À travers plus de 130 sites patrimoniaux, « Les Portes du temps » – douzième édition cet été – s’ouvrent aux jeunes les plus éloignés de la culture. Entretien avec Elise Gouhot, chargée de mission pour l’opération depuis janvier 2016 au ministère de la Culture et de la Communication.

Inventivité, médiation, découvertes

Derrière les portes du Louvre, du château de Fontainebleau – pionnier des Portes du temps en 2005 – ou encore de la Saline d’Arc-et-Senans, on note une agitation inhabituelle. Pendant les vacances scolaires qui scandent l’année, 35 000 jeunes issus des territoires prioritaires sont invités à venir découvrir et s’approprier le patrimoine. « On est dans l’extra-scolaire, ce qui explique une partie du succès, selon Elise Gouhot, chargée de mission au ministère de la Culture et de la Communication pour l’opération. Il ne s’agit pas, pour ces jeunes, de venir avec leur professeur écouter un cours d’histoire. Accompagnés par un médiateur professionnel, ils viennent vivre un moment de liberté extraordinaire (une journée ou une semaine) dans un lieu qui appartient à leur histoire ». Il s’agit aussi – et c’est très important – de construire quelque chose par eux-mêmes. « L’enfant a une part active dans ce dispositif, il doit mettre la main à la pâte pour s’approprier ce patrimoine ». Telle est l’ambition de la centaine de projets labellisés « Portes du temps » qui sont chaque année réinventés, co-construits par les professionnels de l’enfance et de l’adolescence, main dans la main avec les médiateurs du patrimoine.

L’enfant a une part active dans ce dispositif, il doit mettre la main à la pâte pour s’approprier ce patrimoine

Ainsi, autour du patrimoine, plusieurs projets mettent en avant l’acte de bâtir. A Reims, le Palais du Tau propose une programmation autour du béton, dont on trouve le lointain ancêtre dans la charpente des tours de la cathédrale. A l’abbaye royale de Fontevraud, les jeunes expérimentent le « mapping architectural », ou technique de projection d’images sur un bâtiment. D’autres sites travaillent sur la déconstruction, comme au MAC-VAL de Vitry-sur Seine. L’outil numérique ouvre de nouvelles perspectives de médiation face aux disciplines classiques. Au château de Pierrefonds, on s’essaie à la photographie de fantômes tandis qu’au Fort de Condé, à Condé-sur-Aisne, on confronte cyanotypes (technique de tirage photographique mise au point en 1842) et « selfies »... Que d’imagination, aussi, dans le projet vosgien, « Voyage dans le temps » dédié 7-12 ans. Trois abbayes des Vosges, transformées en usines textiles par la Révolution française – Senones, Moyenmoutier et Etival-Clairefontaine - . accueillent les enfants en tenue de moinillons. Ils apprennent à identifier les espaces et le quotidien du religieux. Ils tâtent de l’écriture à la plume, dessinent une lettrine, reconstituent un puzzle-vitrail… puis ils s’initient au tissage.

Ancrage, territoires, publics

Depuis son lancement en 2005, l’opération des Portes du temps est solidement installée dans l’ensemble des territoires. En ciblant les territoires prioritaires, y compris ceux situés en milieu rural, ainsi que le public spécifique des jeunes handicapés et des jeunes en milieu carcéral, elle a su fidéliser les porteurs de projet et créer une vraie attente chez les jeunes les plus éloignés de la culture. Pour Elise Gouhot, « cette opération est une respiration, un moment d’ouverture et de bonheur. Chacune de ces actions est un moment d’inclusion et de construction d’un citoyen. En accueillant ces enfants, on leur offre le patrimoine de tous les Français. Même si cela n’est pas formulé dans des discours, les enfants le savent ».

Aujourd'hui, un enfant peut découvrir le patrimoine d’une ville tout entière et non seulement d'un musée, comme cela se passe à Pau, Strasbourg ou Saint Laurent du Maroni en Guyane

Au sein de la constellation de projets que représentent les Portes du temps, certaines tendances nouvelles se font jour. De plus en plus nombreux sont les projets qui se déroulent dans différents lieux de la ville, et pas uniquement dans un musée. « Il est bien plus enthousiasmant pour un enfant de découvrir le patrimoine d’une ville, comme cela se passe par exemple à Pau et Strasbourg, qui sont des villes et pays d’art et d’histoire (VPAH) comme aussi Saint Laurent du Maroni en Guyane ». Les divers partenariats qui se nouent ainsi, servent ensuite pour d’autres projets culturels et « renforcent l’existence d’un partenariat local sur un territoire ». Le phénomène est le même, qu’il s’agisse de très grands établissements tels que la basilique de Saint-Denis, le musée de Cluny ou le site archéologique de Bibracte, ou au contraire de toutes petites associations de quartier comme, par exemple, en Martinique. Il faut rappeler que la politique de la ville évolue et définit de nouveaux quartiers - souvent au sein de villes petites ou moyennes. Ainsi voit-on arriver cette année dans les Portes du temps le beau projet porté par la Maison du peuple, à Saint-Claude, sur le patrimoine du Jura.

Les Portes du temps, mode d’emploi

- L’opération Les Portes du temps a été créée en 2005 par le ministère de la Culture et de la Communication (MCC). Celui-ci la co-finance à hauteur de 350 000 euros et en assure le pilotage national. Le partenaire principal du MCC pour ce dispositif est le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).

- Depuis leur création, les Portes du temps ont accueilli plus de 350 000 jeunes de 4 à 18 ans.

- En 2016, toutes les régions de France et 4 départements d’outre-mer se mobilisent. Ce sont ainsi plus de 130 sites qui ouvrent leurs portes à 98 projets.

- L’opération bénéficie de l’appui, renforcé en 2016, des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), qui pilotent les commissions régionales d’évaluation des projets, en lien avec les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), et le soutien des préfectures au titre de la politique de la ville.

- Elle s’appuie aussi sur les partenariats nationaux ou locaux avec le centre des monuments nationaux (CMN), la réunion des musées nationaux, le Grand Palais (Rmn-GP) et diverses institutions dans tous les champs du patrimoine.

Les collectivités territoriales sont également impliquées dans l’opération, financièrement ou comme porteurs de projets.

- Les séjours des jeunes sont organisés par les centres de loisirs, centres sociaux, maisons des jeunes et de la culture, fédération nationale des Francas, confédération nationale des foyers ruraux et autres structures d’accueil.