Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Présidentes et Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
« Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? », demandait Paul Valéry dans sa magnifique Petite lettre sur les mythes, il y a 90 ans tout juste.
Que serions-nous s’il n’y avait que le monde matériel, le monde fonctionnel, le monde des choses et des faits ; sans personne pour lui donner une forme, une harmonie, un sens, des couleurs ?
Que serions-nous, en d’autres termes, sans les artistes, les auteurs, les créateurs ?
Ce qu’ils font n’est pas « utile ». C’est indispensable.
Dès mon arrivée rue de Valois, j’ai tout de suite affirmé ma volonté de placer les artistes et les créateurs au cœur de la politique culturelle.
Cette nouvelle perspective est une nécessité. Depuis des années, le ministère s’est concentré sur les questions d’éducation, de diffusion et de conservation, laissant trop souvent les artistes-auteurs à la marge des politiques publiques.
Je veux aujourd’hui les remettre au centre.
Car les premières missions du ministère, celles qui commandent toutes les autres, c’est de donner aux artistes-auteurs les moyens de créer et leur garantir la liberté de le faire.
Créer suppose une certaine capacité de résistance à l’air du temps. Il s’agit d’obtenir tout ce que la société a naturellement tendance à ne pas accorder.
Toutes choses qui sont pourtant nécessaires à la création : la liberté, le temps, la solitude ; et, bien sûr, la juste reconnaissance des artistes et des créateurs et la juste rémunération de leur travail.
Vous connaissez sans doute cette phrase que l’on attribue à John Steinbeck : « Le métier d’écrivain fait apparaître celui de jockey comme une situation stable ». Cette affirmation vaut naturellement pour tous les artistes-auteurs.
Bien entendu, aucun d’entre eux n’a embrassé cette carrière pour la sécurité de l’emploi ou l’assurance du même chèque à la fin du mois. Ils ont choisi la liberté, avec la part d’incertitude et de risques qu’elle implique. Ils vivent avec la pensée que l’échec est possible. Qu’en matière de création, rien ne se passe jamais comme prévu. Que le succès est aléatoire. Et cela, ils l’ont accepté dès le départ.
Depuis ma nomination, il y a plus d’un an, je me suis beaucoup déplacé à la rencontre des artistes-auteurs. Car je crois à l’échange et au dialogue. Je crois à l’action dans le temps long. Je crois que les solutions concrètes, efficaces, se construisent progressivement avec les intéressés. Pas de coup d’éclat permanent, mais de l’écoute, une méthode et des résultats. C’est la condition même du changement.
Ma responsabilité est aussi de mettre l’ensemble des acteurs autour d’une même table et de m’assurer qu’ils se parlent et s’écoutent. Rien de bon ne sortira d’un affrontement entre les artistes-auteurs et les autres acteurs de la filière – je pense à ceux qui les accompagnent dans leur démarche créative, à ceux qui assurent la diffusion des œuvres.
Nul ne peut ignorer que l’acte de création s’inscrit dans une chaîne dont chaque maillon a une utilité. Si nous n’avançons pas unis, tout le monde sera perdant.
Nous devons mieux reconnaître la place des artistes-auteurs dans les filières de création et faire croître la valeur de ces filières.
Quelques mois après mon arrivée rue de Valois, j’ai demandé à Bruno Racine non seulement de dresser un diagnostic sur la situation des artistes-auteurs dans notre société, mais également de formuler des propositions.
Je tiens à le remercier pour son travail d’une remarquable qualité, ainsi que Noël Corbin, Céline Roux et Bertrand Saint-Etienne qui y ont participé de façon décisive.
A peine remis, le rapport de Bruno Racine a été rendu public. Je souhaitais en effet que chacun puisse se saisir de cette contribution. Force est de constater que les réactions ont été nombreuses, les débats nourris, les réactions parfois même excessives. C’est peut-être cela l’art d’être français. Mais à coup sûr c’est ainsi que l’on avance, que l’on construit ensemble.
Le Président de la République a très récemment rappelé, à Angoulême, sa préoccupation quant à la situation des artistes-auteurs. Il a affirmé que nous devions mieux protéger, mieux accompagner dans leurs droits et dans leur quotidien, les femmes et les hommes qui ont décidé de créer et qui sont parfois dans des situations de grande précarité.
Aujourd’hui, le temps de l’action est venu. Les bonnes intentions ne suffisent plus. Un plan d’action pour les artistes-auteurs est prêt.
