MOULINIER Véronique. Paris: Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 1998, 352 pages, ISBN 978-2-7351-0764-3

   « Il fallait bien y passer... »

   Telle est la phrase qui conclut le souvenir douloureux des opérations chirurgicales que subirent naguère des générations d’enfants. En quelques années au début du XXe siècle, les amygdales, les végétations, l’appendice sont devenus des organes non seulement inutiles, mais dangereux pour la croissance. Leur ablation se donnait pour fin de débrider le corps et l’esprit enfantins. Sur ce point, mères et médecins se sont accordés pendant un long demi siècle et même quand ces ablations systématiques auront perdu leur justification médicale, elle ne disparaîtront pas pour autant.

   Dans le sillage de ces petites chirurgies, l’anthropologue Véronique Moulinié découvre qu’une série constamment enrichie d’opérations continue de marquer les césures de l’âge. On opère moins les enfants, mais on arrache les dents de sagesse, on sectionne un peu systématiquement le périnée des accouchées et, surtout, les ablations de l’utérus et de la prostate sont communément attendues et interprétées comme des marques d’entrée dans la vieillesse. Quels principes organisent cette séquence chirurgicale ? Quelle efficacité les justifie ?

   Pour répondre à ces questions, l’auteur s’est patiemment mise à l’écoute d’un discours sur les temps de la vie. Celui-ci prend souvent la forme d’un savoir partagé sur les âges critiques du corps, ces moments où se joue l’identité de l’un et l’autre sexes. Dans le milieu paysan et ouvrier aquitain où s’est déroulé son enquête, ces chirurgies de l’âge s’inscrivent dans le schéma des rythmes physiologiques et contribuent à le maintenir tout en le renouvelant. Mais ce savoir complexe reste l’apanage des femmes. Il leur permet tout autant de produire la différence entre filles et garçons que de lire, selon une périodicité féminine, la physiologie de leurs époux réduits au silence quant aux secrets du corps.

Véronique Moulinié est ethnologue, chargée de recherche au CNRS et membre du IIAC (Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain), équipe Lahic (Laboratoire d'anthropologie sur l'histoire et l'institution de la culture).