Le réseau Circostrada, coordonné par Artcena, Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre, organise la seconde édition de Fresh Street – Séminaire international pour le développement des arts de la rue (Santa Maria da Feira, Portugal, 24, 25 et 26 mai 2017). Rencontre avec Gwénola David, directrice générale d’Artcena, et Stéphane Segreto-Aguilar, responsable des actions internationales.

Affiche Fresh Street

Fresh Street #2 est organisé par le réseau européen Circostrada. Quelle en est l’histoire ?

Stéphane Segreto-Aguilar : Ce réseau, piloté au départ par HorsLesMurs, Centre national de ressources des arts de la rue et des arts du cirque, et à présent par Artcena – issu en 2016 de la fusion du Centre national du Théâtre et d’HorsLesMurs NDLR – , a été créé en 2003. Il est composé d’un peu plus de 90 membres – des festivals, des centres de ressources, des fédérations, des agences de production…– répartis dans une trentaine de pays, principalement en Europe, mais aussi au Canada, en Australie, en Egypte, au Burkina Faso, et bientôt, nous l’espérons, au Japon. Tous ont un rôle structurant de développement des arts du cirque et de la rue sur leur territoire.

Gwénola David : Le réseau Circostrada a été soutenu dès l’origine par le ministère de la Culture et de la Communication et la Commission européenne. Il vient d’obtenir un nouveau financement dans le cadre du programme Europe Créative ce dont nous sommes heureux à plus d’un titre : il est l’un des 28 réseaux européens soutenu par l’Agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture » de la Commission européenne et le seul dans le domaine des arts du cirque et de la rue. Il n’y a pas plus belle reconnaissance du travail mené depuis 2003 et du projet que nous avons présenté pour les années à venir.

Quel est l’objectif de Fresh Street ?

GD : Fresh Street est un formidable laboratoire d’idées. Des professionnels au sens large – des artistes, des programmateurs, des chercheurs, des journalistes, des étudiants, des représentants de collectivités territoriales – se rencontrent et échangent ensemble sur leurs pratiques. Chacun arrive avec des exemples concrets. La force de ce rassemblement – au delà de tous les contacts informels qu’il permet, une qualité très prisée des professionnels – est de créer cette effervescence propre à nourrir les actions sur le terrain. Des co-productions internationales, des tournées vont peut-être se monter grâce à Fresh Street… L’événement contribue incontestablement à la reconnaissance du secteur au niveau européen.

Pour cette seconde édition, les débats ont été élargis aux responsables des collectivités territoriales...

GD : La volonté d’intégrer les collectivités territoriales à notre réflexion allait de soi et résulte de multiples facteurs : les collectivités territoriales sont aux avant-postes dans le domaine des politiques culturelles et tout particulièrement dans celui des arts de la rue qui sont à la croisée de différentes politiques publiques. Par ailleurs, au plan français, elles jouent, depuis une quinzaine d’années, un rôle majeur dans le financement de la politique culturelle.

SSG : Le but est d’aboutir à l’adoption d’un outil pratique de plaidoyer – fonctionnant au plan local mais adaptable dans d’autres contextes – et de réfléchir plus largement aux objets de plaidoyer que le réseau Circostrada pourrait mettre en place.

Les situations sont-elles très contrastées d’un pays à un autre s’agissant de la reconnaissance dont bénéficient les arts de la rue ?

GD : Si la question de leur reconnaissance ne se pose plus en France, il n’en va pas de même dans tous les pays d’Europe. Stéphane parlait de plaidoyer, le mot est juste, encore une fois, l’une des principales missions de Circostrada est de contribuer à cette reconnaissance qui, une fois établie, aura un impact immédiat en termes de politiques publiques et de possibilité de financement. L’objectif est de faire en sorte qu’un réseau européen qui a vocation à structurer les arts du cirque et de la rue devienne un levier au niveau national pour des politiques culturelles locales, qu’il permette par exemple l’ouverture d’une ligne de subvention spécifique. Un événement de l’ampleur de Fresh Circus, qui réunit 350 participants en provenance de 50 pays, est incontestablement un puissant vecteur de reconnaissance de ces secteurs artistiques.

SGG : C’est aussi un formidable accélérateur. Les discussions qui jusque-là s’opéraient au niveau local sont soudain élargies à l’Europe entière. Fresh Street est l’occasion d’un saut quantique dans les politiques locales.  

L’objectif est de faire en sorte qu’un réseau européen qui a vocation à structurer les arts du cirque et de la rue devienne un levier au niveau national pour des politiques culturelles locales, qu’il permette par exemple l’ouverture d’une ligne de subvention spécifique

Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui la création dans l’espace public ?

GD : A n’en pas douter les écritures contextuelles, le fait que beaucoup de compagnies ne se contentent pas de poser leur proposition artistique à l’extérieur mais travaillent avec l’architecture et la topographie des lieux, les habitants, et même, pour certaines, développent de vrais processus de création in situ.

L’innovation est aussi un des grands thèmes de cette rencontre...

SGG : Les membres du réseau Circostrada ont inventé chacun de leur côté des modes de coopération et de relation à leur territoire très spécifiques et souvent très inventifs. Mais nous nous sommes aperçus qu’ils échangeaient finalement peu sur leurs pratiques. Or, l’innovation peut précisément naître de ces échanges. S’il existe naturellement une innovation liée à la création, qui par définition invente quelque chose qui n’existe pas, le choix de ce thème pour la rencontre est surtout lié à la façon dont les uns et les autres exercent leur métier.

