Le 27 juin, une charte visant à garantir l’application de la loi relative au prix unique du livre dans le commerce en ligne a été signée au ministère de la Culture par les acteurs de la filière. René Phalippou, délégué du médiateur du livre, revient sur les avancées de l'accord.
La charte "Prix du livre", qui vient d'être signée le 27 juin, vise à renforcer l’application de la loi Lang qui a institué, en 1981, le prix unique du livre. Quels en sont les points forts ?
La charte comprend deux volets. Le premier porte sur les "marketplace", c’est-à-dire les places de marché en ligne qui mettent en relation des vendeurs et des acheteurs. Les organisations professionnelles ont observé que le prix unique du livre n’était pas toujours respecté sur ces plateformes. Jusqu’à présent, le foisonnement des offres sur ces sites et la diversité des acteurs concernés faisaient obstacle à un contrôle systématique du respect de la loi. Désormais, en vertu de la charte, il revient aux places de marché elles-mêmes de veiller au respect du prix unique sur leur site, par la mise en place de différentes mesures : contrôle automatisé des prix, procédure de signalement des infractions ou encore suspension de compte. Le second volet de la charte est consacré à la distinction, sur les sites de vente et dans les commerces physiques, entre les livres neufs et les livres d’occasion. Le commerce électronique rend plus facile et plus visible l’activité de revente de livres par les particuliers comme par les professionnels – on observe d’ailleurs que le marché de l’occasion est en progression. La charte établit des règles, notamment en matière d’affichage des prix, qui permettront de distinguer plus clairement les deux types d’offres et d’éviter toute confusion dans l’esprit des clients.
La charte "Prix du livre" vise à associer les acteurs du commerce de livres, notamment ses nouveaux protagonistes, au maintien des équilibres de la filière
Élaborée sous l'égide du Médiateur du livre, la charte est le fruit d'une concertation entre les différents acteurs de la filière. En quoi constitue-t-elle une démarche inédite de régulation du commerce de livres en ligne ?
La démarche par concertation n’est pas nouvelle : le ministère de la Culture accompagne régulièrement la conclusion d’accords interprofessionnels au sein de la filière du livre, comme dans d’autres secteurs de la création. La particularité de cette initiative tient tout d’abord au nombre et à la qualité des parties prenantes. La charte regroupe dix signataires et notamment de grands opérateurs du commerce électronique qui n’avaient jamais été associés à un tel dialogue. De ce point de vue, la charte se rapproche davantage de ce qui a été fait en matière de lutte contre la contrefaçon. Ensuite, la concertation n’est pas seulement la méthode qui a permis d’élaborer l’accord, elle en est également l’objet. La charte « Prix du livre » ne modifie pas le cadre de régulation existant, mais elle met en place les conditions d’un fonctionnement concerté du secteur, dans lequel chaque acteur se trouve responsable de la bonne application des règles. C’est là plus largement la philosophie qui préside à l’intervention du médiateur du livre, autorité créée pour constituer une alternative apaisée au recours au juge et un complément utile à la réglementation qui manque parfois de réactivité face à des pratiques en constante mutation.
Depuis 1981, la loi sur le prix unique du livre - "un pilier de nos politiques culturelles", a rappelé la ministre de de la Culture -, a été adaptée à plusieurs reprises, notamment pour répondre aux enjeux du numérique. En quoi cette charte permet-elle de réaffirmer ses principes ?
La loi Lang s’appuie sur un principe d’une grande simplicité : le prix du livre est fixé par son éditeur et celui qui le vend ne peut le modifier. Le prix du livre est donc le même où que vous l’achetiez. Ce principe constitue un mécanisme anti-dumping très efficace. En limitant la concurrence par les prix, il favorise le maintien d’un réseau de librairies indépendantes. Il permet de défendre des ouvrages de rotation plus lente et contribue à une plus grande diversité éditoriale. Enfin, il préserve la valeur commerciale du livre et donc la capacité à rémunérer tous les maillons de la chaîne, à commencer par les auteurs. La simplicité de ce principe lui a permis de traverser le temps. Il est donc moins nécessaire de l’adapter que de l’étendre (l’adoption, en 2011, de la loi sur le prix du livre numérique) ou de veiller à sa bonne application (l’interdiction, en 2014, de la gratuité des frais de port). La charte "Prix du livre" se situe dans le prolongement de ces initiatives : elle vise à associer les acteurs du commerce de livres, notamment ses nouveaux protagonistes, au maintien des équilibres de la filière, de la même façon que la loi Lang a conféré aux éditeurs une responsabilité particulière dans la régulation du secteur. En outre, en précisant les règles d’affichage des prix, elle rappelle que la loi Lang repose sur trois fondements : le principe du prix unique, la fixation du prix par l’éditeur, mais également – ce qui est particulièrement sensible dans le cas du commerce électronique – l’obligation d’informer clairement sur le prix.
Françoise Nyssen : "Cette charte est un accord fondateur"
Le 27 juin, Françoise Nyssen, ministre de la Culture, a salué le succès de la concertation conduite par le médiateur du livre, qui a associé plusieurs organisations professionnelles du secteur et des opérateurs du commerce en ligne. "L’accord trouvé est doublement fondateur, a-t-elle assuré. Fondateur en termes de méthode, d’abord. Grâce au dialogue, vous avez réussi à trouver tous ensemble une issue constructive. Fondateur en termes de contenu, ensuite. A l’ère du numérique, la charte réaffirme la loi Lang comme un pilier de notre politique culturelle. Il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser le commerce électronique, mais de veiller à ce que la loi s’applique systématiquement et pour tous de la même façon". La ministre s'est également penchée sur l'application de la charte Prix du livre. "Le texte que vous signez aujourd’hui doit être suivi par d’autres étapes, a-t-elle rappelé. Dans les six mois à venir, vous devrez trouver un accord sur le principe et les modalités d’application des règles de distinction entre le neuf et l’occasion que vous avez-vous-mêmes retenues, pour les pages des sites de vente qui donnent le résultat des recherches des internautes". "Si vous ne trouviez pas d’accord dans les 6 mois, le Gouvernement prendra ses responsabilités", a prévenu la ministre, en ajoutant qu'elle attendait également du Médiateur du livre "qu’il parvienne à y associer de nouveaux signataires".