Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Cher Roger Hodgson,
Quelle émotion, et quel honneur de vous recevoir.
De vous témoigner, par cette décoration, l’admiration et la reconnaissance de la France : pour votre œuvre, pour votre art, pour votre voix.
Dans ce ministère, nous sommes à quelques pas du Louvre ; nous ne sommes pas loin de l’Opéra Garnier, pas très loin non plus du jardin des Tuileries ; si vous marchez un peu, vous tomberez sur la Concorde, et sur l’Orangerie.
Et pourtant, aujourd’hui, le vrai monument, il est ici.
Un monument du rock : voilà ce que vous êtes, cher Roger.
A la simple évocation du nom de « Supertramp », chacun repense à ce moment précis où il a entendu, pour la première fois, ce son unique : le son de votre musique.
« When I was young, it seemed that life was so wonderful. »
Je me souviens de soirées entières passées à écouter vos chansons, quand j’étais adolescent, comme tant de jeunes, en France et aux quatre coins du monde.
Aujourd’hui, nous célébrons ce son qui ne ressemble à aucun autre.
Et nous célébrons son inventeur : un homme qui ne ressemble à nul autre.
Un créateur passionné, dévoué à son art.
Très tôt, la musique vous appelle, cher Roger.
Dès l’enfance, deux événements vous y mènent.
Le premier, c’est la découverte d’un petit groupe de rock anglais des années 60.
Ils se faisaient appeler, je crois, les Beatles.
Vous grandissez baigné de leurs chansons.
Ils vous montrent tout ce que la musique est capable d’exprimer, toutes les émotions qu’elle est capable de susciter.
Ils vous donnent l’envie de casser les codes. De marquer l’Histoire.
Ils vous donnent l’envie de créer.
Pour véritablement vous lancer, il faut attendre un second événement.
Vous avez 12 ans quand votre père vous donne votre première guitare.
Vous l’emportez avec vous à Stowe School, le pensionnat où vous étudiez, près d’Oxford.
Vous ne prenez pas de cours de musique ; vous apprenez par vous-même.
L’instrument devient votre meilleur ami.
Entre ses six cordes, se dessine votre futur.
Vous le sentez, vous le savez.
Timide, introverti, vous avez un besoin dévorant de vous exprimer.
Avec la musique, vous trouvez un moyen de parler.
Elle devient votre refuge.
Rapidement, vous écrivez vos propres chansons, et vous donnez un concert au pensionnat, avec douze d’entre elles.
Naturellement, c’est cette voie que vous choisissez, à la sortie de l’école.
Vous sortez notamment un titre avec un groupe du nom d’Argosy, où vous côtoyez un certain Reginald Dwight… avant qu’il ne devienne Elton John. Nous sommes en 1969.
La même année, vous répondez à une petite annonce dans le magazine Melody Maker. Vous rencontrez Rick Davies. Et ensemble, vous fondez Supertramp.
Les quatre ou cinq premières années sont rudes : pour aller d’un concert à un autre, je crois même que l’essence était difficile à payer...
Mais vous y croyez. Vous vous obstinez. Vous persévérez.
Et en 1974, tout commence.
Avec « Dreamer », c’est le début du succès.
Un succès qui ne devrait jamais se démentir, de « Give a Little Bit » à « Don’t Leave Me Now », en passant – comment ne pas le mentionner – par « Breakfast in America ».
Vous auriez pu continuer longtemps sur cette lancée.
Mais, en 1982, alors que Supertramp est au sommet, vous estimez que vous avez donné au groupe ce que vous aviez à donner.
Vous écoutez votre instinct, et décidez de vous mettre en retrait ; de changer de vie.
Vous vous installez à la campagne, au nord de la Californie.
Pour apprendre à être un père, plutôt que d’enchaîner les concerts.
C’est tout à votre honneur, cher Roger.
Heureusement pour nous, la musique vous a rattrapé :
Pour trois albums solos – dont « Open the Door » que vous avez enregistré ici, en France, du côté de Nantes.
Pour l’opéra rock « Excalibur » d’Alan Simon.
Et, évidemment, pour les concerts.
Il y a eu ce concert mémorable, en l’honneur de Lady Di, face à 65 000 personnes à Wembley, et face à des millions d’autres devant leurs écrans de télévision.
Et il y a ceux, non moins mémorables, que vous donnez depuis déjà quatre soirs à L’Olympia.
Dans chacun de vos concerts, vous faites revivre le son de Supertramp.
Le son de Supertramp, c’est d’abord le son de votre voix, reconnaissable entre mille.
C’est le son de votre piano Wurlitzer, qui apparaît, telle une signature, dès les premières notes de vos chansons.
C’est aussi le son de l’harmonica de « School » ou « Take the long way home » ; celui de votre guitare sur « Give A Little Bit » ; ou celui des solos de saxophone sur « It’s Raining Again » et « The Logical Song ».
Votre son, cher Roger, c’est celui de vos textes.
Ces textes où se mêlent vos joies, vos peines, vos incertitudes ; la solitude, mais aussi l’espoir d’y remédier par l’amour.
Vous partagez avec nous les questions qui vous hantent.
Vous implorez qu’on réponde à ces mystères qui vous tourmentent.
Vous voulez seulement qu’on vous dise qui vous êtes.
Votre son, c’est celui de vos mélodies : joyeuses, entraînantes, insouciantes.
Vous les créez à l’instinct.
En vous oubliant, en vous abandonnant.
En vous perdant dans le son de l’instrument.
Elles viennent de votre cœur, et s’adressent au nôtre.
Votre son, c’est le son inimitable de « Breakfast in America »… même si je crois que vous lui préférez « Crisis? What Crisis? ».
Merci pour vos huit mois de travail acharné pour l’enregistrer, merci pour vos innombrables nuits passées en studio.
Merci pour cet album et pour la joie qu’il apporte à tous ceux qui l’écoutent.
Un album californien, ensoleillé, drôle et enlevé, introspectif mais léger.
Un album parmi les plus grands, les plus beaux, les plus mémorables que nous ait donnés l’Histoire.
Un album qui, comme ceux des Beatles, cher Roger, nous dévoile un peu plus des possibles de la musique.
En l’écoutant, on se sent un peu plus vivant.
Et l’on comprend un peu mieux la force de cet art.
Votre son, le son de Supertramp, ce n’est pas seulement celui de toute une génération ; c’est celui de toutes les générations.
Quarante ans après « Breakfast in America », vos concerts affichent complets, l’enthousiasme est plus fort encore, et le public plus divers qu’alors.
Vos chansons n’ont pas vieilli : ni leurs paroles, ni leurs mélodies.
Sur elles, le temps n’a pas d’emprise.
C’est le propre des chefs-d’œuvre : ils brillent chaque jour un peu plus que la veille.
Et vos chansons, cher Roger, étincellent.
Alors, pour ce son qui n’appartient qu’à vous…
Pour ces mélodies inoubliables avec lesquelles nous avons grandi ; ces mélodies qui continuent d’accompagner nos vies, et qui continueront à les accompagner encore longtemps…
Pour tout ce que vous avez accompli, et tout ce que vous nous réservez encore…
Cher Roger Hodgson,
Nous vous remettons les insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.