Depuis 2012, le fonds de dotation InPACT qui réunit des entreprises, des fondations d’entreprises et des philanthropes, met l’art au service des plus vulnérables. En témoigne l’exposition présentée jusqu’au 5 mai – InPACT 2012-2017, cinq ans d’action artistique et solidaire, L’art au service des plus vulnérables – dans le hall d’accueil du ministère de la Culture et de la Communication. Rencontre avec sa déléguée générale, Laurence Drake.
D’où les projets soutenus par InPACT tirent-ils leur originalité ?
InPACT est un fonds de dotation dont l’activité est discrète. Plutôt que de penser notre intervention à travers le prisme de l’accès à la culture, nous avons renversé la proposition : nous nous sommes demandés ce qu’un projet artistique pouvait apporter à ceux qui y participent. Au bout de cinq ans d’existence du fonds, on a pu expérimenter combien un projet de création collective avec un artiste professionnel, qui a une solide maîtrise de son medium et de sa proposition, peut être générateur d’un tremblement de terre intime pour les participants. Encore faut-il installer autour de la personne – nous y veillons – tout ce qui va lui permettre de véritablement reprendre la main sur son existence, tous ces outils qui l’aident à s’insérer, se construire, se sentir mieux, apprendre, rentrer dans un parcours de professionnalisation… Au fond la singularité d’un projet artistique InPACT, c’est ce mouvement lent, fort et puissant qui fait que l’artiste vient vers une personne, lui propose de réfléchir à une question qui peut lui sembler anecdotique au départ mais qui déclenche en réalité une vibration et une énergie qui vont profondément la changer au fil du processus de création.
Quand vous dites-vous qu’un projet a toutes les chances de réussir ?
On intervient très en amont, en interrogeant l’artiste sur son intention artistique. Je suis convaincue que ce qui se conçoit bien s’écrit et s’entend clairement. Quand un artiste écrit dans un texte d’une trentaine de lignes qu’il éprouve le besoin de s’ouvrir à un groupe de personnes en difficulté, on voit tout de suite si cette proposition fait sens par rapport au groupe. Il faut être dans une porosité avec la perception que l’artiste a du groupe de personnes qu’il a en face de lui. Et il faut aussi être très pragmatique avec une connaissance du terrain et des problématiques. Qu’est-ce qui est possible ? La proposition est-elle juste ? Notre travail est d’être dans une forme de maïeutique et de recherche d’équilibre entre la proposition sociale et la proposition artistique.
Un projet de création collective avec un artiste professionnel, qui a une solide maîtrise de son medium et de sa proposition, est générateur d’un tremblement de terre intime pour les participants
Comment fonctionne InPACT ?
Nous avons quatre sessions annuelles, une par trimestre. L’idée est d’être tout le temps présent, disponible, de pouvoir instruire les projets au fur et à mesure. Nous ne soutenons que des petites associations, qui sont souvent dans des équilibres budgétaires fragiles. Sur la vingtaine de projets présentés à chaque fois, cinq à douze sont retenus, ce qui est déjà beaucoup pour un fonds de la taille du nôtre. En 2016, l’aide totale s’élève à 360 000 euros. Mais en vérité, dans une optique de veille et d’information la plus large possible, nous prenons connaissance d’un bien plus grand nombre de projets pour avoir connaissance de ce qui est proposé, des avancées, pas seulement de ceux qui nous sont transmis. Sur la base de la note artistique transmise par l’artiste et du dossier de candidature que nous lui adressons, nous faisons trois, quatre échanges. Si nos questions ne touchent jamais à la proposition artistique, il faut que les porteurs de projets eux aussi aient envie de travailler avec nous dans un esprit de co-création et qu’ils en éprouvent le besoin. Pas seulement un besoin pécuniaire mais un besoin d’accompagnement d’un projet dans la durée. Nous travaillons avec beaucoup de sérieux sur les questions budgétaires et souhaitons travailler sur la base du travail réel ; un projet a besoin de temps, d’accompagnement, et tout doit être préparé. Tout cela doit être budgété de façon cohérente avec une certaine discipline. Cette parcimonie n’est rien d’autre que de l’attention et du respect pour chacun.
Dans cette phase d’instruction, quels sont vos relais sur le terrain ?
Nous allons chercher le plus d’informations possibles sur le terrain. Ces éléments sont aussi importants que notre intuition de départ sur la proposition de l’artiste. L’aide de nos partenaires – directions régionales des affaires culturelles, ministère de la Justice, hôpitaux, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes… – est ici précieuse entre toutes. Ils nous indiquent si des initiatives ont déjà été prises ou au contraire, si rien n’a été fait. Cette histoire du lieu et des possibilités est très importante. Chaque dossier est étudié pour lui-même et non par rapport aux autres. C’est la différence avec un appel à projet. Le conseil d’orientation comprend un représentant de chacun de nos fondateurs et donateurs ainsi qu’un représentant du ministère de la Culture et de la Communication et du Medef. Les débats sont de très haute tenue. Je suis toujours frappée par la dimension d’intelligence collective et de partage de ce travail collectif. Il nous reste ensuite une petite dizaine de jours pour répondre à toutes les questions qui sont posées sur les projets. Arrive enfin le conseil d’administration qui établit la liste définitive des projets retenus. De la même manière que le conseil d’orientation avant lui, il a en permanence le souci d’un choix juste.
