Comme lieux de mémoire, les monuments jouent souvent – on l’a vu hier dans notre premier volet consacré aux Journées européennes du patrimoine – un rôle civique de première importance. C’est aussi le cas pour le patrimoine qui possède une destination plus spécifiquement éducative (2/3).
A Saint-Germain-en-Laye, la Maison d’éducation de la Légion d’honneur des Loges forme des citoyennes engagées
Elles ont entre dix et quinze ans et interviennent dans toutes les commémorations officielles en qualité de représentantes de la République, dans leur uniforme bleu de collégiennes piqué tous les 11 novembre du bleuet – l’emblème des combattants de la Première Guerre mondiale. Les « Demoiselles de la Légion d’honneur » – c’est leur nom – sont les filles, petites-filles et arrière-petites-filles de décorés de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire ou de l’ordre national du Mérite. Parmi elles, 6 % sont filles de militaires, les autres sont à l’image de la mixité de notre société actuelle. L’histoire de leur école est exemplaire de l’engagement de la République en faveur des citoyens. Au lendemain d’Austerlitz, en effet, Napoléon décide d’adopter toutes les orphelines faites par la terrible bataille, et de leur assurer un avenir. Pour elles, il fonde en 1809 la « Maison d’éducation » de Saint-Denis dans l’ancienne abbaye royale (aujourd’hui lycée). En 1811, il fonde la Maison des Loges dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye, à l’emplacement de l’ancien pavillon de chasse de Saint Louis (aujourd’hui collège). Napoléon avait justifié ainsi son choix : « Il faut que l’établissement soit beau dans tout ce qui est monument, et simple dans tout ce qui est éducation ».
Il faut que l’établissement soit beau dans tout ce qui est monument, et simple dans tout ce qui est éducation (Napoléon)
Pour Roxane Lavergne, intendante générale des Loges, « Napoléon peut être considéré, en quelque sorte, comme un précurseur de la parité. En accordant aux filles un véritable lieu d’instruction – autre que le couvent ! - il a voulu éduquer les jeunes filles au même titre que les garçons, qui bénéficiaient depuis longtemps d’institutions dédiées ». En créant ses Maisons d’éducation, en même temps d’ailleurs que la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur, Napoléon a voulu promouvoir le mérite personnel et le désir d’excellence. Ces valeurs inscrites dans l’ADN de la Maison des Loges continuent, génération après génération, à animer les élèves et leurs professeurs. « Si la présence du passé est forte, si on perpétue le devoir de mémoire, on vit aussi pleinement au présent, dans l’ère du numérique. Le maintien de certains dispositifs – latin-grec, classes bilingues, section européenne – ne fait pas de nous une école élitiste, mais une école d’excellence. Nous accueillons aussi des élèves en difficulté scolaire, mais notre éthique est de n’en laisser aucune au bord du chemin ». Avec 100 % de réussite au Brevet des collèges et plus de 50 % de mentions Très bien, on peut dire, deux siècles plus tard, que Napoléon a gagné son pari. Comme leurs lointaines aînées, les Demoiselles d’aujourd’hui savent ce que veut civisme veut dire. « Il est parfois difficile, pour de si jeunes enfants, de faire face au statut d’interne. Nous les encourageons à se dépasser, autant dans l’étude que dans le comportement au quotidien. La solidarité entre élèves et le soutien moral – par exemple aider à faire une queue de cheval aussi bien qu’un devoir de maths – sont des valeurs que nous mettons à l’honneur ». Pendant les Journées européennes du patrimoine, on pourra visiter les bâtiments anciens, les « petites salles », les dortoirs, les salles de classes modernes, l’endroit où Anne d’Autriche vint prier pour demander un fils : Louis XIV naîtra à Saint-Germain-en-Laye en 1638... Attention : visite uniquement le samedi après-midi, par groupes de soixante personnes.
A Saint-Étienne, l’École des Mines poursuit sa vocation citoyenne
Depuis sa création en 1816 jusqu’à aujourd’hui, cette grande école d’ingénieurs marque son empreinte dans l’Histoire comme dans l’actualité du XXIe siècle. Elle ne cesse de prouver son engagement citoyen jusque dans le comportement héroïque de ses élèves pendant les deux guerres mondiales. En 1914, tandis que professeurs et ingénieurs s’activent dans l’industrie au service de l’armée, 143 élèves et ingénieurs des mines tombent au champ d’honneur. Pendant l’occupation nazie, deux élèves sont tués par la Gestapo. L’école s’illustre également comme un important foyer de la Résistance, avec le professeur Jean Letourneur et le directeur Louis Neltner. Hervé Jacquemin, chargé de missions CSTI & Bicentenaire 2016, est intarissable sur le sujet. « On a encore des témoignages oraux d’élèves qui ont aujourd’hui 92 ans et qui racontent les journées de juin et juillet 1944. Dans le cadre de notre Bicentenaire et pour notre deuxième participation aux Journées européennes du patrimoine, nous organisons une visite sur la trace des Résistants dans l’école. Nous racontons l’histoire de jeunes qui ont toujours vingt ans. Ils avaient vingt ans en 1816 comme ils ont vingt ans aujourd’hui. Leur envie de travailler, de se porter vers l’avenir et de construire le progrès est la même ».
Dans le cadre de notre Bicentenaire, nous organisons lors des JEP une visite sur les traces des Résistants dans l’école
École de « mineurs » à l’origine – le pays avait besoin de cadres pour l’extraction de la houille – l’Ecole des Mines de Saint-Étienne porte des projets industriels dont beaucoup intéressent la société. Haut-lieu de la recherche appliquée, elle se donne pour mission entre autres de développer l’ingénierie de la santé : prothèses osseuses fabriquées avec des aciers spéciaux, électrodes non invasives pour certaines maladies... capteurs de pollution dans le domaine de l’environnement... Ce souci de répondre aux besoins des hommes s’exprime également avec force dans le cadre associatif. « Dès la première année, nos élèves mènent des projets citoyens avec Emmaüs, la Croix Rouge, le CHU de Marseille, la prison... Ils animent des ateliers de culture scientifique pour les enfants hospitalisés avec de petites expériences sur l’eau ou la chimie de la cuisine. Ils apportent la pratique des sciences en maternelle et en primaire, dans le cadre du dispositif initié par Georges Charpak, « La main à la pâte »... Ces interventions qui rendent leur discipline si attractive aux yeux du public, ouvrent nos élèves sur la société et leur apportent du bonheur en retour. Ils les présenteront le 17 septembre aux Journées européennes du patrimoine ». Ce jour-là, les Stéphanois pourront voir ce qui se passe derrière les murs de l’un des bâtiments majeurs de Saint-Etienne, sur le Cours Fauriel. C’est une occasion rare.
La Petite Bibliothèque Ronde de Clamart : un lieu patrimonial pour un projet collectif
Cette bibliothèque associative est le cœur vivant de la cité HLM de La Plaine, qui s’est construite en même temps qu’elle, en 1965. Elle accueille les enfants de 0 à 12 ans, pour qui elle est « comme une seconde maison », selon lesmères du quartier. Sa créatrice, la mécène Anne Schlumberger et sa première bibliothécaire, Geneviève Patte, voulaient les meilleurs livres et le plus beau cadre pour ses jeunes lecteurs.Classée monument historique avec son jardin planté des espèces les plus rares, la Petite Bibliothèque ronde – anciennement « La Joie par les livres » – fait figure de modèle architectural –le bâtiment est signé de l’Atelier de Montrouge et le mobilier du Finlandais Alvar Aalto –et pédagogique. Héritière de la pédagogie Freinet – l’expression libre des enfants – et des bibliothèques « troisième lieu » – le lien social – elle développe une créativité et des expérimentations intenses autour de la lecture publique pour enfants.
Expérimentations avec les enfants. « Depuis l’âge de 4 ou 5 ans, ils sont nos aides bibliothécaires, explique Marion Moulin, la directrice. Ils gèrent les prêts, les retours, annoncent l’heure de fermeture... Les enfants sont friands de ces responsabilités, surtout les filles et ceux qui sont en échec scolaire ». Expérimentations avec les gens du quartier, impliqués dans la vie de la Bibliothèque. Expérimentations « hors les murs » avec les partenaires du champ social : la CAF, les Restos du cœur... « On vient de loin pour assister à nos résidences et à nos formations. Car ce lieu n’est pas dédié qu’au livre et au savoir. C’est une porte-fenêtre ouverte sur le monde, la culture ».
Les Journées européennes du patrimoine seront à l’honneur, à la Petite Bibliothèque ronde. « Le thème de ces journées, la citoyenneté, nous touche, car il est à la clé de notre démarche et de notre réussite », souligne Marion Moulin. Samedi 17 septembre après-midi, la bibliothèque proposera un défilé de mode avec des habits cousus pardesmères de famille, ainsi que la visite guidée du bâtiment par des comédiens de la Ligue d’improvisation – d’anciens lecteurs de la bibliothèque. Dimanche 16, Martine Sonnet, l’une des pionnières de la bibliothèque, lira son roman « Atelier 62 » qui parle de sa propre enfance à Clamart, ensoleillée par « La Joie par les livres ». On pourra aussi découvrir le film du jeune réalisateur en résidence Kaspar Vogler, « La bibliothèque est à nous », actuellement en compétition dans plusieurs festivals.