Architecture, patrimoine, langue française, création contemporaine… Le ministère de la Culture et de la Communication se mobilise sur tous les fronts dans le cadre de la conférence des Nations Unies sur le climat qui se tient à Paris du 30 novembre au 11 décembre. Premier volet de notre série sur la COP21 : l’architecte Pascal Rollet, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, revient sur les enjeux de la première des deux tables rondes organisées par le ministère, "Architecture et patrimoine durables, le bâtiment et l’urbain face aux enjeux climatiques" (1/5).
S’il est un domaine qui peut apporter des solutions aux questions posées par le changement climatique, c’est bien l’architecture...
À travers la mise en forme de la matière et de l’espace, l’architecture crée un milieu de vie assurant sécurité, confort, mais aussi stimulation intellectuelle et émotionnelle. À ce titre, elle a de tout temps émergé de ce que j’appelle les conditions du milieu. Les choses ont évolué au XIXe et surtout au XXe siècles quand la modernité a cru pouvoir dépasser ces questions du milieu et répandre sur la surface de la terre une architecture issue du seul génie humain et de l’industrie. Même si cela a conduit à de très belles choses – je pense notamment au travail de Mies van der Rohe sur la dématérialisation et la légèreté qui ensuite donnera naissance à des architectures très intéressantes comme celles de Glenn Murcutt ou de Renzo Piano – cette situation a constitué une erreur stratégique fondamentale. Entendons-nous : ce n’est pas le recours à l’industrie qui était une erreur mais le fait de penser qu’il existait un homme moderne qui était le même partout. Même si nous avons tous le même ADN, nous ne vivons pas sous les mêmes latitudes, nous avons des perceptions et des manières de vivre différentes selon les lieux où nous vivons.
« L’architecture se reconnecte avec ce qu’elle a toujours été, une expression spatiale et matérielle des conditions du milieu »
La modernité ne s’intéressait qu’au monde occidental or les enjeux du changement climatique concernent aujourd’hui l’ensemble de la planète
La modernité intellectuellement a été finalement assez colonialiste, si l’on peut dire. Dans les années 1980, la prise en compte de l’histoire, de la particularité, du local, a marqué un retour sur la bonne voie. Et aujourd’hui, d’une certaine manière, l’architecture se reconnecte avec ce qu’elle a toujours été, une expression spatiale et matérielle des conditions du milieu. Certaines architectures situées, éprises de la nature des lieux, sont extrêmement puissantes et intégrées. Je mentionnais Glenn Murcutt mais on peut aussi citer ce qui se fait dans le Vorarlberg, en Chine avec Wang Shu, ou encore aux États-Unis, dans l’Alabama, avec Rural Studio. La grande force de l’architecture, c’est de s’adapter, de s’inspirer des contextes locaux et de renforcer l’identité des gens. Les constructions ne peuvent donc pas être les mêmes partout et la réflexion sur le changement climatique favorise cette prise de conscience. Sous nos latitudes, les conditions de confort ne vont plus être les mêmes, il va faire plus chaud, surtout le temps va être beaucoup plus instable, et, facteur aggravant, ce phénomène est associé à davantage de risques d’événements météorologiques majeurs. On passe d’une période où l’homme était conquérant dans son rapport au paysage – d’où la grande fenêtre horizontale, l’homme regarde le paysage autour de lui et le domine – à une situation qui se rapproche des situations de survie. En ce sens, les maisons vont redevenir des espaces qui vont nous permettre d’être à l’abri, le mot abri devant presque s’entendre comme dans « abri antiatomique ».
Cela implique de faire passer ces enjeux dans l’enseignement de l’architecture.
Pour le moment, les enseignements sur ces questions de climat, d’environnement sont encore trop souvent optionnels et gravitent autour d’enseignements de l’architecture assez traditionnels. Il est évident qu’ils sont amenés à prendre de plus en plus de place, c’est une nécessité. Parce que les conditions du milieu changent, il devient impératif de former des gens capables de traiter la question de l’urgence, par exemple. Si la notion d’abri devient importante, cette donnée devra être prise en compte par l’enseignement.
