Le 26 mars dernier, la 22e Semaine de la langue française et de la Francophonie s’est clôturée sous la houlette d’un parrain prestigieux, Bernard Pivot. A l’occasion d’un parcours original dans un bus des années 30 proposé par la délégation à la langue française et aux langues de France et la RATP, partenaire de la manifestation, le président de l’académie Goncourt est revenu sur les grandes étapes de sa géographie littéraire.
« J’avais écrit ‘journeaux’ au lieu de ‘journaux’, autant vous dire que ça avait mal commencé », lance Bernard Pivot alors que le bus passe devant les locaux du Centre de Formation des Journalistes (CFJ), situés au 35 rue du Louvre. Cette faute d’orthographe, qui ne laissait en rien présager sa future carrière, ne l’a pas empêché de réussir le concours du fameux établissement. Une deuxième vie a alors commencé pour lui. « A mon grand étonnement comme à celui de mes parents, je découvrais ce plaisir d’être maître de soi-même, de travailler seul, que Michel Tournier a si bien raconté dans Le Vent Paraclet». Au CFJ, Bernard Pivot a appris les ficelles du métier : l’art de l’attaque comme celui de la chute, en passant par une exploration systématique de toutes les facettes de sa passion pour l’actualité. « Ce qui m’ennuie dans le fait de mourir, c’est de savoir que je ne connaîtrai pas la suite », glisse, pince-sans-rire, l’animateur.
Rond-Point des Champs-Elysées : courriériste au Figaro littéraire
Sorti vice-major de sa promotion en 1957, le jeune diplômé, qui espérait un stage au sein du journal L’Équipe, a consenti à postuler au Figaro Littéraire. Le bus s’arrête un instant au niveau du Rond-Point des Champs-Elysées, le temps pour Bernard Pivot de désigner la fenêtre du bureau ovale où travaillait le directeur de l’époque, Pierre Brisson. L’entretien, qui avait très mal commencé pour l’aspirant journaliste – « je ne savais même pas qui était Marguerite Yourcenar » – s’était terminé… avec l’évocation d’une propriété familiale dans le Beaujolais. Immédiatement pris à l’essai par le rédacteur en chef, grand amateur de ce vignoble, Bernard Pivot sera dès lors saisi, « dans un désordre hallucinant », par une véritable boulimie de lecture. Les années passées au Figaro Littéraire comptent aujourd’hui parmi les plus belles de la vie du président de l’Académie Goncourt. « J’étais courriériste, j’avais une page à remplir chaque semaine sur l’actualité littéraire et à l’époque celle-ci était effervescente », raconte-t-il. « Les écrivains sont, à mon avis, les gens les plus intelligents du monde, au-dessus de tout le reste ».
Lorsqu’on lui demande quel livre il conseillerait parmi tous les autres, l'animateur d' "Apostrophes" répond sans hésiter : le Petit Larousse
Avenue Montaigne : la consécration d’ « Apostrophes »
C’est avec un premier magazine littéraire télévisé « Ouvrez les guillemets », qu’il produit et anime entre 1973 et 1974 sur l’ORTF, que sa carrière a pris un nouveau tournant. « L’émission est mauvaise, votre veste est atroce, mais vous êtes fait pour la télé », lui avait lancé Jacqueline Baudrier, directrice de la chaîne, le lendemain de la première. Avenue Montaigne, où se trouvaient à l’époque les studios de France 2, Bernard Pivot revient sur le lancement d’une deuxième émission littéraire «Apostrophes » qui, un an après « Ouvrez les guillemets », rassemblera jusqu’à 2 millions de téléspectateurs chaque vendredi soir avant d’être remplacée en 1991 par « Bouillon de culture », puis « Double Je ». Avec « Apostrophes », l’animateur réunira pendant 15 ans la fine fleur des auteurs de la seconde moitié du XXe siècle autour d’une seule idée : la passion de la littérature. Marguerite Duras, qui détestait la télévision avait même fini par lui envoyer l’un de ses livres, agrémenté d’une embarrassante dédicace pleine de causticité – « A Bernard Pivot, mon camarade, mon ami, mon amant ». Alexandre Soljenitsyne, en 1983, cinq avant la chute du mur de Berlin, alors qu’il était encore en plein exil, avait avoué sur le plateau d’Apostrophes sa certitude de rentrer un jour en Russie. « Personne n’y croyait, à l’époque. C’était un homme extrêmement impressionnant, car il ne se contentait pas d’être un grand écrivain : il était aussi et surtout un grand personnage de ce siècle », souligne Bernard Pivot.
