On les a peu entendus pendant la crise sanitaire. Pourtant, entre désirs, espoirs et inquiétudes, les étudiants de l’enseignement supérieur culture ont beaucoup de choses à nous dire. Troisième volet de notre série d'été : Victor Boulenger, étudiant à la Fémis.

Victor Boulenger a toujours à l'esprit un œilleton de caméra. « Ce qui se passe dans ma vie, ce que je vois, ce que je ressens… Tout peut donner matière à un projet de film », raconte Victor Boulenger . Ce réel brut, il le malaxe « comme une pâte à modeler » pour en faire des œuvres poétiques et décalées, à l’instar de son  court-métrage « Odette Marc », réalisé pendant le confinement, avec les moyens du bord.

On y voit sa grand-mère, dont l'image est projetée sur un rideau qui ne couvre que la moitié d’une fenêtre avec vue sur les barres HLM d’Aubervilliers, y raconter sa recette de la vinaigrette avant de se résigner à lire à haute voix une carte postale écrite par sa propre tante, la fameuse Odette Marc. Sous-titrée malicieusement Jeanine-en-rideau cette œuvre laisse le spectateur intrigué, à-mi-chemin entre l’émotion et l’amusement – et donne un avant-goût de ce qui, dans le cinéma de Victor Boulenger, a su séduire le très sélectif jury de la Fémis.

L’envie de créer son propre univers

Avant d’intégrer l’une des plus prestigieuses écoles de cinéma française, ce touche-à-tout enthousiaste a commencé par explorer d'autres domaines artistiques.  Musicien depuis son enfance, Victor Boulenger intègre, au lycée, une filière à prédominance littéraire, où il découvre la deuxième grande passion de sa vie : le théâtre. « Une fois sur scène tout se libère, notre voix n’est plus celle du quotidien, un peu comme si l’on criait sur une plage en direction de l'horizon. Les émotions sont délivrées avec une générosité inouïe, destinées à un public prêt à s’émouvoir », observe-t-il. Le plaisir du jeu ne le quittant plus, il s’y consacre pleinement et entre dans une école de théâtre, Les enfants terribles, sans avoir décroché son baccalauréat. Sa carrière de comédien le mène sur les planches de La Pépinière et du théâtre de la Renaissance. Point culminant de cette activité, il interprète au festival d'Avignon le fils d’un couple fitzgéraldien dans l’adaptation du roman à succès, En attendant Bojangles.

Comment lui est venue l’envie de passer derrière la caméra ? « J’ai sauté le pas car je voulais créer mon propre univers », explique Victor Boulenger. Un univers dans lequel il peut concilier l’ensemble de ses pratiques artistiques pour donner, en osmose avec les comédiens, un tour concret à une vision profondément personnelle du réel. Tout, dans les vidéos du jeune cinéaste, « depuis l'organisation d'un plan jusqu’aux répliques des interprètes », obéit à un certain sens du rythme, qui donne à ses œuvres une musicalité si singulière. Le théâtre n’est pas oublié : outre le fait de diriger des comédiens, Victor Boulenger multiplie les plans séquences, qui lui permettent d'embrasser le mouvement d'une scène. Il aime également les dispositifs de tournages originaux, voire extravagants. « L’un de mes moyens-métrages a, par exemple, été tourné en une seule nuit, chaque acteur avait son rendez-vous à une heure précise, y compris le sans domicile fixe qui vit en bas de chez moi », raconte-t-il.

J'aime, en tant qu'acteur, diriger d'autres acteurs, construire quelque chose avec eux, mettre en jeu les émotions

Un profil idéal pour le programme Résidence

C'est à l'âge de 20 ans, en réalisant avec des amis son premier court-métrage – Hambuger – qu'il goûte pour la première fois aux joies de la mise en scène. « J’ai réalisé à cette occasion que j’adorais, en tant qu’acteur, diriger d’autres acteurs : construire quelque chose avec eux, les voir jouer mes mots et filmer leurs corps en mouvement, mettre en jeu les émotions », dit-il. Fort de cette expérience, il se lance dans la conception de deux moyen-métrages, Coagulum et Adieu jusqu’au revoir, toujours auto-produits, dans lesquels il aborde, d'une manière poétique et empreinte d’absurde, des thématiques qui lui sont chères – la famille, le rapport à la mort, la puissance du corps qui se meut…

