L’association "Cinéma pour tous", qui organise des projections-débats pour les adolescents en Ile-de-France, et de plus en plus sur l’ensemble du territoire, fête ses dix ans le 22 février au ministère de la Culture et de la Communication. Entretien avec sa fondatrice et présidente, Isabelle Giordano.

Vous avez fondé l’association « Cinéma pour tous » en 2006. D’où vous est venue l’idée d’organiser des projections-débats à l’attention des jeunes d’Ile-de-France ?

En tant que journaliste couvrant l’actualité du cinéma, je me rendais compte que tout le monde n’avait pas la possibilité de voir des films, qu’il y avait notamment des populations, particulièrement parmi les jeunes, qui n’allaient jamais au cinéma. Tout est dans le nom de l’association, j’ai voulu amener le cinéma dans des lieux où il était absent, et au-delà, apporter un peu de culture générale, de bonheur, de valeurs dans des endroits où la culture pénètre très peu.

On est alors aux lendemains des émeutes de 2005 dans les banlieues. Est-ce une donnée qui a joué dans votre décision de créer « Cinéma pour tous » ?

Le contexte social a naturellement beaucoup joué. J’ai toujours été très sensible à la question des banlieues que ce soit dans le cadre de ma carrière de journaliste ou à travers mon engagement auprès de certaines associations. Je suivais notamment de près un des jeunes à l’origine du projet des « grands frères ».  Il était sportif et organisait des tournois de sport dans les banlieues. Les mêmes réflexions revenaient toujours : on a rien, pas de théâtre, pas de salle pour se réunir, pas de terrain de football… les jeunes étaient condamnés à l’ennui. Cela m’a beaucoup frappée et je me suis dit que si on ne pouvait pas construire un cinéma, on pouvait au moins organiser quelques projections de temps en temps. Le succès a été immédiat, non seulement auprès des jeunes mais aussi des enseignants, et j’ai très vite eu envie d’accélérer le mouvement. De fil en aiguille, au bout de dix ans,  le réseau s’étend à présent dans toute la région parisienne et les projections sont de plus en plus nombreuses un peu partout en France. 

J’ai voulu amener le cinéma dans des lieux où il était absent, et au-delà, apporter un peu de culture générale, de bonheur, de valeurs dans des endroits où la culture pénètre très peu

Comparé à d’autres arts, le cinéma est peut-être aussi moins intimidant ?

Absolument, le cinéma est l’art le plus populaire, il emmène vers d’autres expressions artistiques. C’est un chemin privilégié vers tous les autres arts, la littérature, la musique, la peinture… Il s’adresse aux deux hémisphères du cerveau, à la sensibilité autant qu’à l’intelligence.

L’association a une double mission : faire découvrir des films aux jeunes et les amener à débattre et à s’interroger sur des enjeux de société.

« Cinéma pour tous » marche sur deux jambes depuis le début : les films projetés abordent des thématiques fondatrices et les projections sont suivies de débats. Le suivi pédagogique est ensuite assuré par les enseignants. Ces moments de débats sont particulièrement riches : il s’en dégage beaucoup d’émotions, ce sont des moments libérateurs, ils permettent aux jeunes de donner leur avis sur un film mais aussi de se confronter à ceux de leurs camarades qui ne partagent pas la même opinion.

« Cinéma pour tous » intervient en dehors du temps scolaire, de façon complémentaire aux dispositifs mis en place par le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la Culture et de la Communication

L’association intervient dans le sillage de ces dispositifs aujourd’hui essentiels pour l’accès à l’image des plus jeunes. Des solutions pédagogiques sont apportées de longue date et ont fait la preuve de leur efficacité. Nous avons en outre eu dès l’origine pour partenaire « Passeurs d’images », un réseau d’éducation à l’image hors du temps scolaire. Dans certaines villes, il y a aujourd’hui un vrai passage de relais entre nous. Enfin, je suis membre de la fondation « Égalité des chances » ainsi que de la fondation HSBC pour l’Éducation. Je fais également partie cette année du jury du prix de l’Audace artistique et culturelle mis en place par la fondation Culture et Diversité. Il s’agit là de postes d’observation très intéressants profitables à l’action de « Cinéma pour tous ».

Quelle est la prochaine étape pour « Cinéma Pour tous » ?

Si par notre action, nous donnons envie à d’autres acteurs de se lancer, si les équipes pédagogiques continuent à nous suivre, alors le pari sera gagné. Nous sommes très heureux que le ministère de la Culture et de la Communication fête les dix ans de « Cinéma pour tous ». Cet anniversaire sera aussi l’occasion pour le ministère de rappeler l’ensemble des dispositifs qui existent en matière d’accès à l’image. Nous avons énormément de chance en France. Je voyage beaucoup dans le cadre de mes fonctions de directrice générale d’Unifrance et je ne cesse de m’en rendre compte.  J’étais en Argentine tout récemment, le pays a pour ainsi dire copié notre dispositif d’accès à l’image.

 

 

 Faire découvrir des films aux jeunes et les amener à débattre sur des enjeux de société

Demain, le film événement sur l’écologie de Cyril Dion et Mélanie Laurent, Mustang de Deniz Gamze Ergüven, Divines de Houda Benyamina… l’association « Cinéma pour tous », qui depuis 2006 « ouvre les portes du 7ème art » à des adolescents qui n’y ont pas facilement accès, à travers l’organisation de projections-débats, sait assurément choisir les films qui donneront aux jeunes le goût du cinéma autant que celui du débat. Les projections, exclusivement organisées en Ile-de-France à l’origine, ont lieu aujourd’hui un peu partout en France, notamment à Rouen en partenariat avec « Passeurs d’images », le dispositif d’éducation à l’image hors du temps scolaire, et à Lyon avec l’association « Tout va bien ». Des séances plébiscitées par les adolescents que complète notamment une valise DVD contenant films et des pistes de débats remise par l’association aux professeurs et éducateurs.