Il est destiné à toutes et tous :
- à cette compositrice ou à ce sculpteur qui ne peut obtenir une place en crèche, au motif de n’être pas salarié ;
- à ce peintre, qui expose aujourd’hui gratuitement ses œuvres, au mépris du droit de représentation ;
- au poète intervenant dans une école mais qui peine à comprendre les dispositifs qui lui permettent d’être rémunéré ;
- aux plasticiens, aux sculpteurs, aux photographes, aux dessinateurs, aux scénaristes … mais je ne pourrai tous les citer.
Mes propositions poursuivent quatre grands objectifs :
- Sur le plan social : je veux garantir et développer ce que j’appellerai les droits sociaux fondamentaux des artistes-auteurs.
- Sur le plan économique, je souhaite que la puissance publique assume son rôle de médiateur afin d’accompagner l’évolution des modèles. Mais je souhaite également que l’Etat soit exemplaire quand il s’agit de garantir les droits économiques des artistes-auteurs.
- Pour mener à bien tous ces chantiers, nous allons donner aux artistes-auteurs les moyens d’être mieux représentés, mieux associés aux réflexions et négociations sociales qui les concernent directement.
- Enfin, le ministère de la Culture doit repenser son organisation et se doter d’outils d’analyse et de suivi pertinents et efficaces pour accompagner les artistes et les auteurs.
1. Sur le plan social, tout d’abord : je veux donc garantir et développer les droits sociaux fondamentaux des artistes auteurs.
Les artistes-auteurs doivent bénéficier de droits applicables et respectés.
L’heure n’est plus au constat et à l’analyse.
Nous savons aujourd’hui que leurs droits sociaux ne les protègent pas suffisamment. Ils sont fragilisés par des conditions de création qui se sont très largement modifiées en quelques années.
Le rôle de l’Etat est d’apporter des réponses.
Depuis de nombreux mois, les services de l’Etat réunissent l’ensemble des associations professionnelles et des syndicats, dans le cadre d’une concertation portant sur les questions sociales.
Au terme d’un dialogue interministériel nourri, un décret sera rapidement présenté aux artistes dans le cadre de cette concertation.
Il traduira avec plus de pertinence la réalité et la diversité de leurs revenus. Il simplifiera l’ouverture de droits sociaux. Ce décret évitera notamment à un grand nombre de créateurs de relever de plusieurs régimes de protection sociale, ce qui est par nature source de complexité.
En voici deux applications concrètes :
- le champ des activités principales sera étendu, en y incluant notamment la direction de collection, comme je m’y étais engagé ;
- le plafond de revenus issus des activités accessoires sera augmenté de 50 % par rapport au plafond actuel.
C’est un geste important qui démontre les choix volontaristes du Gouvernement en faveur des artistes-auteurs.
J’en viens à présent au sujet des retraites.
Le décret, tant attendu, relatif au RAAP, le régime de retraite complémentaire obligatoire des artistes-auteurs, entrera en vigueur très rapidement. Il traduira les termes de la concertation engagée à ma demande et qui a associé artistes-auteurs et producteurs dans les secteurs de l’audiovisuel et du cinéma. Il permettra la prise en charge par les producteurs d’une part des cotisations salariales.
Je connais par ailleurs les nombreuses inquiétudes suscitées par la réforme des retraites actuellement en débat à l’Assemblée.
Je veux d’abord souligner que le projet de loi instituant un système universel de retraite présenté par le Gouvernement prévoit bien des dispositions adaptées aux artistes-auteurs.
Dès le texte initial, une prise en charge par l’Etat de la part patronale pour l’ensemble des revenus artistiques était prévue. Toutefois, les concertations menées avec les artistes-auteurs ces dernières semaines ont mis en évidence le besoin d’adapter le texte encore davantage.
Nous devons être en mesure de mieux tenir compte de la grande variabilité des revenus artistiques d’une année sur l’autre, et de l’existence de dispositifs particuliers de prise en charge de cotisations salariales. Nous devons également être vigilants à la situation des dispositifs de retraites complémentaires propres à chaque branche professionnelle.
Grâce aux concertations, le Gouvernement a souhaité compléter le projet de loi.
