Alors que la réouverture des lieux de culture se poursuit, nous nous penchons aujourd’hui sur le déconfinement des librairies, disquaires, bibliothèques et autres services d’archives (3/3).

La question avait été posée au moment du confinement : fallait-il considérer les librairies comme des commerces de première nécessité ? Quelle que soit la réponse qui a été apportée, il est important de le souligner aujourd'hui : comme d’autres lieux de culture, les libraires, disquaires, bibliothèques, médiathèques et autres services d’archives, qu’ils soient publics ou privés, à vocation commerciale ou relevant du service public, apparaissent pour ce qu'ils sont – des lieux essentiels de la vie intellectuelle et artistique de la France. C’est pourquoi leur réouverture était un jalon important de la reprise de notre vie culturelle.

La librairie Les Cahiers de Colette mise sur la rentrée littéraire

Cahiers Colette

« Nos clients nous ont dit qu’on leur avait manqué et c’était parfaitement réciproque. Cela donnait d’autant plus envie de se remettre à la tâche ». Lorsque Nicolas Jalageas évoque le jour où Les Cahiers de Colette, la célèbre librairie fondée par l’emblématique Colette Kerber au cœur du quartier du Marais, à Paris, dont il est le chef d’équipe, a pu rouvrir, il lance presque un cri du cœur. « Pour en avoir parlé avec d’autres confrères, je sais qu’il y a eu un appel d’air pendant la semaine de réouverture, poursuit-il. Nous avons tous eu un surcroît de travail. Il me semble que tout le monde se sentait soulagé de revenir à une vie un tant soit peu normale, avec une activité intellectuelle et sociale. Car les interactions avec nos clients ne se limitent pas à vendre mais aussi à engager des conversations et des débats ».

Les interactions avec nos clients ne se limitent pas à vendre des livres mais aussi à engager ces conversations et ces débats qui nous relient à la vie intellectuelle

Une réouverture qui, du jour où la date a été confirmée, s’est faite sans heurts, nécessitant juste un peu de préparation pour « installer les équipements en plexiglas, le gel hydro-alcoolique » et nantir l’équipe en visières, préférées au masque. Une réouverture, aussi, qui faisait suite à une fermeture intégrale, sujet en discussion au début du confinement, certains étant favorables à ce que les librairies soient reconnues comme des commerces de première nécessité. Sur ce point, la position de Nicolas Jalageas a évolué. « Au départ, il était étrange de ne pas être reconnu comme commerce de première nécessité alors qu’on ne vit pas sans culture » indique-t-il, « mais en fin de compte, il me semble que c’était la meilleure décision à prendre, vu le caractère inédit de ce que l’on vivait et le risque encouru par une grande partie de la population. Tous les magasins n’ont pas la surface nécessaire à la circulation des clients ». Une situation tellement inédite qu’elle a même modifié les habitudes de certains lecteurs : « Beaucoup de nos clients nous ont dit avoir eu beaucoup de mal à lire, à se concentrer et à dormir pendant le confinement. Tout le monde était préoccupé, inquiet de ce qui se passait, et de la façon dont la situation allait évoluer ».

Aujourd’hui, même si « personne ne rattrapera les deux mois perdus » et que les prochaines annonces sont attendues, la vie, au fil des semaines, reprend son cours à un « rythme équivalent à celui qu’il était avant le confinement ». Les Cahiers de Colette ne manquent pas d’atouts. Membre du label LIR – pour Librairie indépendante de Référence – attribué par le ministère de la Culture, « une excellente appellation pour nous distinguer de commerces à vocation plus mercantile », elle bénéficie d’un emplacement idéal, « dans un quartier central, ancré intellectuellement avec un nombre important de musées, de galeries et de lieux culturels en général ». Priorité : préparer la rentrée littéraire. Nicolas Jalageas salue la décision des éditeurs de « réduire leur programme de publications, et de reporter des ouvrages pour pouvoir permettre d’étaler et repenser le flux » ; cette bouffée d’oxygène va permettre d’offrir, autant que possible, une visibilité pour les livres qui auraient dû être publiés pendant le confinement ou qui l’ont malheureusement été juste avant. Enfin, l’ambition des Cahiers de Colette est de pouvoir, dès que la situation sanitaire le permettra, travailler à un programme de rencontres qui sont dans « l’ADN de la maison », une quinzaine de rencontres sont en effet organisées tous les mois en temps normal.  

Le disquaire Souffle Continu table sur la nouvelle formule des Disquaires Days

disquaire

« La crainte que les gens ne soient pas au rendez-vous s’est dissipée dès le premier jour de réouverture pour lequel nous avions pris toutes les précautions : gel hydro-alcoolique à l’entrée et port du masque obligatoire. Nous avons tout de suite eu un peu de monde. Nous avons même retrouvé des clients qui n’étaient pas venus depuis un certain temps ». Même tonalité positive du côté de Théo Jarrier, disquaire avec son acolyte Bernard Ducayron, au Souffle Continu dans le 11e arrondissement de Paris, adresse incontournable, entre autres, des amateurs de vinyles.

