Le 20 mai, la restauration des vitraux de la Sainte-Chapelle s’est achevée, après 7 ans de travaux. "Ce projet montre bien que notre pays a des ressources, qu'il peut compter sur des talents et des lieux d'exception", a souligné Fleur Pellerin. Retour sur une campagne exceptionelle avec Danièle Déal, directrice de la conservation des monuments et des collections du Centre des monuments nationaux.
Les vitraux de la Sainte-Chapelle ont fait l'objet de multiples restaurations successives. Celle-ci est-elle la dernière ?
Les vitraux – un ensemble unique composé de 1113 scènes figurées – ont été créés pour la Sainte Chapelle, un joyau d'architecture érigé par Saint Louis entre 1242 et 1248. C'est dire s'ils ont vu se succéder les restaurations ! Il faut savoir que, dès 1248, Louis IX organise l'entretien des verrières en créant la charge de maître verrier de la Chapelle. Depuis le XIXe siècle, il n'y avait pas eu de restauration en profondeur. La campagne de cinq ans qui s'achève aujourd'hui fait suite à celles conduites entre 1970 et 1986 sur les verrières du flanc sud de la Sainte-Chapelle, puis entre 1999 et 2007 sur les baies du chœur. Il nous reste une dernière campagne à mener à partir de 2017, sur quatre verrières du côté sud. Après cela, on sera tranquille pour presque un siècle !
"Tu as entrepris de construire sur tes fonds personnels une œuvre dépassant la matière" (lettre du pape Innocent VIII à Saint Louis)
Quel est l'intérêt majeur de la campagne qui prend fin aujourd'hui ?
Plusieurs chantiers patrimoniaux s'achèvent en ce moment : le Panthéon, la Villa Cavrois qui sera bientôt inaugurée. Ce que le public va découvrir aujourd'hui à la Sainte-Chapelle, c'est non seulement le résultat d'une restauration remarquable, mais c'est aussi le sens tout entier de ce monument essentiel de notre histoire, édifié sur les lieux même du pouvoir qu'étaient le Palais de Justice et la Conciergerie. La justice était divine à l'époque, et les vitraux étaient la lumière divine qui se répandait sur les croyants. Ils racontent autant l'art gothique flamboyant que notre patrimoine religieux, et la fondation de l'histoire de France. Cela n'est pas assez mis en avant.
Sur quelles verrières a porté la restauration ?
Il s'agit d'une restauration de grande ampleur, portant sur un nombre important de baies : Saint Jean l’Évangéliste, Livre d'Isaïe, des Juges, de Josué, des Nombres, l'Exode, la Genèse, l'Apocalypse. Pour parachever cette campagne de restauration, le Centre des monuments nationaux a également procédé à la restauration de la rose occidentale. Ses vitraux ont été déposés en mars 2014. Leur repose, qui devait s'effectuer en décembre 2014, a été reportée au printemps 2015 afin d'intégrer les derniers apports de la recherche scientifique. Celle-ci permet de révéler la dextérité des artistes du XIIIe siècle, et les verres précieux qu'ils utilisaient : verres plaqués, fouettés, vénitiens, aspergés... La restauration est assortie d'un important système de conservation préventive : le doublage de chaque verrière par une protection de verre.
Les vitraux ont subi les altérations du temps...
A l'extérieur, le charbon, puis les voitures et la pollution atmosphérique. A l'intérieur, la condensation due aux respirations, les patines dues au plâtre déposé au XIXe siècle, et au vernis gras appliqué au XXe siècle. Pour chaque baie déposée, les blessures sont différentes. Ce qui est intéressant sur un tel chantier, c'est de voir à la fois des gestes ancestraux, par exemple quand un artisan dépose et repose le vitrail, et les techniques de spectrographie qu'un chercheur utilise pour retrouver les couleurs initiales. On est à cheval sur la modernité extrême et le Haut Moyen Age. Sur ce chantier interviennent des savoir-faire très spécifiques, ceux des maîtres verriers et de plusieurs corps de métier. Il faut travailler sur les verres, les plombs, les barlotières- des barres de fer forgé - et sur la pierre qui entoure les vitraux. C'est un chantier minutieux qui n'a pourtant pas requis plus de trente personnes sur l'aspect vitrail, et quarante sur le « dur » du chantier.
Parlez-nous de l'un de ces vitraux ?
J'ai été particulièrement impressionnée par le travail très fin effectué sur la rose. Lors de sa dernière grande restauration, à la fin du XIXe siècle, on avait modifié la place originelle des éléments en plomb, ce qui avait pour conséquence de couper les figures. Nous avons décidé de respecter le geste du XIIIe siècle et de revenir à l'intention originelle. Les vergettes suivent à nouveau le dessin du vitrail. Même si on n'est pas spécialiste du vitrail, on est frappé de voir la rose avant et après restauration. Elle est plus claire, plus lisible, car elle est rendue à elle-même.
"Ces panneaux de verre coloré, c'est la matière abstraite sensible au rayon intellectuel" (Paul Claudel)
Pourquoi organiser des journées pour le grand public ?
C'est une manière assez inédite pour nous de mettre l'accent sur un événement qui ne se produit qu'une fois par siècle. La restauration des vitraux, en effet, est une nécessité cyclique qui, grâce aux progrès de la technique, devrait pouvoir être ralentie. Il est important que le public prenne conscience de la fragilité de ce patrimoine. Pendant ces journées, le public pourra s'intéresser au mécénat. Il découvrira un mécène sincèrement amoureux des vitraux, les Fondations Vélux, qui ont financé, à plus de 50 %, ce projet de 9 millions d’euros, en complément du CMN et de l’État.
Fleur Pellerin : « Rendre accessible par tous un lieu autrefois réservé à quelques-uns »
Le 20 mai, Fleur Pellerin a dévoilé l’éclat retrouvé des vitraux de la Sainte-Chapelle à l'issue de la campagne de restauration menée par le Centre des monuments nationaux. « A travers cette restauration, a souligné la ministre, ce sont d’abord tous les métiers du patrimoine qui sont à l’honneur, des métiers à très haute valeur ajoutée », précisant que cette « excellence » fait de notre pays « l’un des premiers exportateurs du savoir-faire patrimonial ». « Avec plus d’un million de visiteurs par an, dont trois quarts d’étrangers, la Sainte-Chapelle est aussi un de nos plus grands atouts touristiques », a poursuivi Fleur Pellerin, rappelant que « c’est pour sa culture, son patrimoine, ses musées et ses monuments que la France demeure, en 2014, la première destination touristique mondiale ». La ministre de la Culture et de la Communication a enfin salué le « soutien décisif » du mécénat des Fondations Velux et Velux France, qui ont financé le chantier à hauteur de 50 %. « Ce partenariat est à mes yeux une des belles réussites de la loi mécénat dont nous avons fêté les 10 ans il y a peu ».