Voici les évolutions que j’ai souhaité porter :
- Un dispositif de lissage des revenus sera prévu. Il doit permettre aux artistes-auteurs de bénéficier de la prise en charge de la part patronale, y compris les années lors desquelles leurs revenus auraient dû leur faire perdre cet avantage. Ce dispositif sera inscrit dans le projet de loi de finances pour la sécurité sociale ;
- Certains dispositifs de prise en charge d’une fraction de la part salariale par des tiers seront maintenus, comme celui de la Sofia pour le livre, ou celui que nous mettons en place pour l’audiovisuel et le cinéma avec le décret RAAP ;
- Un amendement au projet de loi retraites a été déposé en ce sens par le Gouvernement, renvoyant à une ordonnance spécifique ;
- Les taux de cotisation actuels seront maintenus pour les artistes-auteurs dont les revenus sont supérieurs à une fois le plafond de sécurité sociale. Grâce à ce dispositif, il n’y aura pas de baisse d’acquisition de droits pour celles et ceux qui ont des revenus supérieurs à ce plafond ;
- L’IRCEC, caisse de retraite complémentaire des artistes-auteurs, continuera d’exister au-delà de 2025. C’est le sens d’un amendement au projet de loi que le rapporteur vient de déposer. Je tiens à redire que toutes les réserves qui existent au sein des caisses autonomes continueront à appartenir à celles et ceux qui les ont constituées.
Enfin, je tiens à rassurer les artistes-auteurs qui ont à la fois des revenus salariés et des revenus artistiques.
Le texte actuel prévoit que la prise en charge par l’Etat de la part de cotisation patronale, dans la limite d’un plafond de sécurité sociale, s’applique indépendamment du montant des revenus salariaux, dès lors que la somme totale des revenus reste inférieure à trois fois le plafond de la sécurité sociale – qui est le plafond de droit commun du futur régime universel de retraite.
Au-delà du sujet des retraites, d’autres dossiers importants pour la situation sociale des artistes-auteurs doivent aboutir dans les prochains mois :
- Je souhaite que nous puissions achever la fusion de l’AGESSA et de la Maison des Artistes avant la fin de l’année 2020 ;
- Je souhaite également finaliser nos discussions avec le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse concernant la rémunération des artistes-auteurs quand ils interviennent dans le cadre scolaire. Je tiens à cet égard à remercier Jean-Michel Blanquer et l’ensemble de son administration pour leur écoute et mobilisation sur ce sujet.
Ces travaux, comme toutes les propositions que je présente devant vous ce matin, devront être conduits avec méthode et efficacité. Je serai très vigilant quant au respect du calendrier.
Voilà donc les mesures structurantes qui seront prises pour réaffirmer les droits sociaux fondamentaux des artistes-auteurs.
Avant de clore le volet social de mes propositions, je tiens à évoquer avec vous l’Agessa.
Certains auteurs ont cru de bonne foi qu'ils avaient par le passé cotisé à l’Agessa pour leur retraite.
Aujourd’hui certains artistes-auteurs découvrent qu'il leur manque des années de cotisations, et qu'ils ont de ce fait une pension réduite.
Cette situation était connue depuis plusieurs années et n’a été traitée structurellement que depuis le 1er janvier 2019, à la faveur du transfert de la collecte des cotisations vers l’Acoss.
Je déplore évidemment ces carences, ces manquements qui engendrent des difficultés personnelles pour les artistes-auteurs.
Bon nombre des personnes concernées ont été incitées à s’affilier à l’Agessa. Force est de constater que les relances réalisées depuis 2015 n’ont pas rencontré le succès espéré. Un dispositif pour les cotisations non prescrites a aussi été mis en place de 2016 à 2018.
En 2016, le Gouvernement a ouvert la possibilité de régularisation de cotisations d’assurance vieillesse prescrites, afin de reconstituer la carrière des artistes-auteurs et de les rétablir équitablement dans leurs droits.
Pour l'avenir, le Gouvernement a remédié à cette situation inacceptable en transférant le recouvrement de cette cotisation à l'Urssaf, et en affiliant tous les auteurs à la sécurité sociale dès le premier euro, de manière automatique.
Toutefois, je n’ignore pas le désarroi de celles et ceux qui se trouvent aujourd’hui confrontés à cette situation. Je souhaite que leurs demandes soient traitées avec rapidité, efficacité et bienveillance. Pour ce faire, je demande à l’Agessa de mettre en place une cellule d’accompagnement qui traitera au cas par cas les situations individuelles. Je souhaite être régulièrement informé des suites qui seront ainsi données, afin de m’assurer que les réponses apportées par l’Agessa aux artistes-auteurs en difficulté sont adaptées. Je m’entretiendrai prochainement avec mon nouveau collègue Olivier Véran sur ce sujet.