C’est comme si, soudain, il y avait eu une prise de conscience de l’importance des disquaires indépendants

Un soutien, une présence – « comme si soudain il y avait eu une prise de conscience de l’importance des disquaires indépendants » – qui font du bien. « Au début du confinement, nous étions complètement entamés par la situation » se souvient Théo Jarrier « Le premier lundi, nous sommes venus ouvrir le magasin pour voir si l’on pouvait faire des envois postaux. Nous avons fait le tour des postes, et nous avons vu que c’était impossible de faire quoi que ce soit. Nous avons immédiatement tout fermé ». Cette période noire a duré exactement trois semaines. Après quoi, il a été possible de rouvrir les comptes clients et de reprendre les ventes par correspondance. Malgré tout, le bilan est lourd : « Notre chiffre d’affaires a baissé de 70%. C’est rattrapable sur la durée mais il n’y a rien de sûr, d’autant que l’on ne va pas avoir de touristes en juillet et en août qui sont des mois où l’on ne fonctionne quasiment qu’avec cette clientèle », constate amèrement Théo Jarrier. Sans compter qu’il faut tout remettre d’équerre du côté de la comptabilité : « Pendant le confinement, les relevés des ventes trimestriels n’ont pas été faits. Tout à coup, on se met à nous redemander des relevés de dépôts et beaucoup de factures arrivent. La charge de travail s’accélère ».

Mais l’heure, encore une fois, n’est pas au découragement. Les Disquaires Days – le pluriel est en effet de mise puisque la traditionnelle fête des disquaires indépendants à l’initiative du Calif se déroule cette année sur quatre dates : les 20 juin, 29 août, 26 septembre et 24 octobre – devraient être l’occasion de faire venir plus de clients en boutique. « Sur la durée, potentiellement, on peut avoir un peu plus de monde que lors de la précédente formule du Disquaire Day », confirme Théo Jarrier. Le Souffle Continu a, de même, sorti une nouveauté de son label de rééditions de perles rares de la musique française underground des années 70 et 80. « La sortie était prévue en avril et a été repoussée. Il y a eu une attente. Du coup, nous avons eu davantage de temps pour faire la communication en amont ». Cela se traduit par davantage de commandes aujourd’hui. Enfin, les disquaires soutiennent ardemment les initiatives visant à créer des mécanismes de solidarité au niveau de la filière toute entière, à commencer par celles du Gredin, le syndicat professionnel des disquaires indépendants où « un travail est fait pour créer des symbioses entre disquaires et penser à des soupapes de sécurité trésorière pour que tout le monde puisse tenir ».  

La Bibliothèque Oscar-Niemeyer joue la carte du service public culturel de proximité

Bibliothèque du Havre - confinement

C’est peu de dire que la réouverture de la bibliothèque Oscar-Niemeyer, figure de proue du réseau de lecture publique du Havre, était attendue avec impatience. « Durant le confinement nous avons reçu, avec les cinq autres bibliothèques du réseau, le bibliobus ainsi que le relais lecture de la ville, de nombreux témoignages de l'attachement que nous portent les Havrais », souligne Dominique Rouet, directeur de l'établissement. Au cours de cette période, l'accès aux ressources numériques a été élargi et le public a continué de bénéficier, sur les réseaux sociaux, des nombreux conseils de lecture délivrés par les bibliothécaires. Il a également pu découvrir les récentes acquisitions patrimoniales de la Bibliothèque et des Archives municipales, ingénieusement diffusées sous forme d'une série de courts-métrages.

Biblio-surprises, conseils de lecture sur les réseaux sociaux, exposition virtuelle… les bibliothèques du Havre placent le livre en haut de l’affiche

Les bibliothèques du Havre ont aussi mis à profit cette période inédite pour étendre leur champ d’action – anticipant ainsi leur nouvelle vocation de « maisons de service public culturel de proximité » préconisée dans le plan bibliothèques du ministère de la Culture. C’est ainsi que la bibliothèque Oscar-Niemeyer a participé aux actions du Comité d'Aide Sociale de la ville, en offrant, en plus des paniers repas destinés aux personnes dans le besoin, des livres. « Ces animations ne remplacent cependant pas la possibilité de fréquenter un site », tempère Dominique Rouet. « Notre cœur de métier consiste à faire de la bibliothèque un lieu de rencontre et d'échange, et cette mission essentielle ne peut être assurée en cas de fermeture ». D'où l'existence, au sein de la bibliothèque Oscar-Niemeyer, de nombreux lieux de sociabilité et d'animation tels qu'un café, des salons cinéma et musiques ou encore un espace conte et spectacle. Pour autant, l'activité n'a pas encore pleinement repris : les actions de médiation demeurent suspendues, le temps que les restrictions sanitaires s'allègent. Seule exception, l'événement « Lire à l'air libre » aura lieu comme prévu du 15 juillet au 15 août – comme tous les ans, il invitera les havrais à se réunir sur les pelouses et dans les squares de la ville, pour partager un moment convivial autour du livre et de la lecture.

« Pour l'instant les bibliothèques fonctionnent suivent un principe de 'biblio à la demande', c'est-à-dire que le public indique en ligne les livres qu'il souhaite emprunter, et nous préparons les commandes, qu'il vient chercher », explique Dominique Rouet. Si les déambulations le long des rayons bande dessinée de l'atrium ne sont donc pas encore à l'ordre du jour, les bibliothécaires ont néanmoins pris soin de proposer aux usagers un service susceptible de leur rappeler le plaisir des trouvailles inopinées qu'occasionne ce type de flânerie. « Plusieurs initiatives ont vu le jour, comme les 'biblio surprises', soit des sélections que les bibliothécaires ont eux-mêmes réalisées autour de différentes thématiques et à destination de différents types de publics », observe Dominique Rouet. Le vif succès qu'elles ont emporté dès leur lancement a conforté le directeur et ses équipes dans l'idée qu'une réouverture s'imposait. Le retour du public nécessitera sans doute de revoir le parcours scénographique, unique en son genre, de l'établissement. Celui-ci a toutefois d'ores et déjà connu quelques modifications avec l'aménagement de onze lieux de dépôts, réservés au retour des documents prêtés, systématiquement mis en quarantaine pendant une dizaine de jours.

Les archives des Vosges collectent les archives du confinement

Archives

C'est une entreprise originale qu'ont entamé les archives départementales des Vosges au cœur même de la crise sanitaire  : collecter les témoignages, journaux, photos, vidéos et documents conçus par les Français pendant le confinement. Le but ? Documenter cette période sans précédent, qui fait partie de notre « mémoire vivante ». « Nous vivons un épisode exceptionnel, qui est déjà l’Histoire », s'enthousiasme François Petrazoller, le chef de service des archives. Centralisée aux archives des Vosges, cette collecte, qui a reçu l'aval du Service interministériel des archives de France, a fait de nombreux émules à travers la France.

Cette collecte inédite n'a en rien entamé la mission centrale qui est celle de tout service d'archives départementales : conserver, classer et communiquer l'ensemble des documents publics et privés du département ayant une valeur juridique, historique ou documentaire. Pour cela, les archives des Vosges ont rouvert leurs portes le 25 mai dernier. « Notre équipe avait déjà réinvesti les lieux depuis le 11 mai pour effectuer un gros travail de mise en conformité des locaux. Le public souhaitait avoir de nouveau accès à la salle de lecture et nous étions suffisamment rodés pour répondre sereinement à cette demande », souligne François Petrazoller, le chef de service des archives.

Instauration d'un sens de circulation au sein des locaux, mise en quarantaine des documents d'archives qui viennent d'être consultés, limitation du nombre de personnes présentes dans la salle de lecture... Les précautions sanitaires sont suivies à la lettre, et permettent une reprise sereine, attendue avec impatience aussi bien par les habitants que par les professionnels. Le lien avec le public n'a cependant jamais été complétement rompu puisque les équipes des archives ont continué, dans la mesure de leur possible, à répondre aux demandes qui leur étaient soumises tout au long du confinement. « Nous avons fait des recherches administratives pour les usagers qui avaient besoin de disposer de documents juridiques précis, et numérisé un maximum d'archives pour les historiens, qui ont ainsi été en mesure d'avancer dans la préparation de leurs publications scientifiques », souligne François Petrazoller.

Le lien avec le public n'a jamais été complétement rompu puisque les équipes ont continué, dans la mesure du possible, à répondre aux demandes qui leur étaient soumises tout au long du confinement

La salle de lecture n'est qu'un volet des activités menées par le personnel des archives, qui dispose également d'une salle d'exposition. « Nous avions prévu d'afficher au cours du printemps 2020 les travaux que des élèves des écoles environnantes avaient effectué autour de la culture alimentaire de la commune – la différences entre ce qui y était cultivé par le passé et ce que l'on y fait pousser aujourd'hui... La crise sanitaire nous a malheureusement conduit à annuler ce projet », regrette François Petrazoller. La documentation réunie sera néanmoins mise en valeur dans un catalogue et transformée en une exposition itinérante qui, le moment venu, pourra circuler d'écoles en écoles.

En attendant, l'équipe des archives départementales travaille à un projet d'exposition prévue, elle, pour l'automne. Lancée à l'occasion des journées européennes du patrimoine, à la rentrée prochaine, celle-ci aura pour thème les Migrations de l'Antiquité à aujourd'hui – des Vosges vers l'étranger mais aussi de l'étranger vers les Vosges, sans oublier les « petites » migrations quotidienne, pendulaires pour les travailleurs et scolaires pour les élèves. « Les questions soulevées sont nombreuses : qu'est-ce que les migrants ont trouvé dans les Vosges ? Qu'est-ce qui les a surpris ? Intéressé ? A quoi ressemblaient leur vie quotidienne ? », relève François Petrazoller. Dans le cadre de ce projet, les archivistes avaient prévu de collaborer avec des maisons de retraites, des associations de migrants, des artistes d'origine étrangères ainsi que des comédiens locaux, en vue de monter une pièce de théâtre. Si les modalités des échanges à venir restent incertaines, une certitude s'impose : les archives départementales des Vosges continueront, quoiqu'il arrive, à travailler au plus près de leur territoire, en lien avec les différents acteurs qui le font vivre.