Avenue Hoche : lancement du magazine « Lire »
Le présentateur a également cofondé avec Jean-Louis Servan Schreiber le mensuel « Lire », en 1975. « On était tellement différents l’un de l’autre que j’ai pensé que ça pouvait marcher », déclare-t-il devant l’ancien siège de la rédaction, situé avenue Hoche. « Nous voulions – et c’était novateur à l’époque – faire une magazine littéraire en publiant en avant-première des extraits de livre à paraître ». Dix ans plus tard, alors que « les dictées avaient mauvaise réputation », il ajoute, avec le succès que l’on sait, une nouvelle corde à son arc : les championnats d’orthographe.
Restaurant Drouant : l’aventure Goncourt
Le parrain de la 22ᵉ édition de la Semaine de la langue française et de la francophonie a été toute sa vie un homme de lettres, au point de devenir, en 2004, le premier non-romancier élu à l’académie Goncourt. Exception faite, bien sûr, de L’amour en vogue, publié en 1959, dont il ne conseille cependant pas la lecture – « c’est vraiment un péché de jeunesse ». Au Goncourt on ne succède pas à un fauteuil, comme à l’Académie Française, mais à un couvert et c’est Colette qui a précédé Bernard Pivot au sien. « La première fois que j’ai porté ma fourchette à ma bouche j’ai ressenti une double émotion, à la fois littéraire et gastronomique », confie-t-il. Aujourd’hui, le président de l’Académie Goncourt continue de célébrer la langue française chaque jour. Fervent utilisateur des 140 signes de Twitter – « c’est un exercice mental, une contrainte intellectuelle et morale très intéressante » – il évolue avec elle tout en continuant, lorsqu’on lui demande quel livre il conseillerait parmi tous les autres, de brandir Le Petit Larousse.
Bilan de la semaine de la langue française et de la francophonie 2017
La 22e édition de la Semaine c’était :
- 5 continents réunis autour de la passion des mots et de la langue française
De Kitakyushu à Brasilia, de Dakar à Canberra en passant par Skopje (et bien d’autres lieux sous toutes les latitudes), le monde entier a résonné au rythme et aux accents de la langue françaises grâce aux participants francophones de toutes les nationalités, aux réseaux d’Alliances française et aux Instituts français. Cette année encore un concert exceptionnel de l’orchestre des lycées français du monde a eu lieu au théâtre Le Comédia à Paris avec le concours de l’Organisation internationale de la Francophonie et de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.
- 114 Villes et Villages Partenaires
Du petit village breton de La Chapelle-Bouëxic à la métropole de Marseille, en passant par des villes d’Outre-mer comme Nouméa, les initiatives locales ont fait la part belle à la langue française tout au long de la Semaine. Tous les villages, villes et communautés de communes porteurs du label « VP », qui ont proposé à leurs habitants des manifestations de proximité, créatrices de lien social et de richesse culturelle.
- 499 librairies partenaires en France et à l’étranger
Ces dernières ont soutenu la Semaine de la langue française et de la Francophonie au travers de nombreuses animations autour de la littérature sous toutes ses formes : rencontres littéraires, lectures, récitals poétiques, jeux-concours, ateliers d’écriture ou de dessin...