J’en viens à présent au deuxième volet de mon plan d’action.
2. Nous devons faire évoluer les modèles pour améliorer la situation économique des artistes-auteurs.
L’Etat a pour rôle fondamental d’être le garant du droit d’auteur, dont les principes essentiels sont d’ailleurs d’ordre public. Le but du droit d’auteur est de protéger le lien qui unit l’auteur à son œuvre. De protéger le créateur, car c’est bien lui qui est à l’origine de la richesse issue de l’exploitation de son œuvre.
Aujourd’hui, le partage de la valeur entre les créateurs des contenus culturels et ceux qui les diffusent ou les produisent demeure déséquilibré. Je pense par exemple à de grands acteurs du numérique qui génèrent d’importants revenus sans contribuer ni au financement des œuvres qu’ils diffusent, ni à la rémunération de leurs créateurs. Ce n’est pas acceptable.
Vous le savez, sous l’impulsion du Président de la République, tout le Gouvernement s’est mobilisé dans la bataille pour l’adoption de la directive sur le droit d’auteur l’année dernière. Nous nous sommes battus pour que, face à cette évolution des rapports de force entre les acteurs, la rémunération proportionnelle des artistes-auteurs soit reconnue au niveau communautaire. C’est une grande victoire collective, dans laquelle la France a joué un rôle moteur et décisif.
Au-delà de la consécration de ce principe, cette directive comporte des avancées très concrètes au bénéfice des artistes-auteurs. Elles seront transposées, pour les artistes-auteurs dépendant de ces secteurs, dans le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique que je défendrai au Parlement dans les toutes prochaines semaines :
- Ce projet de loi intègrera dans notre droit des obligations renforcées de transparence dans la reddition des comptes. Cette obligation concernera notamment les plateformes. Un compositeur, tout comme un interprète par ailleurs, pourra ainsi savoir combien de fois sa musique a été écoutée en « flux » ;
- Le projet de loi consacrera la possibilité pour tout auteur de demander la résiliation de plein droit de tout ou partie du contrat en cas d’absence totale d’exploitation de son œuvre ;
- Il introduira également un mécanisme de réajustement de la rémunération des artistes-auteurs, dans les cas où la rémunération initialement convenue dans le contrat est exagérément faible par rapport aux revenus tirés de l’exploitation de l’œuvre.
En outre, ce projet de loi permettra d’imposer aux plateformes le respect du droit moral. Il fera obstacle aux tentatives de contournement de cet aspect essentiel du droit d’auteur « à la française » ; je pense en particulier à la question du « montage final » en bon français (« final cut »).
Plus généralement, le rapport de Bruno Racine a mis en lumière l’épineuse question du partage de la valeur.
J’appelle les acteurs des différentes filières créatives à saisir cette opportunité, se réunir et trouver les voies et moyens pour accéder à des solutions satisfaisantes pour tous.
Il s’agit à mon sens de répondre à deux enjeux : en premier lieu renforcer les chaines de création pour générer plus de valeur et en second lieu répartir cette valeur de façon équitable entre tous les acteurs.
Ces questions se posent de manière singulière pour chaque secteur de la création artistique. Il n’y aurait aucun sens à vouloir apporter une réponse globale, unique et uniforme aussi bien à la filière du livre, de la musique, des arts visuels ou encore de l’audiovisuel et du cinéma.
Le ministère de la Culture assumera pleinement son rôle de médiateur. Mais il ne lui revient pas de se substituer aux acteurs du secteur, qui doivent agir en responsabilité.
J’estime que mon rôle est de veiller à ce que ces discussions aient lieu dans un cadre constructif, apaisé et selon un calendrier déterminé.
La remise à plat des modalités du partage de la valeur ne doit pas rester lettre morte. Car c’est l’amélioration des conditions matérielles de création des artistes-auteurs qui est en jeu, ainsi que la légitime reconnaissance de leur travail.
Au sein de ce débat se posera la question du juste équilibre entre la rémunération de l’acte initial de création et l’intéressement de l’artiste-auteur aux recettes d’exploitation. A cette équation complexe s’ajoutent de nombreux facteurs : celui de la nécessaire prise de risque qui concerne tout autant le créateur que son producteur ou son diffuseur. Mais aussi celui du volume et de la diversité de la production, intimement liés à la sauvegarde de notre exception culturelle. Ce sont aussi l’efficacité et l’adéquation des politiques publiques avec ces nouveaux modèles qui devront être questionnées.
