Ils sont libraires, bibliothécaires, éditeurs, passeurs de livres en tout genre et, bien sûr, auteurs. Ces professionnels, qui placent le livre très haut, n’ont qu’une seule envie : susciter le désir de lire. Aujourd'hui, la libraire de Sarrant (1/6).

Sarrant dans le Gers. Population : 430 habitants. Signes particuliers : village bâti en cercle autour d’une église, dit circulade, très fort maillage de petites communes tout autour. C’est ici que Didier Bardy et Catherine Mitjana, tous deux spécialistes en développement local, décident en 2000 de créer un lieu de rencontre autour du livre. Une association naît, LIRES pour Lieu pour l’initiative, la rencontre et l’échange à Sarrant. Peu de temps après, la librairie Tartinerie ouvre ses portes avec pour objectif de développer la culture en milieu rural à partir du livre.

Nous voulions, dès le départ, que le projet soit le plus polyvalent possible 

« Nous avons construit le projet à partir des manques », se souvient Didier Brady. « A l’époque, il n’y avait que quatre librairies autour de Sarrant. Quand nous avons fait une analyse socio-économique, tous les critères étaient négatifs, mais cela ne nous a pas arrêtés, bien au contraire : en milieu rural, si on attend que les critères soient positifs, alors on ferme tout, la poste, la gendarmerie, les commerces… Nous voulions dès le départ que ce projet soit le plus polyvalent possible » reprend-il. Autant dire que les soutiens ne se bousculent pas alors même que Sarrant se trouve à une heure de Toulouse et qu’au démarrage la librairie est assurée d’avoir une clientèle. « Pour tout le monde, cela semblait aberrant d’associer de la restauration à une librairie et qu’un fonds de livres autre que des romans de terroir puisse attirer des clients », observe Didier Bardy.

Depuis, tout a changé. Autour de la librairie, les projets n’ont cessé de « s’empiler », à commencer par une maison d’édition spécialisée sur la problématique du développement local, la Librairie des Territoires, et un festival, les « Estivales de l’illustration », dont le succès va grandissant.

« Pour les Estivales de l’illustration, que nous organisons avec la médiathèque départementale, nous sommes une fois de plus partis des manques : nous avons découvert que rien n’existait dans le domaine de la lecture d’images  », précise Didier Bardy. « Par illustration, nous entendons image narrative, autrement dit une image qui porte une opinion, une idée, qui est le prolongement du texte. Dans beaucoup d’écoles d’art, l’illustration reste le parent pauvre. Il nous est apparu très vite qu’il était primordial de s’emparer du sujet, d’autant qu’il nous permettait d’aller facilement au plus près des populations », ajoute-t-il encore. Depuis cinq ans, des résidences accompagnent le festival et complètent le dispositif. Les auteurs choisis travaillent dans une démarche participative. La dernière en date n’a pas dérogé à ce principe. « En allant à la rencontre des habitants, les illustratrices ont fait le lien entre les « quartiers » comme on les appelle ici, c’est à dire des regroupements de lieux-dits, et le bourg centre ».

Les Zestivales - avec cette année un Z pour Zigzag tiré de l’abécédaire de Gilles Deleuze -  s’achèvent au moment de l’entretien. Après l’annulation du festival l’an dernier en raison de la situation sanitaire, Didier Bardy se félicite que tout se soit bien passé à l’occasion de cette reprise. « Le dimanche, nous avons eu près d’un millier de personnes. Nous avons fait en sorte que la manifestation soit éclatée pour qu’il y ait le moins de passages possibles. Des interventions artistiques et des rencontres avec les illustrateurs invités ont eu lieu dans quinze villages du département »

« On se drogue au projet » lance Didier Bardy, et c’est comme un cri du cœur. Pour pouvoir se recentrer sur le travail d’édition et le festival, son épouse et lui ont décidé l’an dernier de transmettre la librairie. Une passation en douceur : « Hélène Bustof, qui a repris la librairie, continue dans le même esprit, avec le même engagement politique et culturel. Et cette fois, toutes les structures institutionnelles la soutiennent »

Dernière évolution et non des moindres : une vingtaine de personnes ont acheté collectivement une maison à cinquante mètres de la librairie pour en faire une maison de l’illustration. « Ce projet est dans le prolongement de nos actions » se félicite Didier Bardy. De même, des jeunes venus participer à des masterclass il y a quelques années dans le cadre notamment du partenariat avec l’école d’art d’Epinal, sont aujourd’hui en train de s’installer à Sarrant. « Grâce à l’investissement de citoyens qui ont acheté du matériel, ces cinq jeunes, chacun dans leur spécialité - gravure, sérigraphie, typographie, illustration - peuvent aujourd’hui s’installer dans les meilleures conditions. À ces jeunes, on ne peut pas dire qu’il est impossible de croire en des utopies. Tout notre engagement aujourd’hui est de faire en sorte qu’ils puissent réussir dans leur activité ».

Et ce n’est pas tout : l’association a récemment mis en place un camp d’adolescents pour une douzaine de jeunes du territoire habitant dans un rayon de quinze minutes autour de Sarrant. « Ils aiment le dessin, la culture et ont une socialisation peut-être plus difficile que s’ils aimaient le foot. Le camp vient juste de se terminer et ils ne voulaient plus partir ! » s’enflamme Didier Bardy. « Ce qui nous tient aussi, ce sont les gens qui ont déjà réservé pour l’année prochaine et qui veulent s’engager, les illustrateurs qui nous disent : ce que vous organisez est unique, vous nous portez pendant quatre jours dans ce qui fait l’âme et l’essence de notre métier, l’illustration, et grâce à vous, nous pouvons transmettre et avoir un lien avec les gens. Voilà ce qui nous anime et nous permet de continuer ». Qui pourrait dire après cela que le milieu rural n’est pas une terre fertile pour le livre ?