Équipement scientifique unique au monde, la nouvelle version de l'accélérateur de particules AGLAE, a été inaugurée le 23 novembre, en présence des ministres de la Culture et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. Isabelle Pallot-Frossard, directrice du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), et Didier Gourier, professeur à Chimie-ParisTech, responsable du projet de rénovation d’AGLAE, dévoilent pour nous les enjeux de cet instrument d’exception.

Le trésor de Bavay analysé par le Nouvel AGLAE

Pour percer les mystères des œuvres ou authentifier des objets patrimoniaux, les spécialistes ont souvent besoin du soutien de la science. AGLAÉ, seul accélérateur de particules au monde exclusivement dédié à la recherche autour des objets du patrimoine, constitue à cet égard, depuis son installation en 1988 au Centre de recherche et de restauration des musées de France, un atout de choix. En sondant, au niveau atomique, la matière dont sont faits les objets du patrimoine, il délivre de précieuses informations sur les techniques de fabrication, de restauration et de conservation des œuvres d’art. Une nouvelle version de cet équipement, plus performante et plus efficace, est inaugurée jeudi 23 novembre en présence de Françoise Nyssen, ministre de la Culture, et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation : le Nouvel AGLAE.

Quels sont les enjeux du Nouvel AGLAE ? 

Didier Gourier – En termes de performances, nous allons franchir une étape supplémentaire avec la nouvelle version de cet équipement unique au monde car exclusivement consacré à l'étude des objets d'art et des objets archéologiques. Grâce à son automatisation, l'accélérateur de particules pourra désormais être utilisé 24h/24. Auparavant, rappelons-le, il fallait l’allumer le matin, l’éteindre le soir, de façon mécanique. L'automatisation constitue pour nous une avancée majeure, qui permettra de doubler sa capacité d'utilisation. Bien entendu, aucune œuvre d’art ne sera analysée de nuit, sans intervention humaine. En revanche, il sera possible de lancer des analyses et des cartographies, c’est-à-dire des balayages sur un petit échantillon, qui peuvent se faire tout seuls, une fois programmés, et qu’on récupère au matin. Autre enjeu fondamental : le détecteur du Nouvel AGLAE a été optimisé. Auparavant, on ne pouvait pas placer n'importe quelle œuvre devant le faisceau de l'accélérateur de particules. Aujourd'hui, nous pourrons moduler et contrôler l’intensité du faisceau sans le moindre risque, de manière à analyser des objets ou des tableaux qui, par le passé, étaient trop fragiles pour passer devant l’accélérateur à particules. Là aussi, c'est un progrès considérable.

Grâce à la nouvelle version d'AGLAE, nous allons franchir une étape décisive en termes de performances

Vous dites que l’automatisation de l’accélérateur permettra de doubler sa capacité. Qui en bénéficiera ? 

Isabelle Pallot-Frossard – Il faut savoir qu'AGLAE se prête à deux types d’intervention : d'une part, les études de service et, d'autre part, les programmes de recherche. Les études de service correspondent à des demandes de restaurateurs ou de conservateurs issus d'institutions françaises, désireuses d’étudier une collection particulière. A ce titre, le C2RMF reçoit chaque année, soit pour étude soit pour restauration, près de 1000 œuvres dans ses ateliers. Toutes ne passent pas devant AGLAE, qui s’inscrit dans une stratégie d’ensemble. Pour beaucoup d’entre elles, d'autres diagnostics suffisent : observation à l’œil nu, analyse plus classique avec prélèvements ou recours à l’imagerie scientifique, comme les radiographies, les photographies sous différents éclairages... Les programmes de recherche, eux, se planifient et s’organisent très en amont avec un partenariat scientifique extérieur. Ils sont français ou européens. 

AGLAE est-il devenu l'un des principaux instruments de la recherche européenne ?

Isabelle Pallot-Frossard – Tout à fait. Le C2RMF s’est successivement engagé, depuis le début des années 2000, dans plusieurs grands projets européens, dont IPERION CH est le dernier en date. Ces projets regroupent un grand nombre d’institutions européennes, dont des laboratoires liés à des musées (le laboratoire du British Museum ou celui du Prado), des centres scientifiques pluridisciplinaires qui, à l’instar du C2RMF, sont en charge de l’étude, de la conservation et de la restauration du patrimoine (l’Institut royal du Patrimoine artistique de Bruxelles, par exemple) et de grands instruments comme AGLAE ou le synchrotron SOLEIL de Saclay. Le programme IPERION CH donne, entre autres, la possibilité à des chercheurs européens, qu’ils soient historiens d’art, scientifiques ou restaurateurs, de déposer une demande d’accès à AGLAE. Jusqu’à présent, nous ne leur réservions que 20% du "temps machine", ce qui était relativement peu au regard du nombre de demandes que nous avions. En rénovant AGLAE, nous avons doublé ses capacités, ce qui nous permettra d’ouvrir davantage son accès à tous les chercheurs concernés.