Parmi les projets présentés dans l’exposition dont on se dit qu’ils ont bénéficié de l’expertise d’un grand nombre de partenaires, on pense à Itinéraire Bis, le film présenté par Les Ateliers à ciel ouvert…
On est à Saint-Médard-en-Jalles en Gironde, une ville où, au même endroit, sont réunis un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un lycée professionnel et un foyer d’accueil pour personnes handicapées. Ces institutions n’ont pas de rapport entre elles et n’ont pas envie de se rencontrer. Il fallait donc créer du lien social, ce que les artistes ont fait. Ils sont allés interroger les uns et les autres, ont d’abord eu la confirmation qu’aucun contact n’était souhaité, chacun se faisait peur, chacun avait son comportement, son langage, ses horaires, sa vie… et pourtant les artistes sont parvenus à les réunir. Ils en ont tiré un film formidable. Ce que l’on voit à l’écran est le résultat d’un an de travail d’écriture, c’est ce que sont parvenus à faire des gens qui ont travaillé et réfléchi ensemble, qui se sont projetés ensemble dans un film. Ces personnes vivaient auparavant côte à côte sans se parler ; deux ans après, il y a ce film.
Cela pose la question de la pérennité des projets.
En réalité, dans l’instruction d’un projet, je suis davantage concentrée sur le processus de création, que sur les œuvres proprement dites. Il y a du reste des œuvres que l’on ne montre pas ou qui ne durent que le temps de la performance. Il est en effet impensable d’avoir créé les conditions d’une pratique, d’un engagement, d’une attention réciproque, et de s’arrêter là. Notre travail est de faire en sorte que le lieu d’accueil jette les bases d’une pratique solide et durable. Cela ne veut pas dire que l’artiste que nous soutenons va revenir. Le moment magique de cette rencontre vient d’une multiplicité de faisceaux, mais n’arrive qu’une fois. Ensuite, il faut laisser la place à quelque chose qui n’est pas nécessairement une œuvre de création collective. Cela peut être un atelier pérenne, une nouvelle proposition… L’important, c’est que des habitudes aient été prises, de changer de regard. Nous avons des géographies de projets très différentes : certains ont lieu à l’intérieur de lieux – centres de détention, accueil de jour en psychiatrie, – d’autres, à l’extérieur. Je pense notamment au projet Ma Maison est blanche, également présenté dans l’exposition, qui a réuni les habitants de l’immeuble-cité de la Maison blanche dans le quartier du Canet, à Marseille. Le site internet qui, entre autres, a vu le jour grâce à ce projet, est toujours actif aujourd’hui.
En n’assignant pas les gens à rester dans leur problématique, on leur permet de rêver, de penser à autre chose, de s’insérer autrement
Vous menez actuellement un projet à Poitiers avec des femmes victimes de la traite humaine et des habitants de la ville.
C’est un des projets dont je suis la plus fière. Avant de poursuivre, je voudrais préciser la chose suivante : nous partons du principe que tous les groupes avec lesquels nous travaillons sont réunis par un point commun : une difficulté momentanée ou durable ; mais cette difficulté n’est pas ce qui les définit et ne doit en aucun cas être le lieu de la réflexion artistique. En n’assignant pas les gens à rester dans leur problématique, on leur permet de rêver, de penser à autre chose, de s’insérer autrement. Le projet de performance théâtrale Mon corps ma cage à Poitiers part du témoignage de femmes qui ont fui la violence et la misère de leur pays mais qui sont aujourd’hui victimes de la traite humaine. Le calendrier de création, autour des artistes Emma Crews et Céline Agniel, qui font un travail extraordinaire, comprend trois performances. La deuxième restitution, qui a eu lieu au théâtre Sainte-Croix à Poitiers, a été un véritable choc. Des habitant(e)s de Poitiers, après avoir travaillé longuement avec ces femmes, ont inversé les rôles. Ils ont pris leur place, et, attaché à une colonne, ou debout près d’un bas-relief, dans la pénombre, ont dit ce qu’est la vie d’une prostituée, ce que signifie d’être soumis au désir de l’autre, dans une langue extrêmement crue, cassante de vérité. Personne n’est sorti indemne de ce spectacle qui nous a ramenés à une conscience que ce qui est naturel peut être complètement abîmé même si l’on est renseigné sur ce qu’est la prostitution ou la violence faite aux femmes. Entendre ces hommes et ces femmes dire le viol permanent que subissent ces prostituées était terrassant. Grâce à ce projet, le regard des habitants sur ces femmes a changé. Ils peuvent se regarder, se parler, se dire bonjour. La troisième restitution, en juin, aura lieu sur la scène du Théâtre Auditorium de Poitiers.
