passion exclusive de ce dernier pour le modelé, puis il écrit, à propos de Marie : « son maître de prédilection fut toujours Claude Monet, dont elle ne cessa de parler avec enthousiasme ». Or, le modelé cher à Félix était absolument absent de la peinture de Monet. Selon Geffroy, le caractère tyrannique de F. Bracquemond ne pouvait s’accommoder d’une divergence d’ordre esthétique. Le chroniqueur de La Renaissance de l’Art Français et des industries de Luxe affirme : « une vie qui pourrait tenir dans un chapitre intitulé : « Des inconvénients d’être l’épouse d’un grand artiste. » En effet, la jeune femme avait toujours abdiqué devant la discipline autoritaire à laquelle l’avait soumise le célèbre graveur » (1919, p. 78. Celui de La Lanterne la dit « vouée à l’effacement » (24 mai 1919), celui de La Presse évoque une « sacrifiée […] à côté du maître autoritaire et dominateur » (24 mai 1919).
En 1934, le Salon des Femmes Artistes Modernes (FAM), organisera une rétrospective d’œuvres de Marie Bracquemond et de Camille Claudel.

Laurent Manoeuvre

Sélection d'oeuvres de Marie Bracquemond sur la base Joconde Pop

Bibliographie
Manœuvre Laurent, Les pionnières : femmes et impressionnistes, Rouen, Editions des Falaises, 2016