Son entrée à la Fémis tient à un heureux coup du sort ; une élève de l’école vient le voir au théâtre, et lui parle du programme Résidence, dont elle fait partie. Victor Boulenger remplit parfaitement les différentes conditions d’accès à ce cursus : un  bagage cinématographique d'autodidacte, pas d’études supérieures et un milieu modeste, qui lui permet de prétendre à la bourse délivrée dans le cadre de la formation.  Il saisit l’occasion et envoie, en guise de candidature, une courte vidéo autobiographique tournée dans la maison de son enfance. Celle-ci lui ouvre les portes du programme, qu’il intègre aux côtés de trois autres résidents, pour se former à temps plein et pendant onze mois au métier de réalisateur. « Cinq mois sont consacrés à la théorie, avec des cours de cinéma, des rencontres de cinéastes, tandis que les six derniers mois sont dédié essentiellement à la réalisation d’un court métrage », explique-t-il.

Fémis

"Comme un bouchon dans le courant d’un ruisseau"

Pour Victor Boulenger, la Résidence aura exceptionnellement duré 16 mois. « Au mois de mars, lorsque le confinement a été déclaré, nous étions en train de préparer le tournage, prévu mi-avril. On a été complétement coupé dans notre élan », précise-t-il. Le tournage a été finalement reporté au mois de septembre, et la Fémis a mis à profit la période de confinement en organisant pour ses élèves des visioconférences avec les grands noms du cinéma, exceptionnellement disponibles. « On a pu échanger avec le réalisateur Arnaud Desplechin, la directrice de la photographie Caroline Champetier… Et Florence Auffret, la responsable pédagogique de la filière, nous a encouragé à demeurer créatifs, ce qui nous a permis d’aller de l’avant », commente le jeune homme.

Lorsqu’on lui demande comment il perçoit son avenir professionnel, Victor Boulenger répond par une phrase de Pierre-Auguste Renoir : « il faut se laisser aller dans la vie comme un bouchon dans le courant d’un ruisseau ». Cette philosophie, qu’il s’est appropriée, ne l’empêche pas de s'interroger sur son avenir. « L’industrie cinématographique a accusé le coup. Aujourd'hui, cela risque d’être plus compliqué de trouver des financements pour créer », estime-t-il.

Le confinement a toutefois eu le mérite de lui ouvrir, sur le plan créatif, de nouvelles perspectives. « Avec mon amie nous avons répondu à l’appel de la Cinémathèque française, qui demandait aux cinéastes de leur envoyer des cartes postales vidéo en filmant le quotidien des habitants d’Aubervilliers depuis la fenêtre de notre appartement», explique-t-il. « Cela a étoffé mon approche du cinéma en m’ouvrant la possibilité de m’aventurer sur des terrains plus politiques, avec une portée documentaire », observe-t-il. Si le réel, dans cette dernière vidéo, est peut-être moins « distordu » qu’à son habitude, qu’on se rassure, celle-ci conserve bien la patte de Victor Boulenger : un savant mélange d’émotion et d’énergie, qui demeure aérien même dans la gravité.

Enseignement supérieur culture : ​La Fémis, ​ école nationale supérieure des métiers de l'image et du son

Avec ses 99 établissements et ses 35 000 étudiants, l’enseignement supérieur culture est sans doute l'un des viviers de jeunes professionnels les plus denses et les plus variés au monde. Il constitue aussi l’un des réseaux culturels fortement décentralisés mais aussi les plus spécifiques.

La Fémis est une formation d’excellence à l’ensemble des métiers du cinéma : réalisateur, chef opérateur, producteur, scénariste, monteur, ingénieur du son, décorateur, scripte, distributeur et exploitant de salles... L’entrée à l’École se fait sur concours et les études durent un à quatre ans. Les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel étant de taille limité sur le plan des emplois et l’École formant des professionnels de haut niveau, l’effectif des étudiants des différents cursus est volontairement réduit : chacun des dix départements d’enseignement comprend entre trois et douze étudiants.

Le programme La Résidence est une formation courte, sans exigence de diplôme, qui s’adresse à de jeunes autodidactes issus de milieux modestes pour les accompagner dans leur volonté de professionnalisation. Les candidats doivent, pour y accéder, justifier d’une première réalisation dans le domaine du cinéma et ne pas remplir les conditions exigées en matière de diplômes pour passer les autres concours de la Fémis (Bac+2 minimum). Ils bénéficient, au cours des 11 mois de formation, d’une bourse de vie mensuelle, attribuée par la Fondation Culture & Diversité.

La semaine prochaine : le parcours de Bertille Sionneau, étudiante à l'École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI).