Labellisée « Maisons des Illustres » par le ministère de la Culture et de la Communication, la maison Léon Blum, située à Jouy-en-Josas, continue plus que jamais à porter les valeurs incarnées par l’homme d’État. A l'occasion du dévoilement de la plaque, entretien avec l'historien Pierre Nora, académicien et président d’honneur de la maison Léon Blum.

De quoi la maison Léon Blum à Jouy-en-Josas est-elle la mémoire ?

Cette maison, Le Clos des Metz,une ancienne fermette du XVIIIe siècle située à Jouy-en-Josas, est sa dernière demeure. Léon Blum y a vécu ses dernières années, à partir de 1945, quand il revient de Buchenwald où il a été déporté, jusqu’à sa mort, le 30 mars 1950. Sans doute, n’est-ce pas la période la plus dense ou la plus créatrice  de sa vie politique – on est loin, par exemple, de son célèbre discours lors du congrès de Tours de la SFIO (ancêtre du parti socialiste) en 1920, quand il refuse l’adhésion à la Troisième Internationale (le futur parti communiste) –, mais il reprend ses activités d’homme d’État, il écrit et y reçoit le personnel politique de la IVe République. Bien sûr, aucun de ces éléments ne constitue en lui-même une raison suffisante pour faire de la maison Léon Blum un « lieu de mémoire » à proprement parler : l'Histoire ne s'y est pas écrite. Pourtant, cette maison traduit quelque chose, un besoin de maintenir actuelle, vivante, la figure d'un homme d'exception.

Peut-on dire que l'histoire s'y exprime à travers une mémoire privée, intime ?

Pour comprendre la signification de cette maison, il faut savoir qu'elle appartenait à sa femme, Jeanne, qui avait une personnalité extraordinaire. Éperdument amoureuse de Léon, elle demande en 1943 à le rejoindre à Buchenwald, où... ils se marient. C'est un moment assez surréaliste car les Allemands autorisent leur union. Le couple est en liberté surveillée dans des conditions d’incarcération lourdes, mais ils ne sont pas à l'intérieur du camp de concentration, ils sont confinés à quelques centaines de mètres. A sa libération seulement, Léon Blum prendra conscience de ce que fut la réalité de Buchenwald : un camp de la mort.

Cette maison porte donc aussi la mémoire de Jeanne Blum... 

Cette maison est un lieu chargé de mémoires, et de celle de Jeanne en particulier. Elle continue d’y vivre jusqu’en 1982, où le jour de ses 80 ans elle choisit de se suicider. Elle ne voulait pas tomber malade, ni subir, nous avait-elle dit « les dégradations » de l’âge. C’était une femme engagée et généreuse. En 1974, à Jouy-en-Josas, elle fonde une école pour venir en aide aux jeunes filles qui deviendra une école de formation pour puéricultrices. Jeanne Blum avait de grandes ambitions pour leur maison. Elle souhaitait en faire un lieu de réflexion sur des questions liées à l’égalité entre les femmes et les hommes, au sionisme. Elle voulait qu’on s’y réunisse pour faire avancer la paix, notamment au Proche-Orient. C’est Jeanne, toute dévouée à son mari, qui a voulu qu’on y perpétue ici son souvenir – mais aussi ses valeurs politiques.

Avec l’historien Pascal Ory, vous avez contribué à la transformer en musée...

La maison Léon Blum est classée aux monuments historiques depuis 1983. Elle est ensuite inaugurée en 1986 par François Mitterrand. Depuis, avec peu de moyens, nous cherchons à rassembler les différents documents ayant trait à Blum. Aujourd'hui, une souscription publique est lancée par la Fondation du patrimoine pour poursuivre sa mutation et engager des travaux de rénovation (financés par les Monuments Historiques de la DRAC Île-de-France, ndlr). La muséographie est bien plus sophistiquée. On pourra certainement y créer un parcours plus interactif : installer des bornes pour écouter les discours, des écrans pour voir des images de l’époque. Avec cette maison-musée, il s’agit selon moi d'un véritable mémorial dédié à Léon Blum.

Un mémorial, donc, pour porter les valeurs incarnées par Léon Blum ?

Léon Blum est l’homme qui s’est élevé contre l’injustice faite au Capitaine Dreyfus en contribuant à côté de Jaurès à fédérer à sa cause les intellectuels de son temps. Il est aussi le premier président du Conseil du Front populaire, à l’origine de grandes réformes sociales, dont les congés payés, la semaine de 40 heures. Par ailleurs, il est le premier président du Conseil juif français. Toute son action, guidée par ses convictions intimes, en fait une référence d’excellence pour l’histoire de la gauche française. Plus largement, et cela compte pour les générations futures, il incarne ces valeurs essentielles : la culture, l’ouverture au monde et un socialisme humaniste.