L’innovation est pour vous associée à l’idée de durabilité...

GD : La durabilité, pour prendre une situation concrète, c’est par exemple réfléchir à l’articulation entre production et diffusion. Si un spectacle soutenu financièrement ne se joue qu’une fois, on peut estimer que le coût est trop important pour une seule représentation, alors que si l’on trouve des modes de coopération qui vont permettre d’accroître la diffusion tout en respectant la spécificité des contextes locaux de représentation, l’argent qui a été investi dans la production va bénéficier à un public plus nombreux. Nous ne voulons pas être dans la surconsommation mais au contraire penser à la vie d’une création.

Séminaire Art de la rue Fresh Street

Autre thème, celui de la mobilité...

SSG : On considère à tort que la mobilité physique est simple en Europe alors qu’il existe en réalité de vrais écarts entre les pays. Sur ce sujet, nous travaillons avec « On the move », le réseau de la mobilité en Europe. Circostrada, dans le cadre de partenariats qui vont de la Tunisie au Liban, a aussi le projet d’organiser dans les quatre prochaines années des mini séminaires dans la zone sud de la Méditerranée afin de permettre aux différents acteurs de la région de se rencontrer mais aussi d’entrer en contact avec leurs homologues en Europe. Plus largement, Circostrada organise des voyages de recherche. Le dernier en date a eu lieu au Japon, le prochain est prévu en Ethiopie. Ils sont à chaque fois l’occasion de diffuser très largement l’information recueillie à l’intérieur du réseau et visent à pérenniser les relations établies.

On considère à tort que la mobilité physique est simple en Europe alors qu’il existe en réalité de vrais écarts entre les pays

GD : La mobilité, c’est aussi la circulation des idées, des savoir-faire et de l’information.  Sur ce plan, Fresh Street joue un rôle capital. En réunissant des professionnels des arts du cirque et de la rue, la manifestation contribue à donner corps très concrètement à une identité européenne. C’est un des atouts de ce réseau et cela, encore une fois, n’a pas échappé à l’Agence exécutive de la Commission européenne. Pour preuve, la formation effectuée récemment par Artcena à l’attention de ses agents. Grâce à Circostrada, les professionnels ont construit un « en-commun » au niveau européen, c’est essentiel dans un contexte où l’Union européenne fait l’objet de vives critiques.

SSG : L’an dernier, le hasard a voulu que la réunion du réseau ait lieu le jour du Brexit. Or Circostrada compte énormément de membres britanniques. Nous avons organisé une première discussion à chaud sur les conséquences que pouvait avoir le Brexit sur les arts de la rue. Depuis, nous ne cessons de nous organiser pour continuer à travailler ensemble et donner de la visibilité à nos partenaires britanniques qui se sentent profondément européens.

Pourquoi avoir organisé la rencontre au Portugal ?

GD : Tout y concourait : le Portugal est une scène émergente dans le domaine des arts de la rue, en outre, le choix de la destination se décide de manière collaborative et il se trouve que la proposition du Portugal était la plus pertinente. Par ailleurs, la première édition de Fresh Street a eu lieu en Espagne – un petit pays dans le domaine des arts de la rue même si la Catalogne est très dynamique – où elle a eu un très fort impact. Nous souhaitons qu’il en soit de même pour cette seconde édition au Portugal.

Sur quelle base jugerez-vous du succès de la rencontre ?

GD : L’affluence à Fresh Street est d’ores et déjà un premier succès. Celui-ci, ensuite, ne se mesurera pas au nombre de mesures prises mais plutôt à la qualité des débats, à l’enthousiasme des participants et à l’impact que la rencontre aura. Si chacun repart avec des idées nouvelles, des outils pouvant contribuer à son développement et l’envie de se lancer dans un projet fort des expériences déjà conduites, alors Fresh Street aura atteint son objectif.

SSG : Nous reprenons les débats là où nous les avions laissés au moment de la clôture de la première édition. La transition se fait naturellement, ces événements ne sont pas singuliers, ils ont vocation, ensemble, à construire un chemin.

 

Art de la rue : les chantiers d'Artcena

 

Affiche Circostrada

Pour Artcena, Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre, né en 2016 de l’alliance du Centre national du Théâtre et d’HorsLesMurs, les chantiers n’ont pas manqué depuis un an. À commencer par le partage des connaissances à travers la création d’une plateforme numérique qui devrait voir le jour à l’automne prochain. « Le paysage de la ressource dans notre domaine est composé de multiples producteurs qui vont de la Bibliothèque national de France aux Archives de France, en passant par l’Institut national de l’audiovisuel, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, les archives départementales… Dans ce contexte, il nous a semblé que nous devions surtout faciliter l’accès aux ressources pour les utilisateurs, faire de la plateforme un point nodal, d’où la mise en place de multiples partenariats avec les institutions concernées », explique Gwénola David. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la mise en place de la plateforme n’annonce pas à une dématérialisation complète des services proposés par Artcena. Le centre continuera, comme il le fait aujourd’hui, à offrir une information sur-mesure - mise en place d’ateliers, de formations, permanences juridiques… - à ses publics spécifiques, avant tout les auteurs (Artcena gère la Commission nationale d’Aide à la création de textes dramatiques NDLR) et compagnies indépendantes. « La mise en place de la plateforme numérique est un vaste chantier qui s’inscrit à la croisée des différentes missions d’Artcena : l’information, l’accompagnement des professionnels, et le développement, notamment à l’international, dont Fresh Street est une illustration parfaite », conclut Gwénola David.