La deuxième édition du Festival Toute la mémoire du monde, du 3 au 8 décembre à la Cinémathèque Française, met à l'honneur la restauration des films et invite des cinéastes, autour de projections et de rencontres inédites. Avec un fil conducteur : l'histoire du cinéma est une affaire vivante, sensible, qui croise l'universel et l'intime. Rencontre avec Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque Française.
Pourquoi choisit-on de restaurer un film?
Les films sont menacés, et pas seulement les films des années 20, mais aussi les films plus récents, comme par exemple, Pierrot le Fou, de Jean-Luc Godard avec Belmondo et Anna Karina tourné en 1965, Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, de 1975, avec Yves Montand et Catherine Deneuve. On choisit de restaurer un film, ou des images, parce que certains éléments, le son, l'image, les couleurs qui figurent sur le négatif, sont dégradés.
Restaurer un film, c'est comme revenir à son origine?
Oui. On traite un film image par image, devant l'ordinateur pour effectuer une restauration du film de la copie argentique vers le numérique. C'est le moment de vérité, où interviennent plusieurs métiers, les professionnels du son, de l'image, de l'étalonnage,...On se rapproche de la première version du film, sa racine, telle qu'elle a été pensée, tournée par le cinéaste, et non encore altérée par les aléas du temps. Mais ce support numérique n'est pas voué à durer éternellement. C'est la raison pour laquelle tous les documents numérisés sont conservés, in fine, sur support argentique, le seul dont on connaît l'évolution et qui reste à ce jour le meilleur moyen de conservation.
L'histoire du cinéma et son patrimoine recueille un succès croissant au public...
La France reste le pays de la cinéphilie et de l'échange autour du cinéma. C'est la raison d'être de ce festival, où l'on montre des films et l'on honore des cinéastes. Avec cette année, William Friedkin, comme invité d'honneur. Le réalisateur de l'Exorciste, présentera lui-même les films qui l'ont influencé comme autant de révélateurs de ses propres obsessions au cinéma : la paranoïa, la peur irrationnelle, avec Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, A cause d'un assassinat d'Alan J. Pakula, Sueurs froides, d'Alfred Hitchcock, ou Crimes et délits de Woody Allen. Il y aura également des tables rondes, des hommages aux cinémathèques étrangères, La Cinetica de Bologne, une des archives en Europe parmi les plus dynamiques, des films de l'acteur et réalisateur Raj Kapoor, une figure historique du cinéma indien qui fête cette année, son centenaire, une nuit Fantômas, le film de Pierre Feuillade accompagné à l'orgue, ou encore, la projection du chef d’œuvre de Claude Lanzmann, Shoah, en version restaurée, et une discussion avec l'auteur.
D'autres manifestations témoignent avec succès de cet amour du public pour l'histoire et la mémoire du cinéma : Cannes Classics, au Festival de Cannes, The Film Foundation, crée par Martin Scorsese, ou le Festival Lumière à Lyon qui a célébré cette année le réalisateur américain Quentin Tarantino et sa passion pour l'histoire du cinéma. En plus d'être une garantie pour la qualité retrouvée de l'image, une source de diffusion légale pour le film, de présenter pour les distributeurs un potentiel commercial, les films restaurés permettent au public, un accès à l'histoire du cinéma. Avec des classiques, Les Enfants du Paradis, de Marcel Carné, La Belle et la bête de Jean Cocteau, ou des contemporains : voir et revoir sur grand écran ou sur DVD, les films de Rohmer, René Allio, Raymond Depardon...
Vous nommez ce festival Toute la mémoire du monde, à la fois un titre universel et intime
Les films sont une matière vivante. Nous choisissons avec ce festival de continuer à leur donner vie, quel que soit leur âge. Ils permettent aussi de recréer un lien. La réalisatrice Diane Baratier est partie à la recherche d'un film disparu de son père, le cinéaste Jacques Baratier. Ils permettent de prolonger une histoire, de revivre le passé : la chef opératrice Caroline Champétier, alors assistante sur le film de Claude Lanzmann, Shoah, viendra parler de son expérience pendant le tournage. Restaurer un film, faire parler la mémoire du cinéma, c'est s'intéresser à la sienne, à sa propre histoire de spectateur. C'est cela que nous montrons dans ce festival, comme un fil conducteur à la fois singulier et collectif.