La carte de la diplomatie culturelle est en train de changer en profondeur.
Elle n'est plus seulement le fait de quelques vieilles nations, dont la nôtre,
soucieuses de promouvoir une attractivité symbolique ; elle est désormais
rejointe par des puissances que l'on s'obstine encore, par commodité, par
habitude voire peut-être par déni de réalité, à appeler « émergentes ». Les
vieilles puissances n'ont plus le monopole du « soft », et c'est tant mieux.
Soumise aux contraintes budgétaires, notre diplomatie culturelle doit
désormais prendre en compte le développement des réseaux numériques,
qui multiplient les points d'accès à notre offre culturelle, les modalités de la
prescription, celles de la médiation.
La France dispose d'avantages considérables pour renouveler sa
diplomatie culturelle. La taille et la qualité de son réseau culturel à
l'étranger en sont une : ses services culturels, les Alliances, les Instituts, et
désormais un nouvel établissement qui est en train de leur donner un
nouveau souffle, l'Institut Français. Notre autre longueur d'avance, c'est
l’importance que l’État accorde en France à la Culture. En proie à la crise
économique et financière, la France, à la différence de bon nombre de ses
partenaires européens, a fait le choix de ne pas traiter le budget de la
Culture et de la Communication comme une variable d'ajustement. Si nous
participons nous aussi à l'effort de rigueur budgétaire, nous avons
maintenu l'essentiel de nos moyens, au service de domaines que nous
considérons comme essentiels à la transmission de nos valeurs, à
l'attractivité de nos territoires, au développement aussi de nos industries
culturelles.
Dans des domaines dits « classiques » de notre action culturelle, comme
la muséographie, l’architecture, la restauration du patrimoine, l’ingénierie
culturelle, le spectacle vivant, j'ai pu mesurer, lors de mes nombreux
déplacements internationaux, combien la France demeurait une référence.
Les déclinistes de tout poil auront tôt fait d'y voir les restes éparts d'un
capital symbolique acquis, à l'heure où la francophonie serait menacée, et
où le mainstream des industries créatives prendraient le dessus...
Seulement voilà, je ne crois pas aux queues de comète.
Ces dernières années, l’action internationale de nos grands établissements
publics s'est considérablement développée. Nos scènes nationales et nos
grands orchestres sont ainsi plus que jamais amenés à travailler à
l’étranger, les collections de nos grands musées circulent dans le monde
entier, la Bibliothèque Nationale de France multiplie les partenariats avec
ses homologues. L’Institut National de l’Audiovisuel est aujourd’hui une
référence internationale ; le Centre National de la Cinématographie et de
l’image animée développe les accords de coproduction ; le Louvre d’Abu
Dhabi est un projet sans précédent. J'y vois difficilement les traces d'un
déclin annoncé.
Le Président de la République l’a encore exprimé avec vigueur récemment
à Avignon : la place de la culture dans notre société n’est pas négociable,
elle est un bien de première nécessité - parce qu'elle est la colonne
vertébrale de la vie de la Cité, qu'elle constitue la part de rêve et
d’imaginaire, de créativité, d’identité que chacun peut s’approprier ; parce
qu'elle joue aussi un rôle d’indiscutable cohésion sociale, et qu'elle
participe pleinement du champ économique. L’image culturelle de notre
pays dans le monde est largement empreinte de cette perception de
l’engagement ancien et du sens de la responsabilité des pouvoirs publics
dans le domaine culturel - engagement qui s’est perpétué, et cela est très
heureux, au fil des évolutions politiques.
Je voudrais revenir avec vous sur ce qui, à mes yeux, pourrait constituer
quatre grandes priorités de notre diplomatie culturelle : la part des
créations françaises sur les scènes artistiques internationales et le marché
des industries culturelles ; la capacité de la France à accueillir et mettre en
valeur les cultures étrangères ; la promotion des perspectives françaises
en matière de politique culturelle, à une heure où les modèles
économiques et les usages connaissent une transformation majeure avec
le numérique ; la place de la culture dans les programmes d'aide au
développement.
I. Notre action internationale, celle du ministère des Affaires étrangères et
européenne et l'Institut Français, celle du ministère de la Culture et de la
Communication et ses établissements publics, vise à accroître la part
qu'occupent les créations françaises sur les scènes artistiques et sur le
marché des industries culturelles à l'étranger.
En matière musicale, la présence d'artistes français sur les grands
festivals internationaux de musiques actuelles atteignent des niveaux
records, notamment au Japon, en Grande Bretagne et aux États-Unis. La
volonté de développer un réseau de relais spécialisés du spectacle vivant
et des arts plastiques dans les pays prescripteurs, portée par le milieu
professionnel dans la suite des Entretiens de Valois et des Entretiens des
Arts Plastiques, peut s'appuyer sur l’expérience positive du Bureau export
de la musique française et de ses cinq antennes. L'objectif de ces
bureaux, qui ont vocation à fonctionner en réseau, est d'offrir de nouveaux
débouchés aux artistes français et de favoriser la mobilité des productions.
Pour sa part, mon ministère poursuit son soutien aux dispositifs existants à
Berlin (danse et théâtre, arts plastiques) et à New York (arts visuels et
spectacle vivant), ainsi qu’aux nouveaux bureaux crées en 2011, à
Londres pour les arts plastiques et à Rome pour le théâtre et la musique.
À titre d'exemple, la mise en place d’une structure légère au sein de
l’Institut français de Rome doit faciliter, sur le modèle berlinois, les
programmations croisées. Cette année, le nouveau bureau romain a ainsi
pu mettre en oeuvre les cycles « Suona francese » et « Suona Italiano »,
opérations de diffusion croisée entre la France et l’Italie en partenariat
avec les structures de diffusion et les conservatoires français, avec le
soutien de nos deux ministères, et je viens à ce titre de signer avant-hier à
Rome un accord avec mon homologue italien.
D’une façon générale, l’expertise de la France en matière d’ingénierie
culturelle constitue une véritable valeur ajoutée au niveau international :
des évènements pensés par les pouvoirs publics (État ou Collectivités
locales) comme la Fête de la musique, la Nuit Blanche ou la Folle Journée
de Nantes sont régulièrement repris, transformés, transposés par nos
partenaires étrangers, souvent avec le soutien de l'Institut Français.
Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de déséquilibre entre la
diffusion de nos équipes vers l’étranger et l’accueil en France des
productions étrangères ; le travail de nos équipes et de nos artistes se
diffuse plutôt bien, en particulier vers l’Europe. La formation et l’information
des professionnels tout autant qu’une coopération renforcée entre réseaux
professionnels français et étrangers sont les clefs d’une meilleure diffusion.
Dans le domaine du cinéma, le CNC, UNIRANCE, en lien avec nos postes
oeuvrent à la diffusion de notre cinéma et à son rayonnement international.
Dans le domaine patrimonial, j'ai voulu engager un grand projet
d'exposition itinérante dans des pays identifiés comme stratégiques:
« Plaisirs de France ». La France se doit d’être présente dans des pays à
l'influence croissante comme par exemple l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan.
Ce sont ces deux pays qui ont été choisis pour organiser au printemps
2012 une exposition itinérante inédite et unique par son envergure,
donnant un panorama de la création et les idées françaises de la
Renaissance à nos jours, avec des oeuvres issues des collections des plus
grands musées français. Elle sera présentée au Musée des Beaux Arts de
Bakou puis au Musées des beaux-arts d’Almaty.
En ce qui concerne l'exportation du savoir-faire de nos architectes, depuis
1996, le ministère de la Culture et de la Communication accompagne les
efforts de la profession, en veillant au développement et à l'adoption des
mécanismes financiers existants. La stratégie de l'association des
Architectes français à l'export est de cibler ses actions sur des pays à fort
potentiel de développement, comme le Brésil, la Chine ou le Vietnam.
II. La France offre dans le domaine culturel une expertise et une
coopération largement reconnues ; elle joue un rôle majeur dans la mise
en valeur et la promotion des cultures étrangères. C'est l'une des
dimensions essentielles de notre action internationale.