Cette situation est-elle appelée à devenir pérenne ? 

Isabelle Pallot-Frossard – Cette machine sera également l’un des piliers de la future infrastructure européenne de recherche sur le patrimoine, E-RIHS. Celle-ci vise à inscrire dans le temps long ce type de projet, alors que le programme IPERION CH arrivera à son terme à 2019. E-RHIS rassemblerait les partenaires actuels dans une même institution, financée et soutenue à l’échelle européenne. Nous pourrons ainsi avancer ensemble, en échangeant nos données et en partageant nos expériences... Ce qui présente un avantage considérable par rapport au fonctionnement quelque peu éclaté qui a pu être le nôtre jusqu’à présent.

Les premières analyses du Nouvel AGLAE porteront sur des statuettes du trésor des bronzes conservés au Forum antique de Bavay. Qu’attend-on de ces analyses ?

Isabelle Pallot Froissard – Le choix des œuvres relève en partie d’un concours de circonstance bienvenu. Nous avions une demande concernant le trésor de Bavay, dans les Hauts-de-France, et il se trouve que l’accélérateur marche particulièrement bien sur le bronze. Les objets issus du trésor sont, en outre, de petits formats, sur lesquels une analyse classique est proscrite : on ne peut pas faire un trou sur une statuette de cette taille pour y prélever un fragment. L’analyse extrêmement précise du Nouvel AGLAE convient parfaitement dans ce cas de figure. Les résultats nous permettront notamment d’en savoir davantage sur la nature des alliages de ces bronzes ; ces résultats pourront nous donner de précieuses indications sur l’origine des objets et des matières premières qui ont servi à leur fabrication. En travaillant avec le Nouvel AGLAE sur les collections du Forum antique de Bavay nous nous inscrivons dans une recherche de provenance, de technologie et de mise en contexte.

Didier Gourier – Il y a aussi des questions qui intéressent la recherche historique. Le trésor de Bavay, enfoui à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe, rassemble plus de 300 objets hétéroclites. Découvert en 1969, il demeure assez mystérieux et se prête à de nombreuses interrogations. Est-ce que les différents objets proviennent d’un même ensemble ou ont-ils été rassemblés a posteriori ? En quoi l’existence même du trésor des bronzes de Bavay est-elle liée à cette période de l’histoire, troublée par de nombreuses incursions barbares et de multiples pillages ? En analysant ces objets, on pourra sans doute reconstituer leur cadre historique. Bien sûr, AGLAE ne va pas nous apporter toutes les réponses à nos questions. Mais il y a néanmoins de fortes chances pour que les résultats obtenus soient riches d’enseignement.

Françoise Nyssen : "une référence mondiale au service du patrimoine"

27 mètres de long, un faisceau de particules de 20 micromètres de diamètre, 1,6 millions de données produites par seconde en mode imagerie : telles sont quelques-unes des caractéristiques techniques qui font du Nouvel AGLAE, selon Françoise Nyssen, « une référence mondiale au service du patrimoine ». « C’est un immense horizon qui s’ouvre à la fois pour l’histoire de l’art et pour la conservation de notre patrimoine », a assuré la ministre de la Culture, jeudi 23 novembre, à l’occasion de l’inauguration de l’accélérateur de particules. La ministre est également revenue sur deux dimensions importantes de cet événement : l’investissement culturel (« cette innovation montre combien notre pays est en pointe sur le plan technologique, mais également sur le plan de l’investissement culturel ») et la recherche européenne (« il tiendra une place majeure dans l’infrastructure européenne de recherche sur les matériaux du patrimoine »). Installé depuis 1988 au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), la mise en œuvre de la rénovation de cet instrument d’exception a bénéficié d’un financement des Investissements d'avenir, du ministère de la Culture et de la Ville de Paris, et d'une collaboration scientifique étroite entre le C2RMF, le CNRS et Chimie ParisTech.