Après les attaques terroristes qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis, le monde de la culture, durement touché, relève la tête. Et le fait savoir. Le récit de l’après-13 novembre.
Résistance. C’est tout un symbole. Au lendemain des attentats qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo signe, avec l’humour volontairement « bête et méchant » qui est le sien, une « une » choc : on y voit un personnage assurer, le corps criblé de balles, « ils ont les armes, on les emmerde, on a le champagne ». Provocateur et bravache, ce dessin de presse à l’humour noir met le doigt avec une acuité particulière sur un sentiment partagé par tous les Français : c’est bien leur mode de vie, leur art de vivre, qui était visé le 13 novembre par les terroristes, comme c’est une certaine idée de la liberté qui était visée le 7 janvier lors de l’attaque de Charlie Hebdo. En d’autres termes : la culture, notre culture. Qui, mieux que Charlie Hebdo, pouvait porter un tel message de résistance ?
« Notre culture restera fière, insolente et libre » (Fleur Pellerin)
Valeurs. Face au terrorisme, « la culture contre-attaque », a affirmé Fleur Pellerin le 17 novembre sur les ondes de France Culture. Il faut dire que la culture a été directement prise pour cible lors de la dramatique prise d’otages au Bataclan pendant le concert des Eagles of Death Metal. Les artistes du monde entier ne s’y sont pas trompés. Des Irlandais de U2 à l’orchestre du Metropolitan de New York, en passant par Madonna qui reprenait à Stockholm La Vie en rose en français, ils ont tous rendu un hommage ému aux victimes. Passé le moment de la sidération, « les Français continuent à vivre comme avant, malgré la tristesse », a expliqué la ministre de la Culture et de la Communication. C’est ce qu’ils ont fait lors de la réouverture de l’ensemble des établissements culturels, après des recommandations de fermeture pour cause de deuil national et de sécurité. Ainsi, mardi 17 novembre au soir, le Zénith de Paris a réservé, dans une salle comble, un accueil triomphal au groupe de rock Simply Red.
Spectacles. Les conséquences des attentats font cependant peser un réel risque économique sur les petites salles. Pour cette raison, dès le 16 novembre, Fleur Pellerin a évoqué devant les professionnels réunis au Centre national de la chanson, de la variété et du jazz (CNV) la création d’un fonds d’aide à la filière musicale. « Je sais que vous ne renoncerez pas à monter sur scène, à créer des spectacles, à faire tourner des concerts », a-t-elle déclaré. Doté de 4 millions d’euros, ce fonds est destiné à « anticiper les difficultés que vont rencontrer les acteurs du spectacle vivant, notamment les plus fragiles d'entre eux, du fait des annulations, de la baisse de fréquentation ou des investissements de sécurité à engager ». Financé par le ministère de la Culture, le CNV (3,5 M€) et par la SACEM (0,5 M€), il « a vocation à s’appuyer sur la solidarité », notamment celle d’autres partenaires. Par ailleurs, Fleur Pellerin a annoncé des mesures pour la sécurité des salles ; celles-ci concernent notamment l’affectation des forces de police« à des sites particulièrement vulnérables ». Enfin, le ministère a ouvert le 22 novembre un numéro vert (06 38 54 41 64) destiné au soutien des organisateurs de spectacles.
Universel. Quatre jours après les attentats, le discours que devait prononcer le Président de la République à la tribune de l’Unesco était, dans un tel contexte, particulièrement attendu. « A la barbarie des terroristes, nous devons opposer l'invincible humanité de la culture », a-t-il souligné le 17 novembre pour le 70e anniversaire de l’organisation internationale, avant de détailler les initiatives qu’il comptait prendre pour lutter contre le trafic d’objets d’art, dont le pillage du site de Palmyre est un triste symbole. La principale mesure est l’instauration d’un « droit d’asile » pour les œuvres d’art. « Le droit à l’asile vaut pour les personnes, il vaut également pour les œuvres, le patrimoine mondial. C’est la raison pour laquelle cette disposition figurera dans la loi Liberté de création que la ministre de la Culture et de la Communication est en charge de faire voter au Parlement », a indiqué François Hollande. Parmi les autres préconisations évoquées, on retiendra que la France veut s’en prendre au recel d’œuvres d’art et qu’elle souhaiterait mettre en place un Fonds mondial de dotation, dédié à la sauvegarde ou la reconstruction du patrimoine. À travers ces différentes initiatives, la France, fidèle à sa réputation, entend plus que jamais défendre l’universalité des œuvres d’art ; elle entend également assécher les ressources financières que le groupe État islamique retire de celles-ci.
Lumières. « La France dansera à nouveau, chantera à nouveau, dessinera de nouvelles caricatures. Et notre culture restera fière, insolente et libre », a promis Fleur Pellerin le 18 novembre lors de la séance des questions au Gouvernement à l’Assemblée nationale. L’après-13 novembre le montre bien : notre culture n’a rien perdu de sa vitalité au cours de ces tragiques épisodes. Au contraire. De la presse jeunesse, qui se mobilise pour expliquer les attentats aux enfants, aux spectacles, qui renaissent de tous côtés, en passant par le cinéma, les bibliothèques, l’édition, les musées ou la création, la France de la culture est debout contre l’obscurantisme. Car c'est bien de cela, d'obscurantisme, qu'il s'agit. L’illumination chaque soir du Palais-Royal – est-ce un hasard si ce haut-lieu de notre histoire, lieu de prédilection de Diderot des Encyclopédistes, a été choisi par Malraux pour être le siège du ministère de la Culture ? – rappelle que la France est la patrie des Lumières.
"On ne va pas au Bataclan pour mourir" : les temps forts de la tribune de Fleur Pellerin dans "Le Monde"
« On ne va pas au Bataclan pour mourir. On vient pour éprouver cette émotion singulière qui traverse le corps comme l’impatience amoureuse et fait vibrer à l’unisson les foules bigarrées. (...) Voilà ce que sont venus vivre, au Bataclan vendredi soir, ces femmes, ces hommes, ces jeunes, ces moins jeunes. (...) Voilà ce que sont venus frapper, au Bataclan vendredi soir, ces barbares inutiles, lâches et médiocres. (...) Daesh a déclaré la guerre à la culture (...) parce que la culture est une arme, et que ses bourreaux la redoutent plus que toute autre.
« La culture est une arme de destruction massive contre l’obscurantisme. La culture est une arme d’émancipation massive contre la servitude. (...) Les terroristes rêvent d’empêcher les spectacles de se tenir : nous leur opposerons toujours plus de spectacles. Les publics et les artistes pourront compter sur l’État pour assurer leur sécurité et soutenir les salles les plus fragiles dans ces moments difficiles. Les terroristes veulent brûler les livres: nous ouvrirons toujours plus les bibliothèques. Les terroristes veulent détruire le patrimoine : nous donnerons le droit d’asile aux œuvres d’art menacées et nous numériserons les monuments vandalisés. Les terroristes tentent d’annihiler la liberté de création et de museler la presse : nous donnerons à la première la force de la loi ; nous doterons la seconde des moyens de se faire mieux entendre, sans jamais chercher à la circonscrire, y compris en période d’état d’urgence. Ces libertés, la France les chérit plus que tout.
« (...) Ce combat que nous menons, c’est le combat de la lumière contre l’obscurité. Ce combat-là se mène avec un livre, sur scène, en musique, sur pellicule, avec les artistes. Il se gagne avec l’insolence de l’imagination, l’intelligence du regard, le désir d’inconnu, la résilience du rire, l’incoercible pulsion de vie. Et nous le gagnerons, car en ces matières, nous sommes plutôt bien armés. »