Création, transmission du patrimoine, ancrage territorial, ouverture à l’international… Le projet d’établissement 2016-2018 de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, à Angoulême, aborde tous ces enjeux de front. Entretien avec son directeur général, Pierre Lungheretti.

Le projet d’établissement de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image est marqué par un foisonnement de propositions, qui semblent faire écho à l’effervescence qui règne actuellement dans le secteur de la bande dessinée

Absolument, les ramifications esthétiques et la capacité de la bande dessinée à innover sur le plan graphique autant que dans les formes narratives sont tout a fait frappantes depuis une vingtaine d’années. C’est passionnant à observer, cela en fait un des secteurs les plus vivants du paysage culturel français, d’ailleurs la bande dessinée française s’exporte remarquablement bien. Les propositions nombreuses du projet d’établissement reflètent l’étendue des missions confiées à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image autant que leur lecture à l’aune de ce nouveau contexte.

Des auteurs comme Joann Sfar, Riad Sattouf ou Marjane Satrapi revendiquent leurs liens avec les autres arts, et notamment le cinéma

Des ramifications qu’illustre par exemple le dialogue entre la bande dessinée et le cinéma ou les jeux vidéo

La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image est un établissement composite, qui rassemble un musée de la bande dessinée labellisé musée de France - le seul en France à ce jour -, une bibliothèque publique, une maison des auteurs, une librairie spécialisée, un centre de documentation, et un cinéma art et essai. Compte tenu du choix il y a quelques années d’orienter le développement économique du bassin angoumoisin autour des entreprises de l’image à travers le Pôle Image, cela me semblait très important qu’il y ait cette connexion, d’autant que beaucoup d’auteurs de bande dessinée collaborent avec des entreprises de l’image, que ce soit dans le secteur du cinéma d’animation ou du jeu vidéo. S’agissant du cinéma, les influences réciproques sont très fortes depuis toujours, aujourd’hui on pense à des auteurs comme Joann Sfar, Riad Sattouf ou Marjane Satrapi mais si on remonte un peu plus loin dans le temps, René Goscinny avait lui aussi des liens très forts avec le cinéma.

Nouveauté importante, la mise en place d’ici 2018 de la « New Factory », un espace culturel dédié aux auteurs, lieu de croisements entre les disciplines et les publics

Il y a plusieurs objectifs derrière cette valorisation de la création. Premier objectif : donner à voir cette effervescence créative dans le secteur de la bande dessinée qui est particulièrement marquante dans le paysage contemporain. Le second objectif avec la « New Factory » est de rendre visible la communauté extrêmement riche et diversifiée des auteurs à Angoulême : environ 200 auteurs vivent aujourd’hui à Angoulême, c’est un écosystème qui bouge tout le temps, certains arrivent et s’installent, d’autres partent puis reviennent. Contrairement à d’autres communautés d’auteurs, elle est très soudée. Par ailleurs, plusieurs générations coexistent grâce à l’existence de l’École européenne supérieure de l’image avec laquelle nous allons densifier nos liens. C’est une véritable richesse, il me semblait absolument capital que la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image puisse être ce lieu de travail en commun avec la communauté des auteurs.

Vous allez également multiplier les résidences d’auteurs

La maison des auteurs accueille déjà entre 30 et 50 auteurs par an dont une forte proportion d’auteurs étrangers. Les évolutions apportées au dispositif de résidence visent à conforter l’ancrage territorial de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et à accroître la sensibilisation des publics au 9ème art. La résidence est plébiscitée par les bénéficiaires. Dans les institutions culturelles ou les établissements scolaires où il sont accueillis, les artistes font partager et découvrir leur univers artistique et par la même occasion tout un pan de la bande dessinée. Avec la Direction régionale des affaires culturelles de la Nouvelle Aquitaine, nous réfléchissons également à des résidences en milieu rural et dans les territoires prioritaires.

Vous allez prochainement lancer la bibliothèque numérique de la Cité

La numérisation de nos collections permet une visibilité et un partage de nos ressources avec de nouveaux lecteurs et partenaires. Le portail de la future bibliothèque numérique est en train de prendre forme, il s’agit d’une première mouture, nous allons l’améliorer pendant l’été et le lancerons véritablement à la rentrée.

Autre enjeu, intensifier l’action internationale de la Cité

J’ai déjà évoqué la maison des auteurs dont l’attractivité est très forte à l’international. Nous souhaitons aujourd’hui consolider ce rayonnement, notamment à travers un programme global en direction de la bande dessinée francophone. Celui-ci combine expositions - nous travaillons actuellement sur un projet autour de la nouvelle bande dessinée arabe avec un important volet francophone -, échanges et accueils d’auteurs de pays francophones, en particulier du monde arabe et d’Afrique subsaharienne, et accompagnement en ingénierie. Autre volet développé dans le cadre de notre partenariat avec l’Institut français : développer notre rôle de véritable ressource pour les services culturels des ambassades françaises à l’étranger. Cela passe par un appui documentaire, des conseils bibliographiques, l’accessibilité aux ressources de la bibliothèque numérique, ou des expositions itinérantes. Dernier élément : nous allons donner davantage de place à notre réseau international, qu’il s’agisse de nos partenaires européens, asiatiques - je pense notamment à la Corée à Taïwan - ou encore d’Amérique du sud où des demandes nous ont été adressées par le Mexique et la Colombie.

La New Factory doit à la fois montrer l'effervescence créative de la BD et rendre visible la communauté extrêmement riche des auteurs à Angoulême

Sur le plan de l’éducation culturelle et artistique, le projet d’établissement souhaite « démultiplier » les classes bande dessinée

Il y a un enthousiasme considérable autour de la classe bande dessinée mise en place il y a quatre ans. J’ai assisté à un atelier pratique récemment et j’ai pu mesurer à quel point tous les acteurs - enseignants, chef d’établissement, médiateurs – étaient satisfaits de ses résultats, que ce soit dans le cadre de la lutte contre l’échec scolaire, pour créer une cohésion de groupe ou renforcer la capacité de concentration des classes. La classe concerne les niveaux de 6e et 5e. Quand les élèves qui en bénéficient passent en 4e, leurs enseignants sont frappés par leurs performances, notamment en termes de lecture. Avec la rectrice de l’académie de Poitiers, nous réfléchissons sur les modalités et les conditions pour étendre ce dispositif sur l’ensemble de l’académie. Certaines demandes dépassent même l’académie aujourd’hui : des établissements de Paris et Douai souhaitent s’intégrer dans ce dispositif.

L’opération « Bulles en fureur » avec les mineurs sous main de justice connaît également un grand succès

La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image est partenaire de cette opération qui associe les professionnels de la Protection judiciaire de la jeunesse du Ministère de la justice depuis plus de 15 ans, nous apportons un appui en termes d’expertise et de ressources. Nous capitalisons à partir de cette expérience d’action culturelle spécifique : tous les enseignements que nous en tirons peuvent être réinvestis dans d’autres secteurs de l’action culturelle.

La Cité est aujourd'hui financée par les acteurs publics, dont le ministère de la Culture et de la Communication (direction régionale des affaires culturelles de la Nouvelle Aquitaine) et les collectivités locales.  Vous souhaitez diversifier les ressources, en faisant appel au mécénat. Comment allez-vous procéder ?

La bande dessinée n’est pas un secteur familier pour les mécènes traditionnels de la culture qui s’investissent davantage dans la musique, le monde des beaux-arts et des arts plastiques. Cela ne freine en rien notre détermination, bien au contraire. Nous allons entreprendre une démarche de sensibilisation en direction d’un certain nombre d’entreprises du territoire charentais et de la nouvelle Aquitaine et leur proposer de s’investir sur des projets emblématiques du projet d’établissement, tels que la « New Factory », l’évolution des parcours muséographiques du musée, la création du musée des enfants… ce sont des projets forts qui vont reconfigurer l’établissement, lui donner une dynamique nouvelle et j’espère que les entreprises seront intéressées par le fait d’associer leur nom et leur image à ces nouveaux projets.

Une saison Hergé à la rentrée

En 2016-2017, la Cité de la bande dessinée et de l'image présentera une saison entièrement consacrée au génial créateur de Tintin : Hergé. "Cet auteur, l'un des phares du patrimoine mondial de la bande dessinée, fera l’objet d’une opération spéciale en 2016-17, une véritable saison, pluridisciplinaire, dans le cadre du 110e anniversaire de sa naissance, avec une série d’actions culturelles en partenariat avec des structures du territoire charentais", souligne Pierre Lungheretti dans le projet d'établissement. Par ailleurs, la Cité de la bande dessinée et de l'image va poursuivre et développer les expositions patrimoniales, comme celle consacrée à Morris qui se termine le 18 septembre 2016. "C'est l’un des cœurs de compétences du musée de la bande dessinée, le seul de sa catégorie en France", précise son directeur. Ces expositions visent trois objectifs : valoriser les collections du musée, donner un éclairage scientifique et artistique sur un auteur ou une école de la bande dessinée, enrichir la connaissance de l’histoire de la bande dessinée. Parmi les projets évoqués : Will Eisner en 2017 ou Calvo en 2019/20.