La situation actuelle ne renforce-t-elle pas encore davantage le lien entre architecture et paysage ?
Elle favorise le lien avec le paysage mais plus largement avec les sciences de l’environnement. Les questions classiques – comment un bâtiment est-il inscrit dans son site, comment est-il orienté, comment s’insère-t-il dans un quartier, dans une ville, quelle est la relation entre le dedans et le dehors ? – se trouvent en quelque sorte réinterrogées par les évolutions de l’environnement. Auparavant, les approches scientifiques étaient intégrées d’une manière presque implicite parce qu’on avait l’habitude de notre climat et de notre environnement, cela reste vrai mais à présent un travail considérable est aussi fait sur l’eau, la biodiversité, la végétation et parfois même sur les aspects de santé publique à chaque fois que l’on prend possession d’un site.
L’architecture doit en réalité se penser dans une approche pluridisciplinaire...
Absolument, l’architecture est connectée à un nombre très important d’autres disciplines. Il existe un lien évident avec les sciences de l’ingénieur – pour la structure, les fluides, les systèmes de confort choisis de façon à ce qu’ils consomment le moins d’énergie possible – c’est le champ assez classique de l’architecture qui comprend la technologie et la construction. À l’autre extrémité, il existe un lien fort avec les urbanistes et les géographes et, plus récemment avec les statisticiens et les démographes. S’y joignent les professionnels des sciences de l’environnement qui travaillent sur l’eau, la biodiversité, ce qui caractérise un milieu en somme. Le nombre d’interlocuteurs s’est donc considérablement élargi sans compter que l’architecture intègre naturellement les apports de la sociologie, de la philosophie. La question des usages – comment fait-on pour que les gens soient concernés et acteurs de leur espace de vie ? – est en particulier très sensible.
« La grande force de l’architecture, c’est de s’adapter, de s’inspirer des contextes locaux et de renforcer l’identité des gens. Je pense au travail de l'Australien Glenn Murcutt, aux interventions du Chinois Wang Shu ou à celles de Rural Studio dans l'Alabama »
Certains de ces interlocuteurs, Maisons Paysannes de France et Plan Bâtiment durable, seront à vos côtés lors de cette table ronde.
Ils représentent des enjeux importants de la mutation que nous sommes en train de vivre. Maisons paysannes de France montrera comment, traditionnellement, les architectures émergeaient des conditions du milieu, ce sera une façon de souligner que les changements en cours sont un appel à faire une nouvelle architecture tout en gardant à l’esprit la qualité de ces maisons traditionnelles. La présence de Plan Bâtiment durable sera l’occasion de faire le point sur les objectifs d’efficacité énergétique qui ont été assignés au secteur du bâtiment – à savoir 20% de consommation énergétique de moins que les projections qui ont été faites en 2005 sur ce que nous consommerions en 2020 – et de montrer comment aujourd’hui on rénove des bâtiments existants, on en construit de nouveaux afin qu’ils répondent aux exigences de performance énergétiques, comment, enfin, on met en place une nouvelle manière de produire les matériaux de construction pour atteindre ces objectifs.
La présidente du Conseil national de l’ordre des architectes sera également présente.
Qui mieux qu’un architecte peut promouvoir et faire avancer la vision holistique qui permettra la réussite du développement durable à l’échelle des espaces habités ? De par sa formation, un architecte est capable de juger de l’importance et du poids relatif de l’enjeu qui s’attache à l’implantation d’un bâtiment, il doit en avoir une vision transversale et une vision prévisionnelle, au sens où il doit imaginer ce que va donner dans l’espace une nouvelle disposition qui n’existe pas encore. Cela demande l’agrégation de données extrêmement complexes. Si l’on n’y parvient pas, on risque d’aller vers des solutions trop technologiques qui créeront autant de problèmes qu’elles en régleront ou qui seront très en-deçà de l’objectif fixé. C’est un peu angoissant mais c’est vraiment l’enjeu, on a une cible et une seule flèche, il ne faut se tromper ni sur l’objectif, ni sur la puissance qu’il faut donner au trait.