Tous ces sujets doivent être discutés au sein de chaque secteur, au moyen de négociations collectives.
La possibilité d’extension des accords conclus, qui existe déjà dans certains secteurs (livre, cinéma et audiovisuel), pourra être examinée pour qu’elle soit appliquée à d’autres filières ou à d’autres sujets.
Pour alimenter ce débat que j’appelle de mes vœux, je demanderai au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) d’évaluer l’opportunité d’un encadrement du contrat de commande dans le Code de la propriété intellectuelle et dans le Code de la sécurité sociale. S’il y a lieu, il se prononcera sur les modalités de sa mise en œuvre dans différents secteurs de la création.
Le contrat de commande doit être un outil de protection des créateurs et non une remise en cause du droit d’auteur.
Voilà le cadre dans lequel les négociations doivent s’ouvrir au plus vite.
Mieux protéger les artistes-auteurs, c’est aussi veiller à ce qu’ils soient formés aux aspects économiques et juridiques de leurs futures carrières. Il est essentiel que tous aient connaissance de l’organisation économique de leur secteur, de leurs droits et des opportunités offertes par notre système.
Ainsi, le prochain contrat d’objectifs et de performance de La Fémis prévoira un enrichissement du cursus des étudiants en ce sens. C’est déjà le cas dans plusieurs écoles supérieures d’art.
Nous veillerons à généraliser rapidement ce type de modules de professionnalisation dans toutes les écoles de l’enseignement supérieur Culture.
En étant mieux connus, les droits fondamentaux des artistes-auteurs seront mieux appliqués, mieux respectés par tous.
J’en viens à présent à l’action que va mener l’Etat pour renforcer son soutien économique aux artistes-auteurs.
Ce soutien va s’accroître, dans le secteur du livre, par le développement des aides versées aux auteurs. Le Président de la République a rappelé cet engagement lors du festival international de la bande dessinée à Angoulême.
Le CNL a d’ores et déjà engagé cette progression. Ainsi, entre 2017 et 2018, les aides directes aux auteurs ont augmenté de 20% et, à nouveau, de 21% l'an dernier pour atteindre 3,4 M€. Cet effort doit se poursuivre dans les années à venir à un niveau significatif. L'allocation d’1M€ à 1,5M€ supplémentaires me paraît souhaitable dès 2020.
Les auteurs de livres ne sont pas les seuls concernés :
- La musique a désormais son centre national. Dès 2021, le CNM disposera de programmes d’aides dédiés spécifiquement aux artistes-auteurs.
- Il en sera de même pour les arts visuels au Centre National des Arts Plastiques (CNAP), pour les auteurs dramatiques au Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARCENA) et pour les chorégraphes au Centre National de la Danse (CND).
- La revue générale des soutiens à laquelle le Centre National du Cinéma (CNC) procèdera cette année sera aussi l’occasion d’examiner l’opportunité d’octroyer davantage d’aides directes aux auteurs mais aussi de subordonner les aides à la production à un budget minimal consacré à l’écriture des œuvres et au développement.
Je soutiens également la recommandation de Bruno Racine d’organiser en France une grande manifestation de promotion de l’art contemporain. J’ai confié à la Présidente du Palais de Tokyo, Emma Lavigne, le soin de mettre en œuvre cette mesure.
De même, le versement des aides publiques doit donc être conditionné au respect des règles et bonnes pratiques qui concernent les artistes-auteurs, qu’il s’agisse par exemple des questions de rémunération ou de la place des femmes.
L’Etat se doit aussi d’être exemplaire en matière de droit de représentation. J’adresserai prochainement un courrier aux établissements publics du ministère de la Culture et aux Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) pour rappeler le nécessaire respect de ce principe qui n’est pas facultatif.
Toutefois, des actions ont déjà été mises en œuvre pour favoriser la bonne application du droit de représentation. Les aides publiques versées par le CNL pour « BD 2020 » au bénéfice des festivals de bande dessinée sont conditionnées au paiement de ce droit dans le cadre des expositions.
Enfin, pour finaliser la structuration de la filière des arts visuels, marquée l’année dernière par la création du Conseil National pour les Professions des Arts Visuels (CNPAV), je souhaite que soit étudiées les modalités de création d’un médiateur pour les arts visuels. Nous travaillerons également, en lien avec le Conseil des territoires pour la culture, sur le 1% artistique et le programme « Un immeuble une œuvre ».
