Créateur à multiples facettes, Jean Cocteau est un poète précurseur sur son temps qui entremêle l'art et la vie en toute liberté. Une place unique et solitaire. Trois questions à Pierre Bergé, président du Comité Jean Cocteau.

Hommage à Jean Cocteau

Jean Cocteau, dites-vous, est un poète de la modernité?

En 1913, il y a tout juste un siècle, le Sacre du Printemps de Stravinski est un choc artistique. Le spectacle est hué. Pour Jean Cocteau, proche des ballets russes, c'est une révélation. Ce spectacle d'un genre nouveau met fin à beaucoup de ses certitudes et le plonge dans la création contemporaine. En d'autres termes, il ne laisse passer aucun train, il remonte les wagons en courant et prend la place du conducteur. C'est cette place qu'il va gagner avec beaucoup d'audace dans tous les domaines de la création. Il devient poète. Un mot qui résume à lui seul son intense créativité. Toutes ces créations participent chez Jean Cocteau de la même pensée, de la même œuvre. Une diversité qui dérange : 'je saute de branche en branche, disait-il, c'est vrai, mais toujours de mon arbre'.

Quitte à endosser pour ses contemporains le rôle du poète mondain...

Les surréalistes le détestent et le qualifient d'homme de cour et de superficiel. Mais il souffrait beaucoup de ce mépris. Son dernier journal intime à paraître bientôt en témoigne [Démarche d'un poète, éd. Grasset, octobre 2013, ndlr]. Il aime s'entourer de gens riches et célèbres, et ne colle pas à l'image qu'on se fait de l'artiste maudit, solitaire et sans le sou. Mais quand il découvre Jean Genet, alors pauvre et méconnu, personne ne le relève. Chez Jean Cocteau, le travail et la vie s'entremêlent. L'intime et l’œuvre ne font qu'un. Le rêve, l'amour, le désir traversent sa création. La génèrent, comme lorsqu'il revêt l'habit de Pygmalion avec ses compagnons et amants, les acteurs Jean Marais et Édouard Dermit, dont il façonne la carrière. Cette multiplicité des pratiques brouille les pistes mais elle traduit un train d'avance. Jean Cocteau introduit les années 60, le pop-art, et Andy Warhol.

Des multiples facettes qui traduisent une profondeur?

Une profondeur métaphysique, assurément. Le mystère, l'absence, l'au-delà parcourent son œuvre. Une liberté avec la narration et la mise en scène qui va inspirer les cinéastes de la Nouvelle-Vague. La traversé du miroir dans le Sang d'un poète, la scène de la boule de neige qui ouvre les Enfants terribles, le masque porté par Jean Marais dans la Belle et la Bête s'impriment dans l'esprit de jeunes réalisateurs d'alors, André Bazin, Jacques Doniol -Valcroze, ou François Truffaut en recherche d'une nouveau langage du cinéma. Jean Cocteau n'a eu de cesse de questionner la place de l'artiste, sa place, vis-à-vis de la société, de l'autre. Une place unique et bien solitaire qui me renvoie à cette phrase de Goethe : « De tous mes disciples, un seul m'a compris. Et celui-là m'a mal compris. »