Vous venez de recevoir le Grand Prix de la première édition d' « Un projet, un mécène », une distinction crée par le ministère de la Culture et de la Communication. Quelle est la prochaine étape pour InPACT ?
InPACT est un lieu de résistance à la hâte, un lieu d’expression, de créativité. Mais la structure, à l’image des personnes dans les projets que nous soutenons, est très fragile. Elle repose sur un équilibre entre le social et l’artistique, sur la confiance, la responsabilité. Nous fêtons notre cinquième anniversaire, nous sommes une toute petite équipe, on parle très peu de nous, réunir des fonds dans ces conditions est extrêmement difficile. Nous ne réunissons pas assez d’argent par exemple pour pouvoir aller dans les territoires ultra-marins, alors que les besoins sont considérables. Par ailleurs, nous voyons partout des lieux de souffrance, des personnes en situation de grande solitude. L’enjeu pour nous est de grandir tout en restant attentif à rester humble, exigeant et toujours aussi densément en contact avec les personnes, poreux avec le corps social. Le prix qui nous a été remis est un formidable encouragement. A travers lui, le ministère témoigne de son attention à l’égard des personnes vulnérables, celles dont on ne parle jamais, qui font peur à tout le monde, qui sont hors des grands dispositifs, exclues et seules. Il reconnaît cette création collective. C’est un signe magnifique, porteur d’espoir. Le fait que nous soyons une petite structure est une force. Nous sommes libres d’assumer nos choix. La co-création à tous les niveaux, qui fait l’originalité d’InPACT, ouvre des possibilités inouïes.
InPACT s'expose au ministère de la Culture et de la Communication
Le ministère de la Culture et de la Communication présente dans ses murs l’exposition « InPACT, Cinq ans d’action artistique et solidaire. L’art au service des plus vulnérables » à l’occasion du cinquième anniversaire du fonds de dotation. Jusqu’au 5 mai 2017, le public peut découvrir une sélection d’œuvres issues de neuf projets emblématiques soutenus par InPACT :
- Le Bruit des Vagues : film de fiction réalisé avec onze résidentes du Foyer de vie Jenny Lepreux (ADGESSA) à Mérignac sous la houlette de Laurence de La Fuente – Pension de famille ;
- Aire(s) de je : série de photographies imaginée par l’artiste photographe Cédric Martigny et huit habitants et huit résidents du foyer de vie de Bazouges-la-Pérouse ;
- Ma Maison est blanche : création collective proposée par la vidéaste Pauliina Salminen à des habitants du quartier de Canet à Marseille avec Télénomade ;
- Looking for Shakespeare : documentaire-fiction Looking for Shakespeare, porté par la Compagnie « Et si c’était vrai ? », sous la houlette du metteur en scène Florian Santos avec des habitants du 8e arrondissement de Lyon ;
- En bord de route : série de 39 photographies issues du projet mené par l’association Culture ailleurs avec deux artistes plasticiens, Sébastien Perroud et Julien Lobbedez et un groupe d’habitants roms issus de différents lieux de vie de l’agglomération grenobloise ;
- Itinéraire bis : court-métrage de fiction présenté par l’association Les Ateliers à ciel ouvert Benoît Lagarrigue, réalisateur et sculpteur et Joana Jaurégui, réalisatrice documentaire avec les résidents du foyer Marc Boeuf, de l’Ehpad Simone de Beauvoir, de la Maison d’Accueil Spécialisée Yves Buffet et les élèves du lycée professionnel Jehan Dupérier, tous habitants du même quartier ;
- Prisonnières [fragments] : projet photographique mené en 2013 par la photographe Clémence Veilhan, sur une proposition de Hors [séries], avec un groupe de femmes détenues à la Maison d’Arrêt des Baumettes à Marseille ;
- (Je veux) Tout de toi : clip vidéo réalisé par la Compagnie des Lumas, dirigée par Eric Massé, avec des adolescents de l’IME de la Providence à Saint Laurent-en-Royan dans le cadre d’une série de créations bilingues français parlé et signé rassemblées dans le cycle UltraSensibles.
- Kebab Café : Photographies de répétition d’une pièce qui sera présentée à Creil le 22 avril 2017, résultat de deux années de travail entre l’équipe artistique, dirigée par Renaud Benoit, et des jeunes en difficulté, de l’écriture de la pièce à sa mise en scène.
Exposition jusqu’au 5 mai 2017, hall d'accueil du ministère de la Culture et de la Communication, 182 rue Saint-Honoré, Paris 1er. Entrée libre de 8h30 à 20h