Un dernier mot, pour vous parler de neuvième art et de la question des dédicaces.
Les débats, les lectures, les ateliers auxquels participent les auteurs de BD enrichissent la relation avec le public et la qualité des festivals. C’est pourquoi je souhaite que les festivals s’engagent dans une programmation qui donne plus de place à la participation des auteurs.
A partir de 2020, les manifestations de BD accompagnées par le Centre national du livre (CNL) se verront proposer un partenariat pluriannuel visant à densifier leur programmation culturelle. Pour les manifestations qui s’engageront dans ce partenariat, le CNL assumera une partie du montant qui sera versé aux auteurs pour les activités artistiques de dédicaces, sur la base d’un forfait journalier.
De façon exceptionnelle, dans le cadre de BD 2020, le CNL proposera également aux éditeurs et aux libraires qui invitent des auteurs dans les festivals partenaires du CNL de s’associer à une mesure de co-financement de l’activité artistique de dédicace.
C’est une main tendue de l’Etat pour expérimenter de nouveaux modèles avant d’en tirer les conséquences.
3. Pour mener à bien tous ces chantiers, nous allons donner aux artistes-auteurs les moyens d’être mieux représentés, mieux associés aux réflexions et négociations qui les concernent directement.
Cette question est centrale. Elle conditionne notre capacité collective à répondre aux difficultés économiques et sociales des artistes-auteurs.
Il est indispensable que la totalité des filières de la création dispose dès que possible d’une représentation des auteurs qui soit légitime et incontestable.
Pour que les spécificités des artistes-auteurs soient entendues dans les réformes sociales actuelles et à venir, nous avons besoin d’une instance transversale de dialogue social : c’est l’idée du Conseil national des artistes-auteurs proposée par Bruno Racine.
Au sein de cet organe, la représentativité s’appuiera sur les critères les plus pertinents à chaque métier et tiendra compte de la contribution à la création, qui peut varier d’une discipline à une autre.
Des élections devront avoir lieu dès que possible dans tous les secteurs où cela semblera opportun. Je souhaite que l’on se fixe comme objectif le second semestre 2021.
Les représentants ainsi choisis seront les interlocuteurs privilégiés de la puissance publique dès que de grands chantiers sociaux seront lancés.
Cette représentation n’exclut évidemment pas les organismes de gestion collective, qui continueront à avoir toute leur place. Ils jouent un rôle essentiel dans la défense des intérêts matériels et moraux des artistes-auteurs.
Ces partenaires incontournables continueront donc à être associés, aux côtés de l’ensemble des parties prenantes, aux négociations relatives à la rémunération et aux conditions de travail des artistes-auteurs.
Il est de ma responsabilité de faire en sorte que toutes les compétences soient réunies autour de la table, que toutes les revendications soient écoutées.
Je serai également attentif à la question du financement des organisations représentatives. Défendre les intérêts des artistes-auteurs, cela demande du temps et des moyens.
Mais je ne suis pas favorable à l’idée d’un financement obligatoire par les organismes de gestion collective. Une réflexion devra donc être engagée pour trouver des solutions satisfaisantes et pérennes. J’appelle tous les acteurs à l’esprit de responsabilité sur ce sujet.
Je connais les attentes des artistes-auteurs en matière de représentation. Nous devons être volontaires, efficaces et déterminés.
Compte tenu de la complexité de ce sujet, le calendrier qui s’impose à nous est le suivant : les services du ministère de la Culture travailleront avec le ministère du Travail – dont je salue l’engagement sur cette question – avec l’objectif d’aboutir à un dispositif juridique stabilisé à la fin de l’année 2020. Ainsi, les textes nécessaires pourront être élaborés dès que possible.
Dans l’attente de la désignation effective des représentants des artistes-auteurs pour tous les secteurs, je propose que l’actuel groupe de concertation sociale demeure l’instance au sein de laquelle les différents chantiers sociaux en cours seront discutés.
4. Le dernier volet qu’il me reste à vous présenter concerne l’évolution de l’organisation du ministère de la Culture, au service d’un pilotage et d’un suivi plus efficaces de la situation des artistes-auteurs.
Nombreux sont les artistes-auteurs à me faire part de leur impression qu’au sein du ministère de la Culture, leur parole n’a pas d’écho. Que leur parole se perd, faute d’un point d’ancrage bien identifié.