N’est-ce pas une manière de plaider pour un développement de la recherche en architecture ?
La recherche en architecture a mis plus de temps que d’autres recherches spécifiques à se mettre en place, mais elle se développe plus rapidement aujourd’hui. La recherche finalisée qui part des questions posées par la société pour les traduire en questions de recherches, est en particulier une modalité de R&D (recherche et développement) très adaptée à l’architecture. La réflexivité que l’on acquiert change tout : en se mettant dans des conditions de test, on se donne la possibilité d’apporter des solutions et des innovations variées à une situation donnée. Par ailleurs, les questions posées par la société sont connues. Prenons l’augmentation de la population. Pour l’Europe, on est sur une perspective de décroissance à la fin du XXIe siècle avec une stabilisation de la population autour de 700 millions d’individus. Dans le même temps, on assiste à une poussée démographique dans les autres parties du monde. Le mouvement de population de l’Afrique vers l’Europe crée des différences de pression, nous sommes en train de le vivre. Si une population ne peut plus continuer à vivre sur son territoire parce qu’il n’est pas assez développé, elle vient naturellement dans un pays plus riche. Historiquement, les grandes migrations sont toujours liées à des variations des conditions du milieu. C’est d’une gouvernance mondiale dont nous avons besoin sur ces questions. L’architecture fait partie de la solution : le problème est tel qu’il ne peut être résolu sur le seul plan social, il faut le résoudre sur un plan logistique et spatial. Il faut aménager l’espace dans le lieu où habitent les gens pour qu’ils n’aient plus comme seule solution celle de partir.
Le 30 novembre, le Conseil national de l’ordre des architectes associé à d’autres organisations – le Conseil à l’international des architectes français, le Conseil des architectes d’Europe, l’Union internationale des architectes – lancera un manifeste pour une architecture responsable.
Ce manifeste est très important, il est le symbole d’une prise de conscience collective et son lancement en pleine COP 21 sera l’occasion de propulser un peu plus loin cette idée. Le combat est encore long dans la mesure où ces questions restent souvent abstraites, insuffisamment incarnées. Mais la mobilisation des esprits est déjà conséquente. Quand tous les feux passeront au vert, les acteurs de l’architecture devront impérativement être présents sur le terrain.
COP21 : les enjeux de la conférence de Paris
Le 30 novembre, débutera à Paris un rendez-vous majeur de l’agenda international : la COP21. Sa principale ambition est d’obtenir, pour la première fois en plus de 20 ans de négociations aux Nations Unies, un accord universel juridiquement contraignant sur le climat, ayant pour but de maintenir le réchauffement climatique au-dessous de 2°C. La France jouera un rôle international majeur en accueillant cette conférence, l’une des plus grandes conférences internationales jamais organisées dans le pays. Il est prévu que la conférence attire près de 50 000 participants, y compris 25 000 délégués officiels venant des gouvernements, des organisations intergouvernementales, des agences des Nations Unies, des ONG, et de la société civile.
Table-ronde : Architecture et patrimoine durables, le bâtiment et l’urbain face aux enjeux climatiques
La transition énergétique dans le secteur du bâtiment est-elle une opportunité pour élaborer des solutions innovantes et une stratégie partagée entre les acteurs ? Organisée le 11 décembre par la direction des patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication, la première des deux tables-rondes, animée par Pascal Rollet, professeur à l’école nationale supérieure de Grenoble, permettra de valoriser, à l’échelle urbaine et à celle du bâtiment, les solutions dont l’architecture et le patrimoine sont porteurs pour répondre avec ingéniosité et durabilité aux enjeux du changement climatique. Avec Bernard Duhem, président de Maisons Paysannes de France, Catherine Jacquot, présidente du Conseil National de l'Ordre des Architectes, Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable.