L’Institut National d’Histoire de l’Art fête donc aujourd’hui ses dix ans, et je
suis très heureux que nous soyons réunis aujourd’hui, avec mon collègue
Laurent Wauquiez, pour mesurer le chemin parcouru : l’Histoire de l’art en
France, qui a longtemps souffert d’un manque de visibilité et de
reconnaissance, a considérablement renforcé sa place ces dernières
années. Et cela, elle le doit en grande partie à votre institution.
Pendant plusieurs décennies, nous avons été nombreux à faire le constat
de ce paradoxe que vient d’évoquer Laurent Wauquiez : par la longue
tradition et le prestige des grands musées français et de leurs expositions,
l’histoire de l’art était bel et bien présente dans la vie culturelle des
Français, mais elle était longtemps restée négligée en tant que discipline à
part entière. C’est dans ce contexte, où la France a connu un réel retard
par rapport à d’autres grands pays européens et aux États-Unis, que
l’Institut national d’histoire de l’art a été créé, après une longue période de
gestation, en 2001.
En 1983, un rapport avait été remis au Premier Ministre sur la nécessité de
créer en France un véritable institut d’histoire de l’art comparable à ceux
qui existaient déjà à l’étranger. Ce rapport était signé André Chastel. Le
centenaire de la naissance de ce grand humaniste du xxe siècle est inscrit
au nombre des commémorations nationales 2012 et, il convient de le
souligner, c’est la première fois qu’un historien de l’art reçoit cet honneur.
Fêter les dix ans de l’INHA, c’est donc une très belle occasion de saluer la
mémoire de cette personnalité majeure de l’histoire de l’art, auquel un
grand colloque international organisé avec l’Institut de France sera
consacré ici même en novembre 2012.
L’année dernière, à l’occasion de la remise du prix Marc de Montalembert,
j’avais eu l’occasion, en rencontrant l’équipe de direction de l’INHA et les
jeunes chercheurs français et étrangers qui y sont accueillis, de mesurer le
dynamisme de votre établissement. Depuis sa création, et grâce à son
action, il faut reconnaître que la situation de l’histoire de l’art en France a
commencé à changer en profondeur.
L’INHA est d’ores et déjà reconnu, au niveau international, comme l’un des
grands instituts d’histoire de l’art dans le monde. Il est l’interlocuteur de
centres prestigieux comme le Courtauld Institute en Angleterre, le
Zentralinstitut für Kunstgeschichte en Allemagne ou le Getty Research
Institute aux Etats-Unis ; il l’est aussi pour les grandes universités où
s’enseigne l’histoire de l’art. L’INHA contribue ainsi à notre rayonnement
international dans un domaine qui connaît une importance croissante
auprès des publics. C’est dans cet esprit que j’ai d’ailleurs contribué à la
renaissance de la bourse Focillon, que le ministère des Affaires étrangères
avait créée dans les années 1950 en souvenir du grand historien d’art
Henri Focillon mort à Yale en 1943, et qui est décernée désormais
annuellement par le Comité français d’histoire de l’art, renouant ainsi le fil
d’une coopération transatlantique avec l’une des plus prestigieuses
universités de la Ivy League.
D’autre part, l’action de l’INHA contribue activement à rapprocher le monde
des musées et des patrimoines de celui de la recherche universitaire -
deux mondes qui trop longtemps se sont ignorés ou tenus éloignés. Des
personnes d’origine, de formation et de sensibilités différentes travaillent
désormais ensemble au quotidien dans des équipes qui profitent
pleinement de cette diversité de profils.
Les exemples de cette nouvelle dynamique sont nombreux. On pourrait
citer les expositions temporaires à la conception et aux catalogues
desquelles l’INHA a apporté une contribution importante : je pense au
Nouveau Réalisme au Grand Palais, en 2007 ; aux gravures de Goya
exposées au musée du Petit Palais, en 2008 ; à la sculpture champenoise
du xvie siècle à Troyes en 2009 ; ou encore aux trois expositions sur
l’enluminure médiévale qui se tiendront l’an prochain dans les musées de
Toulouse, de Lille et de Blois. Il y a aussi les grands recensements,
comme le Répertoire des peintures italiennes dans les collections
publiques françaises, qui a mobilisé des spécialistes de tous horizons, et
qui est disponible en ligne.
Je voudrais évoquer également le fait que l’INHA accueille dans ses murs,
depuis 2010, des conservateurs territoriaux qui peuvent y poursuivre
pendant plusieurs mois leurs recherches dans de bonnes conditions de
travail. L’histoire de l’art, c’est en effet et avant tout des métiers - une
pluralité de métiers, qui vient s’ajouter à la pluridisciplinarité intrinsèque de
la discipline que soulignait Laurent Wauquiez tout à l’heure. Leurs
horizons, pour des raisons historiques et administratives, peuvent être
assez divers : l’important est qu’ils puissent avoir un lieu de référence, où
se retrouver et travailler sur des projets communs. C’est cette fonction que
l’INHA remplit pleinement. La proximité immédiate, dans la Galerie Colbert,
de l’Institut national du patrimoine et de sa section de formation des
conservateurs a elle aussi des effets très bénéfiques : elle suscite des
collaborations de plus en plus nombreuses et fructueuses entre les deux
établissements.
Pour fêter cette première décennie d’existence, le meilleur cadeau que
l’INHA pouvait recevoir et faire à ses visiteurs était une oeuvre d’art. Il est
donc très heureux que le Centre national des arts plastiques ait accepté –
et je tiens à remercier Aude Baudet, qui en dirige les collections – le dépôt
dans le hall d’entrée de l’établissement d’une sculpture de Louise
Bourgeois, Les Bienvenus. C’est là un symbole de la mission de l’Institut
national d’histoire de l’art : accueillir toutes les formes de recherche et être
tourné vers le présent et l’avenir de l’art. Une oeuvre qui s’inscrit d’ailleurs
dans la lignée de la série des « nids » de Louise Bourgeois : l’INHA est un
nid pour tous les métiers liés à l’histoire de l’art.
L’un des grands projets de l'INHA, c’est aussi bien sûr la grande
bibliothèque de référence dont l'absence en France aura conduit souvent
les chercheurs à traverser le Rhin, la Manche ou l'Atlantique en quête de
sources pour leurs travaux. La rénovation du quadrilatère Richelieu est
aujourd'hui l'un des grands projets de mon ministère. À l’issue des travaux
qui ont déjà commencé, les exceptionnelles collections de la Bibliothèque
nationale de France présentes dans ce haut lieu de la mémoire nationale
bénéficieront de conditions de conservation et de valorisation nouvelles,
adaptées aux exigences de notre époque. Rejointe par la Bibliothèque
centrale des musées nationaux, aujourd’hui au musée du Louvre, et par
une partie des collections de l'École nationale supérieure des beaux-arts,
la Bibliothèque de l'INHA pourra alors se redéployer dans la très belle salle
Labrouste, familière aux usagers de l’ancienne Bibliothèque nationale et
entièrement rénovée, et y proposer à un public élargi d'historiens de l'art et
de conservateurs ses très riches collections.
Si beaucoup reste encore à faire pour donner à l’histoire de l’art toute la
place qu’elle mérite en France, je crois que nous avons néanmoins atteint
désormais un point de non-retour. Un cap a été franchi, et le Festival de
l’Histoire de l’art, organisé pour la première fois à Fontainebleau à la fin du
mois de mai dernier à l’initiative de mon ministère et avec le soutien – je
veux le souligner ici – du ministère de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche, en est je crois la manifestation évidente. Là aussi, c’est l’INHA
qui en assuré la programmation, et qui en garanti toute la qualité
scientifique. Je tiens à en remercier une fois de plus l’INHA, Florence
Buttay et son équipe, ainsi que le comité scientifique du Festival, placé
sous la présidence éclairée d’Alain Schnapp.
Le besoin d’une telle manifestation se faisait sentir depuis longtemps. Son
objectif est clair : mieux faire connaître les multiples aspects de cette
discipline, non seulement pour l’enseignement et la recherche
universitaires, mais aussi pour la vie culturelle de la nation, qu’il s’agisse
du monde des arts vivants, de celui de l’édition, ou encore des médias, en
s’adressant à la fois au grand public, aux professeurs du primaire et du
secondaire - au moment où l’histoire des arts fait progressivement son
entrée dans les programmes scolaires obligatoires, depuis l’école primaire
jusqu’au lycée -, et bien sûr à tous les professionnels de l’histoire de l’art :
universitaires, chercheurs indépendants, conservateurs, restaurateurs,
galeristes, collectionneurs, critiques, éditeurs...
Cette première édition a connu un réel succès, puisqu’elle a fait venir
environ 15 000 personnes auxquelles étaient proposés non seulement des
conférences, des rencontres-débats, des ateliers, mais aussi un salon du
livre et de la revue d’art, ainsi qu’une riche programmation audiovisuelle.
L’édition 2012 est d’ores et déjà programmée, dans le même lieu et à la
même période de l’année ; elle aura pour thème « les voyages » et pour
pays invité, l’Allemagne.
Le Festival de l’histoire de l’art vient ainsi contribuer à donner un grande
visibilité au travail de fond qui est mené par l’INHA, au service de ce que
nos amis italiens, qui étaient nos invités en mai dernier à Fontainebleau,
appellent le « savoir-voir ».
Je voudrais pour finir me féliciter de ce que nous partagions avec Laurent
Wauquiez autant de sujets qui se situent aux points de rencontre entre la
recherche, la transmission, l’art et la culture. J’évoquerai à ce titre, puisque
nous sommes ensemble ce matin dans un lieu marqué par ces liens,
l’attention que nous portons l’un et l’autre à l’Enseignement supérieur
Culture et à ses écoles, comme vous avez pu le constater dans les propos
de mon collègue. Les écoles supérieures Culture sont désormais
pleinement reconnues au sein de l’Enseignement supérieur, dans le
respect de leurs différences et de leurs spécificités, dans le respect du lien
étroit aux métiers et aux professions qui les caractérise. Elles coopèrent de
plus en plus avec l’Université, notamment au sein des Pôles de recherche
et d’enseignement supérieur. Le texte vous est remis ce matin des actions
que nous souhaitons conduire ensemble pour poursuivre en ce sens.
Notre objectif, c’est tout d’abord de conforter ces démarches, en
approfondissant les partenariats entre établissements ; c’est aussi de
réfléchir ensemble aux évolutions de ces collaborations. Nous avons avec
Laurent Wauquiez décidé de confier à Jean de Saint Guilhem, Inspecteur
général de l’administration de l’Education nationale et de la recherche,
mais aussi ancien directeur d’administration centrale du ministère de la
Culture et de la Communication, une mission sur les évolutions de
l’enseignement supérieur Culture à plus long terme, dans un paysage de
l’Enseignement supérieur français qui est en pleine mutation. Je me réjouis
de cette réflexion dont l’utilité m’est apparue encore plus évidente lorsque
j’ai réuni récemment les directeurs de toutes les écoles supérieures
Culture : elle nous permettra notamment de donner rapidement corps à
une idée qui a fait son chemin, celle de la création d’une Conférence des
écoles supérieures Culture.
Je vous remercie.