La Saison culturelle France-Roumanie 2019, qui débute le 27 novembre 2018, est la première saison culturelle croisée organisée avec un autre pays de l’Union européenne. Un geste fort, symbolique de la proximité entre les deux pays, que reflète une riche programmation. Entretien avec Jean-Jacques Garnier, son commissaire général pour la partie française.

Quels sont les principaux enjeux de la Saison France-Roumanie 2019, pilotée par l’Institut français?

Il est tout d’abord important de préciser que, si la culture est le cœur de la programmation, tous les domaines de la coopération entre nos deux pays sont couverts. Le principal objectif de la saison est de changer la perception que les deux peuples ont l’un de l’autre. Pour la France, c’est, hélas, cette stigmatisation Roms quasi systématique, mais également une méconnaissance du pays. Nos concitoyens ont tendance à oublier l’apport culturel et intellectuel de la Roumanie à notre pays. De très grands noms, comme Brancusi, Ionesco, Tzara, Cioran, sont venus s’installer en France et ont contribué à la création de mouvements littéraires, artistiques et philosophiques qui rayonnent aujourd’hui à l’échelle de l’Europe et du monde entier. Côté roumain, la francophilie est aujourd’hui en net recul. Pour les jeunes générations, la France est perçue comme un pays un peu poussiéreux qui faisait rêver leurs aînés. Aujourd’hui, le défi est de rebooter le logiciel pour la France, d’autant qu’au plan économique, les relations sont très fortes entre nos deux pays. Les affiches, montrant d’un côté Dracula et Édith Piaf, de l’autre, Maria Tanase [une chanteuse roumaine iconique] et Napoléon, sous la mention « Oubliez vos clichés », véhiculent de ce point de vue formidablement l’esprit de la Saison.

Dans l’ADN de la saison France-Roumanie, il y a trois choses : l’Europe, la francophonie et le regard vers le futur

La Saison a lieu au moment où la Roumanie présidera pour la première fois le Conseil de l’Union européenne. C'est un contexte favorable, presque un symbole...

Nous voulions profiter d’une conjoncture favorable, non seulement de la première présidence du Conseil de l’Union européenne par la Roumanie depuis son intégration en 2007, mais aussi du centenaire de la création de la Roumanie moderne au 1er décembre 1918, et de la commémoration du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Dans un tel contexte, la Saison était une évidence.

Comment cela se reflète-t-il dans la programmation ?

Avec mon homologue, Andrei Tarnea, commissaire général pour la partie roumaine, nous tenions à ce qu’il y ait un équilibre entre le côté mémoriel et la projection vers l’avenir. Dans l’ADN de la saison, il y a trois choses, l’Europe, la francophonie, et le regard vers le futur. La dimension européenne, en écho à l’agenda politique que je rappelais à l’instant, sera notamment au tout premier plan. Dans le moment de renfermement et de crispation que l’on connaît aujourd’hui, la Roumanie reste profondément attachée à l’Europe. 

Comment avez-vous travaillé avec le Centre Pompidou qui propose une riche programmation à l’occasion de cette saison ?

Le Centre Pompidou est l’établissement français qui a l’histoire la plus importante avec la Roumanie. Il abrite l’atelier Brancusi et les œuvres d’artistes roumains sont très nombreuses dans ses collections. Autant dire que son adhésion a été immédiate. La « Saison roumaine au Centre Pompidou » comprend cinq événements au départ de la saison : une exposition de Mihai Olos, artiste décédé il y a deux ans encore méconnu en France, une installation d’Adrian Ghenie dont le Centre Pompidou a fait l’acquisition l’année dernière, une exposition consacrée au poète Gherasim Luca, un clin d’œil à André Cadere dont les bâtons seront placés au milieu des œuvres roumaines, enfin un hommage au dialogue « Matisse/Pallady » autour de La Blouse roumaine, l'un des chefs d'œuvre du peintre français. En début d’année, aura lieu la première rétrospective monographique en France consacrée au fondateur du mouvement lettriste, Isidore Isou, un événement exceptionnel. À cette programmation en France, succèdera un volet très riche en Roumanie, avec des expositions consacrées à Victor Brauner, Eli Lotar (coproduite avec le Jeu de Paume), et l’exposition « Les nouveaux réalistes » présentée au musée national d’art contemporain de Bucarest. La saison au Centre Pompidou sera complétée par des focus sur la jeune génération d’artistes plasticiens, dont les œuvres ont été choisis par Diana Marincu, une jeune commissaire d’exposition formidable, au Mucem et au Frac Pays de Loire.

