De la passionnante rétrospective que lui consacre la Cinémathèque française à partir du 14 octobre au prix Lumière qui lui sera décerné à Lyon le 16 octobre pour son engagement en faveur du patrimoine du 7e Art, l’automne cinématographique sera résolument « scorsesien ». Extraits de la conférence de presse où le grand réalisateur américain a livré son avis d’expert sur les questions de la transmission de la mémoire cinématographique. Du 100 % Scorsese.
Exposition. « Je vois l’exposition pour la première fois à la Cinémathèque française, je n’imaginais pas qu’elle serait de cette ampleur, c’est bouleversant, cela fait aussi un drôle d’effet de retrouver certains effets personnels. Je pense à la table dans la salle à manger de mes parents, il y a eu tant de repas, tant de monde autour de cette table, Robert De Niro, Francis Ford Coppola, John Cassavetes, Peter Falk…». Martin Scorsese est ému lorsqu’il parle de l’exposition que lui consacre la Cinémathèque française à partir du 14 octobre.
Conçue à partir d’extraits, de storyboards, de photos, de courriers, d’objets personnels, l’exposition, qui se livre à une relecture foisonnante du parcours du maître, intervient dix ans après un autre événement. « En 2005, se souvient Costa-Gavras, président de la Cinémathèque française, Martin Scorsese nous avait fait l’immense joie de venir à l’inauguration des nouveaux locaux de la Cinémathèque. Nous avions projeté Le Fleuve de Jean Renoir, un film qu’il avait restauré. Il a sauvé beaucoup de films, nous considérons que c’est l’homme de toutes les cinémathèques du monde ».
Restauration. Pour préserver des films du monde entier, le réalisateur de Taxi Driver et du Loup de Wall Street crée en 1990 la Film Foundation dédiée à la restauration d’œuvres cinématographiques. Vingt-cinq ans plus tard, sa fondation a restauré plus de 700 films et son engagement en faveur du patrimoine cinématographique est intact. Comme en témoignent nombre de chefs d’oeuvre du 7e Art restaurés par sa fondation : L’ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock, Shadows de John Cassavetes, La Noire de… d’Ousmane Sembene, Rocco et ses frères de Luchino Visconti, Le Journal d’une femme de chambre de Jean Renoir…
Un engagement qui conduit Serge Toubiana, le directeur général de la Cinémathèque française, à interroger Martin Scorsese sur la question de la restauration numérique et du support de conservation le plus adéquat. « Il faut retourner à un négatif et en faire des tirages, revendique Martin Scorsese. Il y a dix ans, lorsque je suis venu à la Cinémathèque pour la Film Foundation, la numérisation commençait tout juste, à l’époque la restauration était encore chimique, or, une grande partie de ces copies ne sont plus utilisables aujourd’hui. Les restaurations seront numériques mais il est impératif ensuite de retourner vers un négatif. J’en discutais il y a encore quelques jours avec George Lucas qui nous critique, Steven Spielberg et moi-même, de tourner encore parfois en pellicule. Lui-même évalue la durée de vie d’une restauration numérique à six ans. Le grand problème reste celui de la migration des formes numériques, personne n’a encore trouvé le moyen de le résoudre. »
Préservation. Plus largement, Martin Scorsese revient sur l’impérieuse nécessité qu’il y a aujourd’hui à conserver et préserver la mémoire cinématographique : « Le clivage est très clair aujourd’hui entre les grosses productions et les films indépendants qui, même lorsqu’ils obtiennent des récompenses internationales, sont marginalisés. Nous vivons pourtant dans un monde où il est beaucoup plus facile d’avoir accès au cinéma indépendant, je pense en particulier aux possibilités offertes par internet. Le problème avec les grosses productions, c’est que les jeunes en viennent à penser que le cinéma se réduit à cela. On a peut-être perdu une génération. C’est pour cette raison qu’il est si important de conserver les vieux films. Quand je parle d’un vieux film, celui-ci peut avoir été réalisé il y a seulement cinq ans... En même temps, il faut avoir en tête que les gens ont également envie de superproductions. Le film que je rêvais de faire à l’âge de dix ans était une superproduction ».
Fleur Pellerin : comment Harvey Keitel a rencontré Martin Scorsese
Le 13 octobre, Fleur Pellerin a remis à l’acteur américain Harvey Keitel les insignes de commandeur dans l’ordre des Arts & Lettres. Dans son discours, la ministre de la Culture et de la Communication n’a pas manqué de relever les liens anciens qui unissent Harvey Keitel et Martin Scorsese. Tout est parti d'une petite annonce, en 1965... « Votre quête de cinéma – qui est bien en réalité votre conquête du cinéma – est faite d’exigence, mais elle est aussi faite de rencontres, a relevé Fleur Pellerin. La première et la plus célèbre est d’ailleurs le fruit d’une petite annonce : celle d’un étudiant en cinéma qui cherchait un acteur débutant pour tourner gratuitement – cela va sans dire – dans un film expérimental. C’était en 1965, vous aviez 26 ans, et cet étudiant de trois ans votre cadet s’appelait Martin Scorsese. Je n’ai pas vu I call first, ce fameux court-métrage – j’aurai sans doute le plaisir de le découvrir à la Cinémathèque tout à l’heure – mais comme bien des Français de bien des générations, j’ai vu Harvey Keitel jouer Charlie dans Mean Streets, et incarner l’incroyable « Sport » Matthew, le proxénète de Taxi Driver. Voilà deux immenses moments de cinéma. De cette rencontre avec Martin Scorsese, vous dites qu’elle fut comme une rencontre amoureuse : il a pris un peu de vous, et vous avez pris un peu de lui ».