Pourtant, l’ensemble du ministère est à l’écoute mais nous sommes également conscients de nos difficultés à appréhender les problématiques qui concernent l’ensemble des artistes-auteurs.
Le ministère de la Culture, son administration centrale, ses services déconcentrés (les DRAC), et tous ses opérateurs doivent donc faire évoluer leur organisation. C’est pourquoi j’ai souhaité que cette question fasse l’objet d’une attention particulière dans le plan de transformation ministériel que j’ai engagé – et qui va entrer en application avant l’été. Il s’agit de renouveler notre regard, notre écoute, nos pratiques pour renforcer notre lien avec les artistes-auteurs et mieux les accompagner dans leurs parcours.
A compter du 1er septembre prochain, chaque opérateur sectoriel sera doté d’un « référent artistes-auteurs ». Certains le sont déjà. Mais tous seront désormais concernés : le Centre national du livre (CNL), le Centre national de la musique (CNM), le Centre national de la danse (CND), le Centre national du cinéma (CNC), le Centre national des arts plastiques (CNAP) ou encore le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (l’ARCENA).
Ce référent sectoriel, familier des conditions de création, sera l’interlocuteur dédié des artistes-auteurs. Il aura pour mission de les informer et de les orienter pour trouver les réponses les plus adéquates et les plus efficaces. Car les opérateurs du ministère de la Culture ont aussi pour mission d’être des facilitateurs de carrières.
Les directions centrales du ministère (DGCA, DGMIC, CNC), conserveront la responsabilité de la conception des politiques publiques de leurs secteurs respectifs. Elles s’appuieront sur leur connaissance approfondie des enjeux économiques et culturels de chaque filière créative et sur le dialogue avec les organisations collectives. Elles assureront également un pilotage continu avec les opérateurs qui auront mis en place leurs « référents artistes-auteurs ».
Je souhaite aussi que l’organisation du ministère de la Culture garantisse la cohérence et la coordination de l’action publique en faveur des artistes-auteurs. A défaut, toute politique d’ensemble se trouverait condamnée à la dilution, et donc à l’inefficacité.
Pour que les artistes-auteurs soient au centre de nos réflexions, j’ai décidé de créer au sein de la Direction générale de la création artistique (DGCA) une entité spécifique en charge du parcours de l’artiste et du créateur. Elle aura une compétence sur l’ensemble du champ ministériel et sera l’interlocuteur privilégié pour le dialogue interministériel.
Cette équipe se consacrera au suivi de la situation des artistes-auteurs, et pilotera les questions liées au parcours des artistes et à l’emploi artistique. Elle coordonnera les compétences et les expertises indispensables pour répondre à ces questions transversales et complexes (fiscales, sociales et juridiques).
Les DRAC, premiers points de contact des artistes-auteurs dans nos territoires, seront également mobilisées. Elles seront plus encore qu’aujourd’hui des relais d’information indispensables pour faire remonter les questions des artistes-auteurs, mais également pour diffuser l’information et expliquer les solutions.
Enfin, parce que ma détermination est totale pour changer concrètement les conditions de création des artistes-auteurs, je nommerai prochainement au sein de mon Cabinet un conseiller chargé de la mise en œuvre et du suivi de tous les chantiers que je viens de vous décrire.
Nous allons ainsi fédérer les forces et les énergies du ministère de la Culture pour renforcer sa capacité à élaborer des politiques sociales d’ensemble, et à les porter dans le cadre du dialogue interministériel.
En effet, le ministère de la Culture n’est pas seul à être mobilisé.
La mise en œuvre des propositions que je vous ai exposées se construira dans le dialogue avec les autres ministères concernés : le ministère des Solidarités et de la Santé, le ministère de l’Action et des Comptes publics, le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse ou encore le ministère du Travail, sous l’autorité du Premier ministre.
J’ai d’ores et déjà sensibilisé mes collègues qui m’ont confirmé leur engagement à mes côtés.
Les nombreux échanges intervenus lors des réunions de concertation avec les artistes-auteurs ont mis en évidence la nécessité d’identifier, dans chacun de ces ministères, un coordonnateur des sujets relatifs aux artistes-auteurs.
Il faut en effet s’assurer que les problématiques spécifiques rencontrées par les artistes-auteurs soient bien identifiées et comprises par l’ensemble des administrations. En somme, il faut s’assurer que nous parlons tous le même langage, celui des artistes-auteurs.
