En prenant le parti de la couleur, Flora Moscovici, lauréate de « L’art du chantier », une commande artistique du ministère de la Culture, convoque la mémoire du quartier du Palais-Royal.
« Mon projet s’appelle Cité polychrome, en référence à Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra-Garnier. À l’inverse du baron Haussmann, qui a créé un Paris monochrome, il rêvait d’une ville dont l’architecture ferait appel à des matériaux de nature et de couleur différentes, cette idée a été une de mes principales sources d’inspiration ». Derrière cette prometteuse déclaration d’intention, on retrouve toute la détermination de Flora Moscovici, 36 ans, diplômée de l’école nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, à redonner des couleurs à la capitale.
Lauréate du volet extérieur de « l’Art du chantier », cette commande artistique passée à des artistes qui accompagnent le chantier de transformation des espaces immobiliers du ministère de la Culture, le « projet Camus » (voir notre article), la jeune artiste convoque, à sa manière, la mémoire d’un quartier historique du centre de Paris : le Palais-Royal.
La couleur reprend ses droits
« Polychrome », le mot est lâché. Que l’on soit rue de Valois [siège historique du ministère de la Culture], où une bâche monumentale réalisée par l’artiste recouvre une partie du bâtiment, ou bien à l’angle des rues Saint-Honoré et Croix-des-Petits-Champs, où c’est la palissade en bois qui masque le bâtiment des Bons-Enfants qui est devenue support de création, la couleur reprend ses droits.
Jaune, rose, orange, gris-bleu… Bien qu’on distingue chacune d’entre elles parfaitement, les subtiles nuances de l’une à l’autre créent, au gré des variations de lumière durant la journée, une impression de camaïeu. « Pour moi, il y a toujours cette idée de partir des couleurs de l’environnement – pierres, bâtiment, bitume… – pour amener petit à petit de la lumière, un peu comme quand on passe dans une rue, qu’il y a un rayon de soleil sur un bâtiment, et que d’un seul coup, énormément de nuances apparaissent, des orangers, des roses… ».
Le mot polychrome évoque aussi la diversité, « l’idée d’une ville qui pourrait être différente », poursuit Flora Moscovici. « En faisant des recherches sur l’histoire du quartier du Palais-Royal, je me suis aperçue qu’au début du XIXe siècle, c’était le lieu où tout se passait à Paris : les nouveaux arrivants s’y rendaient immédiatement, la place était centrale au plan économique, politique et artistique, la vie dans les cafés était intense, librairies et maisons d’édition étaient dans les mêmes lieux, et il y avait aussi les jeux de hasard, les prostituées... En définitive, il y avait énormément de mixité, non seulement sociale, mais aussi s’agissant des activités. Balzac le décrit magnifiquement. Cela m’a beaucoup intéressée, d’autant que le quartier, s’il est toujours très beau aujourd’hui, est d’une beauté plus aseptisée ».
Conditions de réalisation
Pour chacune des deux œuvres de la commande, la technique reste la même – « toutes les peintures sont réalisées à la brosse », dit-elle –, mais les conditions de réalisation, quant à elles, ont été radicalement différentes.
Les bâches de la rue de Valois ont été conçues en intérieur, au Mobilier national, puis au Gymnase Guy-Boniface, à Villejuif. « C’était une grande chance de travailler dans la Galerie des Gobelins du Mobilier national, l’espace était parfait, nous avons aussi eu le privilège de visiter le nuancier, se souvient Flora Moscovici, j’ai en outre appris que Marc Chagall – un des maîtres de la couleur – avait en partie réalisé la peinture du plafond de l’Opéra-Garnier dans la galerie du Mobilier national ! » Magnifique coïncidence. Une « fierté » surtout, pour la jeune artiste dont la pratique de la peinture se déploie principalement in situ et souvent dans de grands espaces. « Pour la plus grande bâche mesurant 18 x 9 mètres réalisée au gymnase Guy-Boniface, nous avons encore eu de la chance : toutes les conditions – de lumière, d’absence de poussière, sans parler du calme et du fait d’être au chaud – étaient réunies pour que l’on travaille dans d’excellentes conditions, ce qui n’est pas si facile à trouver pour une œuvre de cette dimension ».
Changement de décor avec la création sur la palissade de chantier qui a lieu en pleine rue sous le regard de passants qui parfois n’hésitent pas à poser quelques questions. Lors de notre rencontre, en plein mois d’avril, Flora Moscovici, assistée d’Anna Principaud, sa camarade de promotion à Cergy et l’une des sept artistes et étudiantes en école d’art qui travaillent avec elle sur ce chantier, met la dernière main à cette deuxième intervention. « On est à un carrefour bruyant, et il a fait froid cette semaine, il y a aussi eu beaucoup de vent, c’est assez physique, plus proche peut-être de ce que j’ai l’habitude de faire puisque je travaille souvent directement in situ ». Une âpreté qui passe dans son geste créatif : « La peinture, tout en restant fidèle au processus de départ, est certainement un peu plus violente du fait qu’on se trouve à un carrefour. D’une certaine manière, tout est en place pour tendre le geste. Qui plus est, la surface est moins grande d’où le besoin sans doute d’avoir un point d’intensité ».
Un vrai challenge
Rapporté à son parcours dans son ensemble, ce projet lui fait-il faire un pas de côté ? « L’aspect réalisation en atelier, qui plus est à l’horizontale pour les bâches, est assez inhabituel dans ma pratique, reconnaît Flora Moscovici. Quand j’ai vu l’appel à projet, je me suis immédiatement dit que c’était quelque chose pour moi, dans le sens où je travaille principalement in situ, que je m’inspire des lieux et que je fais aussi beaucoup d’œuvres éphémères. Cela avait donc du sens. Mais en même temps, les supports de chantier, les palissades et les échafaudages, sont des supports plutôt ingrats, il faut bien le reconnaître, ce n’est pas comme une belle toile. Qui plus est, ce sont des formats allongés et étroits, inhabituels par rapport à un tableau. Faire des œuvres sur de tels supports était un vrai challenge ».
Fin mai, la jeune artiste interviendra pour la troisième et dernière fois en façade de la partie moderne du bâtiment des Bons-Enfants rue Croix-des-Petits-Champs. « Cette intervention fera le lien entre la partie de la rue de Valois et celle-ci, précise Flora Moscovici, les esquisses sont faites, ce ne sera donc pas une surprise, mais le fait que cela vienne dans un second temps, ce n’est pas tout à fait pareil que tout faire d’un coup », se réjouit-elle.