Dans son dernier rapport d’activité, la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art annonce la mise en chantier d’un portail des œuvres disparues issues des collections nationales.
C'est un véritable trésor national méconnu. Chaque année, de prestigieuses institutions patrimoniales, comme le musée du Louvre, le Centre national des arts plastiques, le Mobilier national et la Manufacture de Sèvres, confient la garde et le bon usage d’un nombre impressionnant d’objets mobiliers et d’œuvres d’art à des institutions publiques qui en sont les dépositaires. Dans un souci de gestion rigoureuse de ces collections, ces dernières sont tenues d’en assurer le récolement – c’est-à-dire la vérification sur place de la présence et de l’état des œuvres – sous le contrôle de la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (CRDOA).
Dans son dernier rapport d’activité qui vient d’être rendu public, cette institution placée auprès de la ministre de la Culture fait pour la première fois apparaître un « taux d’avancée de récolement », une nouvelle donnée qui doit permettre d’améliorer les résultats de ses recherches, et annonce la mise en chantier d’un portail des œuvres disparues de l’État. Le point sur une activité méconnue et pourtant indispensable pour veiller à la bonne gestion par l’État de ses collections d’œuvres d’art avec sa présidente, Évelyne Ratte, et son secrétaire général, Sylvain Leclerc.
Dans quel contexte la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art a-t-elle été créée ?
Évelyne Ratte : C’est en 1996, à la suite d’un rapport de la Cour des Comptes que la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art a été créée. Ces collections, alors même qu’elles sont la propriété de l’État, et à ce titre inaliénables, ne faisaient en effet l’objet d’aucun inventaire. On se trouvait en quelque sorte en présence d’un trésor national patrimonial laissé à l’abandon. L’approche au départ a été modeste. Il s’agissait de prendre un segment précis et non d’embrasser l’ensemble du patrimoine mobilier national, en l’occurrence les dépôts d’œuvres d’art. Autrement dit, les dépôts effectués par les grands déposants, au nombre de quatre principalement – les musées nationaux représentés par le Service des musées de France, la Manufacture de Sèvres, le Mobilier national, et le Centre national des arts plastiques (CNAP) – auprès de leurs dépositaires, un très large éventail d’institutions de la République.
Le spectre des lieux où l’on vérifie la présence et l’intégrité de l’œuvre est extrêmement large
Ce qui frappe immédiatement en effet, c’est le petit nombre de déposants et le très grand nombre de dépositaires.
ER : Absolument. Les dépositaires sont non seulement très nombreux et variés – il peut s’agir aussi bien de prestigieuses institutions nationales que de petits musées – mais aussi très dispersés géographiquement. Il y en a dans le monde entier, notamment à travers le réseau des représentations diplomatiques françaises à l’étranger. Le spectre des lieux où l’on vérifie la présence et l’intégrité de l’œuvre est donc extrêmement large. La démarche était limitée mais le programme ambitieux. L’exercice était prévu pour durer quelques années. Cela fait maintenant plus de vingt ans que la commission existe et plus personne ne parle de mettre un terme à sa mission. Son maintien est tout à fait justifié.
Quelles sont précisément les missions de la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art ?
ER : La commission au départ assurait elle-même une partie de la gestion des opérations de récolement. Puis, dans la mesure où une pratique de récolement s’est peu à peu installée, l’idée a été de responsabiliser de plus en plus ceux qui sont chargés de veiller au maintien de l’intégrité du patrimoine de l’État. Ainsi, les nombreux chargés de récolements qui étaient auparavant placés auprès de la commission, et qui constituaient en quelque sorte son bras séculier, vont être transférés auprès de grands déposants. À présent, la commission a essentiellement vocation à piloter, et surtout, programmer. C’est un véritable enjeu pour les années à venir. Cette programmation des opérations de récolement par les grands déposants doit devenir notre tableau de bord pour s’assurer que les choses se font normalement.
Quand on prend connaissance des données du récolement, on est étonné par le nombre important de pièces non localisées. Or, il s’agit bien souvent d’une donnée trompeuse : ces disparitions ont une explication.
ER : Oui, une fois que ce constat a été fait – et ces disparitions peuvent aussi bien être la conséquence de vols, d’actes de prédation ou de dissimulation – il convient d’y apporter trois réserves. La première, c’est qu’un grand nombre de dépôts proviennent de la Manufacture de Sèvres. Or ces objets, aussi prestigieux soient-il, peuvent être des objets du quotidien, une tasse par exemple dans un service de table, autrement dit des objets souvent fragiles qui peuvent se casser ou être dérobés. La deuxième remarque, c’est que les objets déposés ont pu, à la faveur par exemple d’un changement d’ambassadeur ou de directeur d’administration centrale, être mis de côté. Il n’est pas rare que l’on retrouve des objets disparus ou considérés comme tels dans des réserves que tout le monde ignorait. En somme, ces objets ont une vie, et l’on ne peut que s’en réjouir, mais c’est aussi une faille. Enfin, beaucoup de dépôts sont très anciens, remontant parfois au XIX° siècle, et la responsabilité de leur disparition ne peut être imputée aux actuels gestionnaires.
Quelles suites réservez-vous aux pièces non localisées ?
Sylvain Leclerc : Le classement – c’est, de loin, la grande majorité des suites données aux objets disparus – vise avant tout à signaler que les recherches n’ont pas abouti. Cela concerne souvent des œuvres qui ont disparu depuis longtemps, en particulier celles dont on a perdu la trace dans des contextes de guerres au XXe siècle, ou des séries, un objet par exemple d’une série de dix objets identiques. Les plaintes sont réservées soit à des biens emblématiques, soit à des disparitions récentes. Enfin, le déposant a également la possibilité de demander une indemnisation. Celle-ci se cumule avec le classement ou la plainte en cas de carence manifeste du dépositaire. C’est le seul cas où est pointée la responsabilité du dépositaire.