Je souhaite que ce dialogue puisse aboutir, à moyen terme, à la création d’un outil d’information accessible et simple. Une interface de communication commune à destination des artistes-auteurs, apportant l’ensemble des renseignements utiles en début, en cours et en fin de carrière.
Les récentes difficultés qui sont apparues dans le cadre de la collecte par l’URSSAF de l’ensemble des cotisations et contributions sociales dues par les artistes-auteurs démontrent la nécessité de mieux nous organiser.
De concevoir des outils souples et adaptés. Il s’agit, disons-le, d’un vrai défi pour la puissance publique. Mais nous devons le relever.
Je tiens à saluer et remercier mon ancienne collègue Agnès Buzyn et ses services pour leur écoute et leur réactivité dans la gestion de ces problèmes techniques et humains qui sont un motif légitime d’inquiétude pour les artistes-auteurs.
Les trois propositions que j’ai présentées à la fin de l’année dernière ont ainsi pu être mises en œuvre rapidement, qu’il s’agisse du message de clarification de l’Acoss, de la prorogation des paiements au 29 février et de leur possible modulation, ainsi que la mise en place d’un groupe de suivi associant les artistes-auteurs et l’URSSAF.
Je veux redire ici que nous restons collectivement mobilisés pour corriger tous les dysfonctionnements qui perdureraient.
Un dernier enjeu important reste à aborder : celui de l’observation statistique de la situation des artistes-auteurs. Aujourd’hui, comme le souligne le rapport de Bruno Racine, je constate que les informations chiffrées dont nous disposons collectivement sur la création et ceux qui y participent sont trop éparses ou parcellaires ; elles ne sont pas suffisamment exhaustives et fiables. Disposer d’une image nette et sans angle mort est pourtant un enjeu de taille. Sans suivi statistique, économique et sociologique fiable, la puissance publique se prive des moyens d’appréhender la totalité des problèmes soulevés par la situation des artistes-auteurs.
Je souhaite donc doter le ministère d’un baromètre complet sur la situation sociale des artistes-auteurs.
Cet instrument devra notamment nous permettre d’identifier les facteurs d’inégalités parmi les artistes-auteurs selon l’origine sociale, géographique ou le sexe.
A court terme, le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture, le DEPS, mettra à jour les chiffres fondés sur l’exploitation des bases de l’Agessa-MDA et demain de l’ACOSS, soit environ 260 000 artistes-auteurs.
En outre, pour affiner notre analyse et répondre aux demandes qui se font jour, j’ai demandé à ce que soient identifiées rapidement les problématiques qui ne sont pas suffisamment traitées dans les études dont nous disposons aujourd’hui.
Une étude portant sur la question du partage de la valeur dans le secteur de la photographie sera lancée.
Parce que le secteur de la photographie a été profondément bouleversé par la révolution numérique, il est nécessaire d’étudier les enjeux de partage de la valeur dans cette filière, et d’évaluer les dispositifs publics de financement de la production et de la diffusion des œuvres. L’étude qui sera réalisée permettra d’adapter nos politiques publiques dans ce champ.
Mesdames et Messieurs,
En arrivant dans ce ministère, j’avais la conviction qu’il fallait remettre au centre de nos politiques les artistes et les créateurs.
En vous écoutant, il m’est vite apparu que les artistes-auteurs étaient trop longtemps restés en marge de nos politiques publiques.
C’est pourquoi j’ai demandé ce rapport à Bruno Racine. Je le remercie à nouveau pour cette importante contribution.
Aujourd’hui, je vous propose un plan d’action d’une ampleur sans précédent.
Il prend en compte la situation des artistes-auteurs dans sa globalité.
Il apporte des réponses concrètes dans chacun des champs d’action identifiés.
Il fixe un calendrier exigeant mais réaliste.
Sa réalisation repose sur la concertation et la négociation.
Je prendrai toute ma responsabilité dans la réalisation de ce plan. Mais je n’y arriverai pas seul. J’appelle tous les acteurs, de toutes les filières de création, à se saisir de cette opportunité.
La France a su inventer un modèle culturel unique. Elle est une terre d’artistes que l’on regarde.
Elle a toujours su anticiper les mouvements du temps pour préserver la liberté et la diversité de la création.
Je vous propose aujourd’hui une nouvelle étape majeure.
Je vous remercie.