Restituer Picasso dans tous ses états, telle est l'ambition du musée parisien consacré à l'oeuvre prolifique de l'artiste de « La Célestine » et « Dora Maar ». Après cinq ans de travaux, il rouvre samedi 25 octobre.
Evénement. Samedi, Picasso aurait eu 133 ans. Un anniversaire parmi d'autres ? Pas tout à fait. Il coïncide cette année avec la réouverture du Musée Picasso, installé à l'Hôtel Salé, dans le quartier du Marais, à Paris, qui était fermé depuis cinq ans. Et constitue un véritable événement dans la galaxie Picasso. Non seulement la totalité des travaux de rénovation aura été à la hauteur des ambitions affichées (ils ont notamment permis le triplement des espaces d'exposition ou dévolus au public), mais encore la qualité de l'accrochage de la plus importante collection au monde du peintre (4755 oeuvres) donne à voir un Picasso splendidement rajeuni.
Volumes. Sous la houlette de l'architecte Jean-François Bodin, les travaux engagés ont redonné vie à différents types de volumes et d'espaces. Deux exemples : les combles – anciennement occupés par l'administration du musée – ont été aménagés pour accueillir les différentes collections ayant appartenu au maître catalan et entretenir les « dialogues » avec les oeuvres d'autres artistes (les services administratifs rejoignent un immeuble à proximité du musée), tandis que, dans les sous-sols, cinq salles reconstituent les différents ateliers occupés par l'artiste, du Bateau-Lavoir à Boisgeloup, et de La Californie à l'atelier de gravure de Mougins. « Les volumes de l'Hôtel Salé sont extraordinaires et vraiment adaptés à l'oeuvre de Picasso », se réjouit Laurent Le Bon, nouveau directeur du musée.
« On ne doit voir que Picasso »
Unité. Le nouveau musée Picasso réussit une prouesse : révéler la profonde unité d'une oeuvre derrière les renouvellements de style permanents. « Si Picasso révolutionne son style, il le fait pour des raisons structurelles, pas parce qu'il a rencontré X ou Y », observe Anne Baldassari, commissaire de la présentation des oeuvres de Picasso, qui dit vouloir le « sortir du biographisme ». L'accrochage cherche donc à retrouver des lignes de tension interne dans une création sans interruption pendant soixante-quinze ans. « J'ai voulu montrer les logiques profondes qui guident l'oeuvre au-delà et en-deçà des apparences », revendique la commissaire.
Processus. A aucun moment, on ne nous montre l'oeuvre à travers quelque prisme, discours ou interprétation. « On ne doit voir que Picasso », tranche Anne Baldassari. La présentation est chrono-thématique, en ce qu'elle essaie de « montrer le processus de travail » à travers des « visions tranversales ». Exemples entre mille : la « Nature morte à la chaise cannée » (1912) répond à « Paul en Arlequin » (1924), inspiré par Velasquez, Goya et Manet ; l' « Homme au chapeau de paille et au cornet de glace » (1938), est un portrait de Van Gogh en réponse à Goebbels qui prône la stérilisation des artistes modernes ; ou « Femmes nues à leur toilette » (1937-38), le plus grand collage de Picasso, réalisé avec des chutes de papiers peints de Guernica....
« Picasso va toujours plus loin »
Fluidité. « Il y a beaucoup de fluidité dans le parcours », souligne Laurent Le Bon. Entre esthétique minimaliste (« parce que se sont les oeuvres qui sont au premier plan », explique la commissaire) et mixité entre les médiums (« avant, on avait tendance à mettre les dessins, les peintures et les sculptures un peu de manière séparée, ce n'est plus le cas aujourd'hui », souligne le directeur du musée), on aboutit à un accrochage époustouflant de netteté. Et à une vision renouvelée – dégraissée, aurait-on envie de dire, des multitudes d'interprétations que l'oeuvre a suscitées – du plus grand artiste du XXe siècle. « Quel que soit le langage, qu'on soit dans le classique, le naturaliste, la représentation ou la figuration, Picasso va toujours plus loin », affirme Anne Baldassari.
Une rénovation imposante
Achevé en 1659 et ainsi baptisé parce que son constructeur, Pierre Aubert, était percepteur de la gabelle, l'impôt sur le sel, l'Hôtel Salé a fait l'objet d'une considérable rénovation conduite par l'architecte Jean-François Bodin : climatisation enterrée dans le jardin, bureaux dans un immeuble mitoyen, combles et caves transformés en lieux d'exposition, hall d'accueil créé dans les anciennes écuries, café situé sur la terrasse... Le coût de l'opération s'élève à 43 millons d'euros, financés à 65% par le musée lui-même.