En calculant un taux de récolement, nous mettons une nouvelle donnée à la disposition des déposants, qui doit conduire à rechercher avec eux de nouvelles méthodes, de nouvelles procédures, permettant d’ améliorer leurs résultats
Quels sont, en matière de rythme de récolement et de réponses apportées aux constats de disparition, les grands enseignements du rapport d’activité 2019 ?
ER : Le délai est souvent important entre la demande de dépôt de plainte et le dépôt effectif de la plainte par le dépositaire, mais c’est un sujet sur lequel nous n’avons pas de prise. Quoi qu’il en soit, le dépôt de plainte permet que l’objet soit enregistré dans le fichier de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels. Autrement dit, un service de police a dès lors en charge la recherche de cet objet. C’est un bénéfice inestimable.
Quant au rythme de récolement – c’est la grande innovation de cette année – le rapport d’activité fait pour la première fois apparaître un taux d’avancée de récolement. Prenons l’exemple du Centre national des arts plastiques, mais en notant bien que la plupart des déposants ont un résultat semblable. Le CNAP, donc, a déposé environ 58 000 biens culturels. Ceux-ci doivent être récolés tous les dix ans. Cela veut dire qu’il faudrait récoler 10% de 58 000 chaque année, c’est à dire 5 800 objets . Comment se situe-t-on en 2019 par rapport à cet index théorique annuel ? On s’aperçoit qu’il n’y a eu que 663 biens récolés. En calculant ainsi un taux de récolement, nous mettons une nouvelle donnée à la disposition des déposants, qui doit conduire à rechercher avec eux de nouvelles méthodes, de nouvelles procédures, permettant d’ améliorer leurs résultats.
Cela pose la question de l’obligation de récolement décennale ou quinquennale. Est-elle pertinente ?
C’est en effet un sujet déterminant. Mais avant de poser la question de la remise en cause du délai, il y a probablement beaucoup d’améliorations à apporter en termes de méthode. On voit bien qu’il y a beaucoup d’occasions manquées parce que les déposants ne coopèrent pas suffisamment entre eux. Chaque dépositaire peut avoir en dépôt des œuvres du Mobilier national, du CNAP, de la Manufacture de Sèvres… Il semble évident qu’il pourrait y avoir une coordination entre ces trois déposants pour faire en sorte que celui qui va sur place puisse avoir mandat des deux autres pour vérifier que l’objet est là et qu’il est en bon état. Cette procédure ne suppose ni effectifs, ni crédits supplémentaires. C’est une question de confiance des uns en les autres au nom de l’intérêt de l’État et de la préservation du patrimoine. C’est une démarche que nous souhaitons vivement encourager.
Quelles sont les institutions les plus exemplaires ?
ER : Le musée du Louvre a réussi à établir cette transversalité entre ses différents départements. Nous souhaitons que le même mouvement s’organise entre l’ensemble des musées nationaux, le Cnap, le Mobilier national et la Manufacture de Sèvres. La commission a un vrai rôle à jouer à cet égard. Elle peut les encourager à travailler ensemble et à mutualiser leurs pratiques. Et l’outil pour cela, c’est la programmation.
Comment cette programmation est-elle mise en œuvre ?
SL : La déclinaison opérationnelle de cette programmation se fait au moyen d’un espace collaboratif au sein de l’intranet du ministère de la Culture. La CRDOA, qui en assure le secrétariat, invite tous les déposants à publier leurs projets de mission. Cela permet aux autres déposants éventuellement intéressés de prendre contact avec le déposant qui part en mission et éventuellement de lui donner mandat pour faire le récolement à leur place selon la procédure déjà évoquée.
Par ailleurs, au-delà de cette solution de mutualisation, le récolement peut également être fait par le dépositaire lui-même. C’est notamment très intéressant lorsqu’un premier récolement a déjà été fait par le déposant : le dépositaire peut alors confirmer (ou parfois infirmer) ce qu’a constaté le déposant quelques années avant.
Un transporteur privé d’objets d’art nous a contactés après avoir trouvé un tableau avec un numéro d’inventaire qui ne correspondait pas à ses listes. Nous avons appelé le déposant concerné. Il se trouve que c’est une œuvre que l’on recherchait depuis plusieurs années !
Quelles sont les autres pistes au titre de l’organisation et de la méthodologie ?
SL : Nous avons deux projets : le premier concerne l’interopérabilité des bases de données des déposants et des dépositaires pour faciliter les croisements et faire ressortir plus vite les anomalies. Au-delà des grands dépositaires, on peut aussi espérer avoir des bases interopérables dans les réseaux, notamment le réseau préfectoral et le réseau diplomatique.
Le second projet concerne la mise en chantier d’un portail des œuvres disparues de l’État. À cet égard, nous avons encore eu dernièrement la preuve de sa pertinence. Un transporteur privé d’objets d’art nous a en effet contactés après avoir trouvé un tableau avec un numéro d’inventaire qui ne correspondait pas à ses listes. Nous avons appelé le déposant concerné. Il se trouve que c’est une œuvre que l’on recherchait depuis plusieurs années ! Ce transporteur nous a retrouvés un peu par chance, le numéro était celui du Fonds national d’art contemporain que gère le CNAP. L’idée est que toute personne qui trouve une œuvre et qui se pose des questions puisse vérifier grâce à ce portail si l’œuvre est recherchée ou non. C’est aussi de ne pas se cantonner aux seuls dépôts disparus mais à tout bien appartenant à une collection publique de l’État. Le portail dépasse la compétence de la CRDOA, on vise le grand public. Mais la CRDOA peut être à l’impulsion du projet.