Elles sont, chacune dans leur domaine, des personnalités emblématiques du monde de la culture. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, elles livrent un témoignage sur leur parcours et leurs convictions. Neuvième volet de notre série : Jeanne Vicerial, designer de mode (9/15).

Ancienne pensionnaire de l'Académie de France à Rome - Villa Médicis, Jeanne Vicerial est designer, fondatrice du studio de design recherche et innovation Clinique Vestimentaire. Elle est aussi artiste et docteur.

Votre talent et votre engagement font de vous une personnalité emblématique du monde de la culture. Quelles sont les principales étapes de votre parcours ?

Depuis l’enfance, mon attention s’est toujours portée sur le vêtement. Grâce à celui-ci, je pouvais me déguiser, fabriquer, dessiner, créer de véritables univers et jeux de rôles dans lesquels je m’abandonnais totalement. Si l’habit ne fait pas le moine, il permet au moins de transformer notre silhouette et nous donne le moyen de contrôler l’image que nous désirons donner à notre entourage. Son rôle est donc loin d’être négligeable. Le corps devient un outil médium de base que l’on peut modifier comme on le souhaite grâce aux vêtements et multiples parures. 

L’étude du costume historique féminin du XIXe siècle — sujet de mon diplôme des Métiers d’Arts Costumier-réalisateur — m’a permis d’acquérir une connaissance et une pratique des techniques utilisées dans le domaine de la couture sur-mesure. On confectionne, d’après la morphologie d’une cliente, un vêtement unique, parfaitement adapté à la singularité de son corps. 

La poursuite de mes études en design vêtement à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris m’a conduite vers l’univers de la mode. Délaissant le costume d’époque pour la création vestimentaire contemporaine, je passais donc d’un monde où la réalisation était effectuée sur-mesure, selon des morphologies très variées, à un monde où la réalisation du vêtement s’effectue par convention sur des mannequins de tailles 36/38 Couture, répondant à une représentation normalisée du corps. 

J’avais ainsi fait un bond de 100 ans dans l’’histoire, passant du « sur-mesure » au « prêt-à-porter », d’un savoir-faire artisanal à un savoir industriel. 

Ces premiers constats m’ont conduite à réaliser une première collection et à écrire un mémoire intitulé : un corps sur-mesure : la peau étoffe du 21e siècle ? Ainsi qu’une thèse de doctorat, à l’ENSAD lab. : « Clinique vestimentaire », que j’ai soutenue le 19 octobre 2019 lors de ma résidence à l’Académie de France à Rome — Villa Médicis. 

Dans le domaine culturel, l’égalité entre les femmes et les hommes connaît aujourd’hui encore une situation contrastée. Quelle place les femmes occupent-elles dans votre secteur ?

Je ne sais pas vraiment répondre à cette question. Mais je dirais que nous sommes, encore aujourd’hui, peu nombreuses. 

Votre personnalité est reconnue dans la lutte pour l’égalité femmes-hommes. À quoi attribuez-vous cette visibilité ?

Je pense que dans le système de mode actuel on a plus appris à oublier le corps de la femme qu’à le mettre véritablement en valeur, mais il en va de même pour les hommes, à vrai dire. Le paradoxe du prêt-а-porter est à « tiroir ». Nous sommes en présence d’une mise en abyme qui débute par la représentativité du corps de la femme. Le corps vivant se géométrise en un objet qui répond а une grille (S, M ou L). Il devient un solide inerte. On assiste ici au paradoxe d’un corps vivant а qui il faut s’adresser, mais qui doit être inerte pour répondre plus facilement aux logiques de conception industrielle. 

Ainsi, la variabilité physique de la clientèle est traduite en tailles standardisées établies sur des mannequins types stockman (réduites а des suites dimensionnelles reportées sur un tissu) ce qui aboutit а un produit vestimentaire, qui doit être ensuite acheté. Pour ce faire, on essaye en boutique un habit qui ne peut être adapté. La cliente doit alors trouver la taille la plus appropriée : c’est а elle de faire l’effort de l’adaptation. 

Selon son corps, la cliente choisira le vêtement qui lui conviendra le mieux sans aucune relation préexistante avec celui-ci. Le produit respecte un concept industriel qui s’efforce de chasser les défauts dans la répétition de fabrication d’un modèle. Le paradoxe de ce modèle est de rendre invariante une géométrie de produit tout en menant une recherche d’adaptation aux variabilités inter-individuelles à l’intérieur d’une même sous-catégorie de taille. L’individu doit appartenir à une taille et s’y adapter. 

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes qui voudraient entreprendre une carrière dans le domaine culturel ?

Je n’ai pas vraiment de conseils à donner, je ne me sens pas légitime pour le faire. Mais, en tous les cas, je pense que si l’on a une envie et une intuition, alors il faut tout faire pour la voir aboutir.
 

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