Où va le mécénat ? Quinze ans après la loi Aillagon, nous faisons le point sur l'évolution d'un dispositif devenu un outil indispensable à la vie culturelle. Premier volet de notre enquête : compte-rendu première édition des Rencontres du mécénat culturel, organisée le 10 décembre 2018. (1/2)

« La loi du 1er août 2003 sur le mécénat a fait de l’intérêt général l’affaire de la société tout entière ». C’est en ces termes que Franck Riester, ministre de la Culture, a ouvert, le 10 décembre dernier, les Rencontres du mécénat culturel au Grand Palais. Le « dispositif mécénat » permet, rappelons-le, une réduction d’impôts (66% pour les particuliers, 60% pour les entreprises) sur le montant des dons effectués en vue de soutenir un organisme ou une œuvre d’intérêt général. « L’État consent à ce que nous affections librement une part de l’impôt qui lui est dû. Il accepte que chacun d’entre nous – selon qu’il donne à la Bibliothèque Nationale de France, au Château de Versailles, à Emmaüs, à l’Université de Toulouse…– devienne un peu ministre de la Culture, ministre de l’Éducation, ministre de la Santé ou encore ministre de la Recherche », a souligné Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture à l’origine de ce texte. Si le régime fiscal du mécénat a démontré sa pertinence – multiplication des dons déclarés par 4 et du nombre d’entreprises mécènes par 12 – les Rencontres organisées à l’occasion de son 15e anniversaire ont constitué un moment privilégié pour dresser un bilan de ce dispositif et faire le point sur son avenir.

Le mécénat au service de la lutte contre les inégalités territoriales...

« Nous avons, par le biais du mécénat, un rôle à jouer dans la société », a fait valoir Thomas Levet, directeur des affaires institutionnelles à la Caisse d’Épargne Île-de-France. Le groupe bancaire a notamment développé, avec le Louvre, une expérimentation autour de la gratuité qui, forte de son succès - 25% de jeunes en plus – a été reprise et généralisée par les pouvoirs publics. A l’instar de la Caisse d’Épargne, de nombreux mécènes ont choisi de faire de la démocratisation culturelle leur cheval de bataille. Avec le programme 1er Acte, développée au Théâtre National de Strasbourg, les Fondations Edmond de Rothschild s’attachent ainsi à favoriser l’insertion professionnelle de jeunes comédiens issus de la diversité.

Le promoteur immobilier Emerige, a, pour sa part, choisi de lancer l’opération « Une journée de vacances à Versailles », qui permet chaque année à plusieurs milliers d’enfants issus des quartiers défavorisés du Grand Paris de découvrir le Château et ses jardins en compagnie de médiateurs, de conteurs et de comédiens costumés. « C’est un moyen de leur dire que ce lieu leur appartient, comme il appartient à tous les Français », a observé Arthur Toscan du Plantier, directeur de la stratégie et du mécénat du groupe. Un soutien que petites structures et grandes institutions culturelles jugent bienvenu. « Les mécènes nous accompagnent pour lancer des actions sur le terrain mais ils nous aident également à développer, pérenniser et valoriser nos projets en partageant avec nous leur expertise », a assuré Christine Vidal, co-directrice du BAL et fondatrice de la Fabrique du regard. « L’apport du mécénat est vital, il nous permet de continuer à proposer des expositions de qualité tout en diversifiant nos publics », a ajouté Geneviève Paire, directrice de la communication et du mécénat de la Réunion des musées nationaux Grand Palais.

Il n'y a pas de petit mécénat et toutes les entreprises sont concernées

... et en faveur du développement culturel

A la question de l’accès à la culture, se superpose parfois celle du développement. « Une société d’autoroute irrigue, par définition, les territoires. Nous avons décidé qu’il était de notre responsabilité de contribuer au dynamisme de ces mêmes territoires en soutenant la culture en région », a témoigné Christine Allard, directrice des relations institutionnelles et de la RSE du groupe SANEF. Le financement d’un espace d’accueil pour les festivaliers handicapés au Eurockéennes de Belfort et le succès de la levée de fonds en faveur du musée d’art moderne et contemporain de l’abbaye Sainte-Croix, aux Sables-d’Olonne, témoignent du rôle que joue désormais le mécénat dans l’émergence de nouvelles dynamiques territoriales. « La loi Aillagon donne l’opportunité aux contribuables d’orienter leurs impôts vers des projets locaux », a rappelé Guillaume d’Andlau, fondateur et président d’honneur de Passions Alsace. Lancée en 2009, la Fondation a un objectif bien défini :organiser « un circuit court du don » en proposant aux entreprises et aux acteurs individuels de donner pour des associations locales, souvent délaissées, du fait de leur manque de visibilité, au profit de grandes structures « qui font un travail intéressant mais ne sont pas aussi proches du territoire ».

Une initiative que Patricia Linot ne peut qu’approuver : le club des mécènes de Seine-et-Marne, dont elle est membre, encourage les chefs d’entreprises du département à s’investir dans la sauvegarde du patrimoine local. « Les TPE et les PME ont tendance à associer le mécénat aux grandes entreprises. C’est un tort, car il n’y a pas de petit mécénat et toutes les entreprises sont concernées », a-t-elle assuré. Le développement du mécénat en région passe également par la création de « pôles mécénat » ayant pour mission d’accompagner, de fédérer et de faire connaître les projets locaux.  « Nous apportons aux entreprises comme aux associations des réponses à plusieurs questions très concrètes :  comment trouver des mécènes ? Comment pérenniser financièrement un projet ? Et comment sécuriser, d’un point de vue fiscal, son mécénat ? », a expliqué Sébastien Cruège, représentant du Pôle mécénat Nouvelle-Aquitaine.

La sauvegarde du patrimoine, un défi européen ?

Pour Célia Vérot, directrice générale de la Fondation du patrimoine, le mécénat est un enjeu pour le patrimoine national mais doit également être pensé à l'échelle européenne. « Le patrimoine est un sujet paradoxal car il nous renvoie à notre identité nationale. Pourtant notre patrimoine est européen. C’est la matérialisation concrète de la circulation des idées à toutes les époques : de l’Antiquité à la Renaissance, en passant par les Lumières, jusqu’à la Révolution. Notre patrimoine est commun, c’est un élément essentiel de cohésion des populations. Il nous rappelle d’où nous venons, où nous allons et comment nous avons été construits et  c’est, aujourd’hui, un élément essentiel pour rassurer les peuples sur ce qui fait leur identité. »

Au cours de la deuxième table ronde des Rencontres du mécénat culturel 2018, celle-ci a rappelé que le patrimoine, source d’emploi non délocalisables, à travers les entreprises du bâtiment et du tourisme, était à même de servir la dynamique de renforcement et d’intégration de l’Union Européenne. « Je pense notamment à Erasmus qui touche, pour l’instant, essentiellement les étudiants. Il existe un Erasmus de l’apprentissage mais il est très peu développé. Or le patrimoine pourrait être un très bon support pour développer ce sentiment européen chez les jeunes à travers la circulation des personnes pour se former en Europe », a-t-elle conclu.

Mécénat : Franck Riester annonce de nouvelles mesures en 2019

Si la loi Aillagon a fait du mécénat « une chance pour la France », elle constitue, par son coût fiscal et financier, « un effort important, consenti par l’État »,  a observé Franck Rister, ministre de la Culture. « Cet effort nous oblige à évaluer ce dispositif en limitant ses éventuelles dérives ou effets d’aubaine », a-t-il poursuivi.

Dans cette perspective, le ministre de la Culture s’est réjoui de l’introduction, dans le projet de loi de finances 2019, de deux mesures importantes. La première vise à faciliter le développement du mécénat des plus petites entreprises, qui atteignent plus facilement la limite de versement – fixée à 0,5% du chiffre d’affaire – que les autres. A cette fin, la mise en place d’une franchise de 10 000 euros, au-delà de laquelle le plafond continuera de s’appliquer, a été votée. « Cette mesure était attendue et, elle va, j’en suis convaincu, renforcer l’engagement des TPE et des PME dans le financement de la culture sur notre territoire », a déclaré Franck Riester.

La seconde consiste en une obligation déclarative, qui permettra à l’État de « mieux connaître les institutions et les organismes bénéficiaires de ces dons ». Celle-ci prévoir que les entreprises mécènes devront déclarer à l’administration fiscale les destinataires de leurs dons mais aussi les montants donnés et les contreparties reçues. Car pour l’instant, estime Franck Riester, « notre connaissance de l’usage que font les entreprises de ce type de dispositif fiscal est trop imparfaite, elle n’est pas à la hauteur des enjeux financiers en cause ».