Le théâtre est lui aussi particulièrement à l’honneur.

Là aussi, on a une génération de jeunes artistes particulièrement talentueux qui bénéficiera d’un coup de projecteur notamment dans le cadre de focus dédiés au Théâtre de la Ville à Paris et au théâtre des Célestins à Lyon. Qui plus est, la scène est une belle illustration de la place des femmes dans la Saison. Cette dimension nous tenait particulièrement à cœur. Elle consiste à rapprocher des messages autour de la diversité et des minorités qui apparaissent aussi dans nos choix de programmation.

D’une façon générale, on est frappé par le nombre de projets qui associent artistes français et roumains. Etait-ce une ambition délibérée de la part des commissaires ?

Dans le domaine des musiques actuelles par exemple, certains opérateurs nous ont présenté des projets avec des plateaux de DJ croisés franco-roumains qui se produiront dans les deux pays. Notre volonté est qu’ils puissent travailler ensemble à l’avenir et, au-delà, contribuer à recréer cette intimité franco-roumaine. La clé de la saison, c’est de rappeler cette proximité, non seulement à l’échelle des deux capitales, mais aussi de tout le territoire en profitant de l’incroyable maillage issu des nombreuses coopérations décentralisées.

Parlez-nous du projet réalisé en partenariat avec la délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture.

C’est un projet fantastique : il s’agit d’un jeu vidéo de plateforme sur l’inter-compréhension des langues romanes, qui part du français et du roumain, et inclut nos langues vernaculaires. Un jeu qui peut, en outre, connaître des déclinaisons dans d’autres bassins linguistiques.

27 novembre 2018 – 15 avril 2019 : Saison France-Roumanie 2019 en France /// 18 avril – 14 juillet 2019 : Saison France-Roumanie 2019 en Roumanie

 

Saison France-Roumanie : une programmation pointue et éclectique

Cinéma, photographie, arts numériques... La Saison France-Roumanie explorera, en 2019, bien d'autres champs culturels, comme nous le détaille Jean-Jacques Garnier. « En cinéma, explique le commissaire de la Saison, autre domaine dans lequel une jeune génération de réalisateurs s’illustre dans le sillage de Cristian Mungiu [Palme d'or au festival de Cannes 2007 pour 4 mois 3 semaines 2 jours], les festivals organiseront un peu partout en France des focus sur la Roumanie. Dans le domaine des arts numériques, nous avons de très beaux projets avec Arty Farty et le Festival Mirage à Lyon, l’espace Stereolux à Nantes, ou encore la Halle Tropisme à Montpellier. S’agissant de la scène Underground où les Roumains sont connus dans le monde entier, nous avons un partenariat avec le magazine Trax. La jeune génération de photographes roumains sera présentée dans le cadre du festival « Circulations », lequel ira ensuite en Roumanie pour un focus sur la jeune photographie française et européenne. Dans le domaine de l’écrit, nous avons des partenariats avec la Maison de la poésie et le festival Quais du polar à Lyon. Le concept de « Micro-Folie », ces maisons de la culture d’un nouveau type développées par la Villette, sera exporté dans plusieurs villes de Roumanie dont Sibiu où ouvrira la première de la Saison à l’occasion du sommet européen du 9 mai 2019. Grâce à cet objet culturel inédit, on ne cessera, tout au long de la saison, de naviguer entre réel et virtuel ».