Dans le domaine du cinéma, nous portons une attention particulière aux
producteurs et distributeurs étrangers, ou au renouvellement des liens
entre nos professionnels, comme l'illustrent le projet d'une nouvelle
académie franco-russe du cinéma, la célébration à Cannes du 10ème
anniversaire du mini traité franco-allemand en matière de cinéma, le
soutien direct aux distributeurs étrangers, l’octroi d’aides financières
sélectives aux distributeurs étrangers désirant sortir commercialement des
films français, ou encore accords de coproduction cinématographique.
Via l’Institut Français et l’Office national de diffusion artistique, mon
ministère soutient les dispositifs d’invitation des professionnels étrangers.
Au coeur de cette mise en valeur des cultures étrangères, le dispositif des
Saisons culturelles occupe évidemment, depuis plus de vingt ans, une
place majeure. Ce label reconnu et recherché sur le plan international,
permet à la France de relancer, par la coopération culturelle, une
diplomatie parfois freinée. Les Saisons, qui sont organisées en étroite
collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et l’Institut français,
sont l’occasion de nouer avec les pays accueillis une coopération dans un
grand nombre de secteurs, qui dépassent aujourd’hui le seul domaine
culturel. La relance du dialogue économique, par l’implication des
entreprises mécènes, dont la visibilité est accrue au travers des
manifestations est aussi un volet important. Le succès de ces mises à
l’honneur ne sont plus à démontrer, et le nombre croissant de pays
partenaires se portant candidats pour bénéficier de l’organisation d’une
saison, en sont la preuve.
Aujourd’hui, un temps fort avec la Tunisie, ou encore « Estonie tonique »
festival estonien jusqu’à fin décembre 2011. Demain la Croatie (2012), la
Lituanie avec « un voyage en Lituanie » en 2012, l’Afrique du Sud (2012 –
2013), le Vietnam (2013 – 2014), la Corée (2015 – 2016). Avec l'aide de
l'Institut Français de Tunis, et en réponse aux demandes du ministère
tunisien de la culture, un programme a été élaboré autour de plusieurs
priorités comme le cinéma, le patrimoine, le livre et de la lecture publique,
et le soutien aux artistes et créateurs tunisiens en France. Ce plan en
faveur de la Tunisie a essentiellement permis la reconnaissance et la
visibilité de la richesse culturelle et patrimoniale de la Tunisie, et du
dynamisme de sa création. Il est surtout porteur de nombreux échanges
entre professionnels de toutes disciplines, favorisant la confrontation des
pratiques et préparant la professionnalisation des jeunes générations. Ces
mises en réseau auront aussi un impact sur l'attractivité du pays, et sur le
tourisme culturel.
Plus généralement, notre action s’appuie sur des programmes connus :
« courants du monde », « profession culture » qui accueillent des
professionnels étrangers de la culture. fortement qualifiés, sont amenés à
exercer de hautes responsabilités dans leur pays d'origine ; il dispose d’un
vaste réseau d'établissements d'enseignement supérieur dans le domaine
artistique accueillant de nombreux étudiants étrangers qui accueille
chaque année environ 4 000 étudiants étrangers (soit 11 % des effectifs
environ) dans des domaines aussi variés que les métiers de l'architecture,
du patrimoine, des arts plastiques, du spectacle vivant, du cinéma et de
l'audiovisuel.
Ce secteur participe de la tradition d'accueil, par la France, de créateurs
ou du moins de futurs créateurs, qui trouvent un terrain favorable à
l'expression artistique. Le rayonnement culturel de la France en est
renforcé à travers cette jeunesse également francophone.
3/ Troisième grand objectif : dans un monde devenu multilatéral et
multipolaire, il devient impératif de faire connaître et partager la vision de
la France sur les grands défis auxquels est confrontée la culture,
notamment le numérique. L’approche française, est soucieuse de
préserver la diversité culturelle ainsi que le financement de la création
artistique. En partageant notre approche avec mes homologues européens
dans les enceintes européennes ou avec et de nombreux autres pays
tiers, comme l’a montré le G8 élargi sur la création artistique à l’heure
d’Internet, nous pouvons sans relâche faire oeuvre de pédagogie et
susciter ainsi l'émergence de préoccupations partagées sur les questions
culturelles.
La France a notamment suscité la création, en 2010, d’un Comité des
Sages européens qui a formulé des recommandations aux 27 pays
européens sur les enjeux de numérisation. Cela a permis de jeter les
bases d’une réflexion commune, sur laquelle peuvent venir s’adosser
plusieurs dossiers importants: la promotion d’une approche globale de
l'écosystème culturel. J’ai proposé à mes homologues européens, en mai
dernier, un Décalogue pour l'Europe de la culture = un texte fédérateur
rappelant les grands principes auxquels nous sommes attachés pour que
vive la création en Europe.
- Nous avons également suscité une réflexion sur les enjeux du livre
numérique, qui passe notamment par une régulation des prix ;
- Nous avons enfin engagé une dynamique européenne en faveur de
taux de TVA réduits sur les services culturels numériques : la France est
pionnière en la matière, elle est soutenue dans sa démarche par le
Parlement européen et plusieurs Commissaires. Les gouvernements des
pays européens doivent aujourd’hui, eux aussi, malgré les contraintes
budgétaires, voir dans la culture un bien de première nécessité, comme l’a
rappelé récemment le Président de la république.
La réflexion doit aussi etre menée au-delà des frontières de l’Europe, avec
ces grands pays partenaires et acteurs mondiaux que sont l’Inde , la
Brésil, la Russie. C’est en ce sens qu’a été organisé à Avignon, dans le
cadre de la Présidence française du G8, un Sommet culturel consacré aux
enjeux de l'avenir de la création à l'ère numérique, les 17 et 18 novembre
derniers. Ce Sommet des ministres a permis de poursuivre les échanges
engagés entre les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du G8 de
Deauville des 26 et 27 mai derniers, sur la diffusion des oeuvres et la
protection des droits de propriété intellectuelle sur Internet et a permis
d'approfondir les débats en croisant les éclairages des Ministres chargés
de la Culture et de la Propriété intellectuelle.
4/ dernier grand objectif : Engager la France dans l'aide au développement
des pays du sud et dans la promotion des échanges entre culture, dans un
esprit de solidarité.
- La France s'y engage pleinement comme l'attestent de nombreux
exemples: conscient de la difficulté que connait aujourd'hui le cinéma
africain, j'ai voulu engager une action en vue de contribuer à sa redynamisation.
Nous avons pu réunir l'ensemble des contributeurs français
européens et internationaux afin de repenser nos aides, leur articulation et
favoriser ainsi la renaissance d'un cinéma important qui a apporté un
regard si important, singulier et poétique sur le monde.
Je voudrai citer notre coopération avec le Cambodge, à travers la
réhabilitation et la sauvegarde du site d'Angkor qui est à mes yeux
exemplaire sur le site d’Angkor où nous avons oeuvré en concertation
avec notre ambassade et le ministère des affaires étrangères et
européennes, grâce à un projet de fonds de solidarité prioritaire (FSP)
pour restaurer le temple du Baphuon, monument sivaïte du XIème siècle.
La fin des travaux de remontage du temple du Baphuon est effective et
l'inauguration par le Roi Sihamouni a eu lieu le 3 juillet 2011 en présence
de François Fillon, premier-ministre et de moi-même.
La Coopération avec Haïti que nous avons engagé a été remarquable :
appui technique et financier pour la sauvegarde du patrimoine national;
aide à l'inventaire, formation des professionnels, restauration du tableau «
Le serment des ancêtres » dont l’oeuvre est actuellement présentée au
musée du Louvre pour l'exposition (le musée-monde) que l'écrivain Jean-
Marie-Gustave Le Clézio, a organisée au Louvre et à l'entrée de laquelle
l'oeuvre accueille les visiteurs.